C'est officiel : 2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France. Avec 14,5 °C en moyenne sur l’ensemble du territoire, elle bat de 0,4 °C le précédent record, qui ne datait pourtant que de 2020. Tel est le triste constat dressé le 6 janvier dernier par Météo France, et il est loin de ne concerner que les agriculteurs victimes d’événements météorologiques extrêmes ou les professionnels de la montagne confrontés au manque de neige. Face au changement climatique, c’est la société qui doit s’adapter et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Une réalité qui a mis du temps à s’imposer chez les soignants en général, et les généralistes en particulier. Mais certains ont décidé de prendre le taureau par les cornes, et une vraie dynamique est en train de se créer. « La majorité des généralistes peuvent constater par eux-mêmes qu’il y a un lien assez net entre la dégradation de l’environnement, l’évolution de nos modes de vie et les maladies chroniques, remarque la Dre Eva Kozub, médecin dans les Hautes-Pyrénées et coordinatrice du groupe de travail “santé planétaire” au sein du Collège de médecine générale. Ce constat est parfois dur à encaisser. Mais la réalité, c’est que les généralistes ont de nombreux moyens d’agir. »
Comment transformer son cabinet en un lieu écoresponsable ? Le Guide du cabinet de santé écoresponsable* peut apporter des pistes d’action. Dans cet ouvrage de la Dre Alice Baras, destiné aux professionnels de santé de ville «pour qu’ils puissent mettre en œuvre la valeur de l’écoresponsabilité dans leur pratique, et ainsi satisfaire l’aspiration grandissante de nombre d’entre [eux] à “plus de sens” et “plus de sobriété” », 22 fiches pratiques vont de l’évaluation de l’impact écologique d’un cabinet à la maîtrise de consommations énergétiques au quotidien, en passant par la sobriété numérique ou encore les achats responsables. « Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas», précise ainsi la chirurgienne dentiste, également formatrice, dans la fiche qui détaille les grands enjeux liés à la gestion des déchets. Elle insiste notamment sur la hiérarchie des modes de traitement des déchets : élimination, valorisation, recyclage, réemploi, et surtout prévention… Une démarche qui nécessite une réflexion en amont des soignants pour se fixer des objectifs : «Le professionnel de santé ainsi que l’ensemble de l’équipe soignante sont-ils sensibilisés ou formés à la hiérarchie des modes de traitement des déchets […] ? Une démarche de réduction des déchets à la source a-t-elle été mise en œuvre ? Une réflexion sur l’usage unique a-t-elle été menée au sein du cabinet ? Les filières de tri ont-elles été identifiées […] ? Les containers dédiés sont-ils mis à disposition au plus près de la source ? Les consignes de tri sont-elles affichées ?», détaille Alice Baras. Cobénéfice et écoprescription Reste que pour les généralistes impliqués dans la transformation environnementale, les changements que l’on peut opérer au niveau de l’organisation du cabinet ne représentent qu’une petite partie de l’impact potentiel de la profession face au défi climatique. « Bien sûr que le tri du papier, le nettoyage de la table d’examen, les Dasri, l’architecture du cabinet, le chauffage, tout cela est important, et c’est bien de pouvoir montrer aux patients ce que nous faisons à ce niveau-là, estime Eva Kozub. Mais quand on parle de santé planétaire, il faut voir au-delà du cabinet : il faut que nous nous rendions compte qu’en tant que médecins généralistes, nous avons une voix et que cela vaut le coup de dialoguer avec les patients, de les accompagner vers des changements qui peuvent avoir un impact à la fois sur leur santé et sur l’ensemble des pollutions. »
Une notion de cobénéfice primordiale aux yeux des praticiens engagés. « Longtemps, ce sont des sujets sur lesquels je n’osais pas m’exprimer en consultation, car ils sont perçus comme politiques, raconte la Dre Alicia Pillot, médecin généraliste dans l’Isère, membre du groupe de travail “santé planétaire”, et cofondatrice (avec Eva Kozub) de l’association “Alliance santé planétaire”. Mais j’ai réalisé que sur les questions d’alimentation ou d’activité physique par exemple, il y avait plein d’informations que les gens n’avaient pas, alors qu’ils peuvent améliorer leur santé tout en réduisant leur impact sur l’environnement: marcher plus, aller davantage dans les espaces naturels, manger moins de viande…» Autre