Lutter contre les déserts "sans visser sa plaque" : l'expérience insolite d'une généraliste
A 34 ans, la Dre Elsa Leclercq sillonne la France plusieurs fois par an pour exercer son métier de généraliste. Remplaçante, elle a passé une semaine en CDD dans un cabinet situé à Ajain (Creuse) en novembre dernier avec l’association "Médecins solidaires" , dans un désert médical. Conquise, la praticienne y retourne en juin. Pour Egora, elle revient sur son expérience.
Passionnée de voyages, de visites, la Dre Elsa Leclerc aime vadrouiller partout en France. Depuis 2017, elle remplace des médecins généralistes à Nantes et ses alentours. Entre trois et quatre fois par an, la médecin de 34 ans aime se déplacer ailleurs pour “une semaine ou quinze jours” tout en continuant son exercice. “J’ai déjà été en Ariège, dans le Limousin, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Bretagne”, partage-t-elle. “J’aime beaucoup découvrir de nouvelles régions, et il se trouve que mon métier est génial pour ça”, poursuit la médecin, satisfaite de son mode d’exercice “qui rend service”.
En novembre 2022, la jeune remplaçante décide cette fois-ci d’aller en zone sous-dense à Ajain (Creuse). “L’idée d’aller une semaine dans la Creuse ne me faisait pas peur du tout, ce n’était pas un frein”, assure-t-elle. Si elle a choisi de partir dans ce désert médical, c’est grâce à l’association "Médecins solidaires". Elle propose aux médecins, des contrats d’une semaine tous frais payés dans un centre de santé à Ajain. En novembre, dès que l’établissement de santé a ouvert, la Dre Elsa Leclercq a tout de suite sauté sur l’occasion. “Je suis intéressée par ce projet quasiment depuis sa création, je suivais le dossier de très près”, confie-t-elle. Dans le centre de santé d’Ajain, tout est facilité pour les médecins. D’abord, des coordinatrices sont présentes pour aider les médecins fraîchement débarqués des quatre coins de la France. “Elles facilitent grandement le plaisir au travail. Dès qu’on a besoin d’aide, elles sont toujours là. Elles s’occupent aussi de la prise de rendez-vous et peuvent nous aider si on cherche des contacts, de kinés, d’infirmières dans le secteur”, poursuit la généraliste. Autre mission phare de ces coordinatrices : la facturation. Débarrassée de cette charge de travail, la Dre Leclercq confie passer plus de temps avec le patient. “On passe 20 minutes par patient, et 40 minutes si ce sont des patients âgés, sans avoir à gérer le paiement, sans passer la carte vitale ni la carte bleue. Donc, c'est un temps qui est confortable. Dans la moyenne des remplacements que je fais, c'est même plutôt une moyenne haute”, assure-t-elle.
En plus des coordinatrices, l’association prend en charge le transport et le logement du médecin. “Il y a un gîte qui est à quinze minutes en voiture du centre de santé. On peut venir avec son conjoint ou ses enfants. Il y a aussi un véhicule dont on peut se servir pour faire ses déplacements entre le logement et le cabinet et pour les visites à domicile”, indique la médecin. Et le transport de la ville où exerce habituellement le médecin jusqu’à Ajain est également défrayé, que ce soit en train ou en voiture. Mais pour exercer ici, un critère est indispensable : “Il faut absolument avoir le permis de conduire”, prévient-elle. Lorsqu’elle a commencé, l’activité du centre de santé n’était “pas très intense”. Elle n'a reçu aucune demande de visites à domicile ni de téléconsultation. Actuellement, les médecins qui se relaient consultent en moyenne 20 patients par jour. “Moi, il pouvait m’arriver de voir 15 patients seulement”, assure la remplaçante, qui se rappelle avoir vu une centaine de patients dans la semaine. Aujourd’hui “entre 800 et 900 patients ont choisi ce centre de santé comme médecin traitant, mais quand moi j’y étais ce n’était pas encore le cas”. Malgré tout, elle restait au cabinet de 9h à 19h. “Les patients étaient très contents et c’est quelque chose de très important en termes de satisfaction au travail pour nous”, confie-t-elle.
Même si elle ne connaissait aucun des patients, cela ne l’a pas changé de son mode d’exercice habituel en tant que remplaçante depuis plusieurs années. “C’est une manière d’exercer, c’est sûr que ce n’est pas pareil que d’être médecin de famille, mais ça me convient”, affirme-t-elle, d’un ton convaincu. Pour elle, le plus important consiste à bien rédiger les dossiers médicaux des patients pour assurer un bon suivi. “A Médecins solidaires, il y a du temps qui est donné pour cette tâche parce qu’effectivement le patient qui va venir quatre fois dans l’année, il va voir quatre médecins différents, il faut donc absolument que le dossier soit extrêmement bien rempli”, explique-t-elle. Ce temps est compris dans les vingt minutes de consultation.
Parmi la patientèle : des personnes âgées, des familles et beaucoup d’enfants. “On a eu 25% de pédiatrie d’après les statistiques, c’est étonnant. On a souvent l’image de la campagne rurale avec que des personnes âgées”, reconnaît la généraliste en riant. Pour cette semaine, tous frais payés, la Dre Elsa Leclercq a touché aux alentours de 800 euros. C’est l’association qui la rémunère. “On est salarié, donc ce n’est pas de la rémunération à l’acte classique”, admet-elle. “Le centre récupère les montants des consultations, les Rosp..., et rémunère ensuite les médecins pour un CDD d’une semaine”, explique la généraliste. Mais aujourd’hui, la rémunération n’est plus celle du mois de novembre 2022, le salaire des médecins a augmenté. “Maintenant, on peut toucher entre 800 et 1 200 euros. On va arriver à un salaire fixe, mais on a démarré bas pour tester la viabilité du projet”, avance la médecin.
Conquise par cette semaine passée à Ajain, Elsa Leclercq a même signé pour une nouvelle mission. Cette fois-ci à Bellegarde-en-Marche (Creuse), dans le deuxième centre de santé ouvert par l’association. “J’y retourne de bon cœur. C’est une vraie contribution aux problèmes des déserts médicaux”, reconnaît-elle. “Ça me permet d’apporter ma petite pierre sans aller visser ma plaque trente ans dans un village de Creuse”, confie la généraliste. Elle n’a pas pour projet de s’installer, “ni maintenant, ni plus tard”. “Ce mode d’exercice-là, se déplacer, être libre, bouger me convient parfaitement”, assure-t-elle. Pour la médecin, c’est avant tout, une question de génération. “Trouver quelqu’un qui va rester trente ans dans la même boîte, rentrer à 25 ans et partir à la retraite, ça n’existe plus tellement. J’ai l’impression que c'est quelque chose d’important d’être mobile, de ne pas s’engager sur des décennies, d’être plus libre”, estime-t-elle. En revanche, elle reconnaît la nécessité d’”aller de temps en temps” dans les déserts médicaux “pour donner le coup de main qu’il faut”. “Si tout le monde s’y met un petit peu, on apporte une vraie réponse concrète, et ça oui je peux le faire”, estime-t-elle.
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