levier que ces généralistes tentent d’utiliser : l’ordonnance. Car il faut rappeler que d’après les estimations présentées par le Shift Project dans Le Plan de transformation de l’économie française**, vaste panorama de l’empreinte carbone de chaque secteur et des moyens de la réduire, le médicament et les dispositifs médicaux constituent 55% des émissions de gaz à effet de serre liées auxactivités de soins. «Sans priver le patient des bénéfices des médicaments sur sa santé, il y a beaucoup de cas dans lesquels on peut se demander si tel ou tel médicament est vraiment nécessaire, ou, quand on a plusieurs médicaments possibles, quel est le choix le plus écoresponsable», note Eva Kozub. Et les marges de progression semblent importantes. «En France, 90% des consultations de médecine générale aboutissent à une prescription médicamenteuse, contre 83% en Espagne, 72% en Allemagne et 43% aux Pays-Bas », rappelle Laurie Marrauld, maîtresse de conférences à l’EHESP, et cheffe de projet «santé» au sein du Shift Project. Reste qu’il ne suffit pas de souhaiter une prescription plus respectueuse des enjeux environnementaux pour qu’elle advienne. «La déprescription, cela prend du temps, il faut prendre la liste des médicaments, se poser, réfléchir… », rappelle Eva Kozub, qui estime que le jeu en vaut la chandelle. «Il y a un ensemble d’outils que l’on peut s’approprier, ajoute-t-elle. De plus, lorsque les ordonnances sont optimisées, non seulement c’est bénéfique pour le patient, notamment en termes d’interactions, mais cela prend également moins de temps de réévaluer.»
Autre difficulté : l’information concernant l’impact environnemental des molécules est parcellaire. « Il y a des travaux en cours, il y a l’indice suédois PBT [persistance, bioaccumulation, toxicité, NDLR], mais cela reste confidentiel », ajoute Alicia Pillot. Résultat: à l’heure actuelle, indiquent les deux médecins, le seul médicament pour lequel on dispose de manière certaine et simple d’une alternative plus écoresponsable est le salbutamol. « Il faut donc qu’on agisse auprès du législateur pour qu’il y ait plus de transparence», estime Eva Kozub. Des connaissances à construire Reste à savoir, dans l’océan des changements que les généralistes peuvent amorcer pour rendre leur pratique plus écoresponsable, lesquels sont à prioriser. « La première chose à faire, c’est de se former, répond du tac au tac Alicia Pillot. C’est la meilleure manière pour un médecin de faire des choix qui lui correspondent et qui ont du sens pour lui. » Et le champ semble passionnant, car les connaissances en la matière sont encore largement à construire. « On peut se poser la question des formes d’organisation les plus favorables à la décarbonation, par exemple, note Laurie Marrauld. Est-ce qu’il vaut mieux des cabinets composés d’une, de cinq, ou de vingt personnes ? Intuitivement, on peut se dire qu’il faut privilégier de petits centres regroupant plusieurs spécialités, notamment pour le traitement des maladies chroniques, mais il faudrait faire des études pour le montrer. » De même, on peut interroger la question des soins à domicile: « Aujourd’hui, la politique, c’est le virage domiciliaire, mais quels sont les impacts sur la consommation d’énergie ? », questionne la maîtresse de conférences. D’où l’importance des travaux sur le sujet, notamment ceux menés par les sociétés savantes. C’est pourquoi, annonce Eva Kozub, le groupe de travail « santé planétaire » va «continuer à faire de la formation, des interventions, pour expliquer un maximum les impacts», mais aussi travailler sur différentes thématiques: l’alimentation et la prescription mais également la périnatalité. «C’est une période où il y a une fenêtre d’ouverture pour faire passer des messages, rappelle la médecin généraliste. Les parents veulent savoir comment faire pour que leur enfant soit au mieux, et c’est le moment de balayer de nombreuses thématiques, comme les différents toxiques auxquels les enfants peuvent être exposés, l’alimentation, l’exercice physique, etc.» Mais ce type de consultation de prévention prend beaucoup de temps… temps qui manque aux généralistes pour accomplir toutes leurs autres tâches ! Mais ceci est peut-être une autre histoire. * Publié en 2021 aux éditions Presses de l’EHESP ** Climat, crises : Le Plan de transformation de l’économie française, The Shift Project, éd. Odile Jacob, janvier 2022
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