Hospitalisé pour Covid, ce généraliste refuse de rembourser le Dipa : "Ils nous ont laissés monter au front et à la fin, ils viennent nous réclamer de l’argent"

26/11/2021 Par Fanny Napolier
Témoignage
Il ne rendra pas un centime. Atteint du Covid et hospitalisé au printemps 2020, le Dr Daniel Desdouits, généraliste dans l’Indre, a été prié de rembourser les 1 928 euros qu’il a touchés au titre du dispositif d'indemnisation de la perte d'activité (Dipa). Furieux et désabusé, il se dit prêt à aller jusqu’au procès. Comme lui, 5% des bénéficiaires du Dipa auraient choisi la voie de la contestation, d'après les chiffres fournis à Egora par la Cnam.

  « Je suis un médecin de campagne de 58 ans, installé depuis 30 ans dans un cabinet de l’Indre. En parallèle, je suis PH à temps partiel dans le service de SSR de mon hôpital local. Je gère 30 lits de SSR, et je suis le seul médecin à gérer l’Ehpad de 150 lits. Dans le secteur, les généralistes ont des patientèles qui font trois fois les patientèles moyennes en France. C’est pour vous donner une idée du bordel dans lequel on vit. J’ai chopé le Covid alors que j’étais en formation. Je passais un diplôme universitaire de psychopathologie de la personne âgée. J’ai été hospitalisé le 30 mars 2020. Quand vous êtes hospitalisé à l’hôpital local avec qui vous travaillez et que vous voyez la tête déconfite des gens que vous connaissez quand ils rentrent dans votre chambre, ce n’est pas très agréable. J’ai été transféré par hélicoptère dans un centre à Tours parce qu’ils pensaient que je devais aller en réa. L’équipe du Samu est arrivée pour me transférer sans me prévenir. Ce sont des moments dont on se rappelle toute une vie.   Des comptables froids Et quand je suis sorti de l’hôpital, j’ai mis 20 minutes à parcourir les 200 premiers mètres que j’ai fait. J’ai eu la chance de récupérer vite, sans séquelles. J’ai une vie saine, je ne fume pas, je ne picole pas, j’ai toujours fait un peu de sport. Ça m’a peut-être aidé. Je suis sorti le 12 avril, et j’ai repris le boulot le 11 mai. Franchement, je n’ai pas traîné. Mais derrière, les mecs de la Sécu ne se rendent même pas compte de ce qu’on a fait. On a perdu un médecin de la Covid dans le coin. Ce n’était pas simple. Mais ce sont des comptables froids. J’ai eu un gros soutien localement. Les collègues se sont montrés admirables avec moi. Quand je suis rentré à l’hôpital, ce n’est que deux jours après que je me suis souvenu que j’avais un cabinet et qu’il fallait que je m’en occupe. Et les confrères avaient déjà tout organisé. Ils m’avaient trouvé un remplaçant pour le cabinet, j’étais remplacé à l’hôpital… Et tout ça sans m’en parler parce qu’ils ont pensé que j’avais autre chose à faire. Ils ont été adorables. Il y a une confraternité énorme. Les patients, eux, lisaient des messages sur Facebook comme quoi j’étais mort. Heureusement, je ne suis pas sur les réseaux sociaux. Je l’ai appris plus tard.   "J'ai été hospitalisé pendant 5 semaines et ils m'expliquent que j'ai gagné autant que l'année d'avant?" Quand la Sécu a proposé une aide, j’ai l’ai demandée pour la période du 16 mars au 30 avril. J’ai fait mes calculs et obtenu une aide de 1 928 euros. En mai, ils ont proposé de renouveler laide, mais je ne lai pas demandée. Et j’ai reçu en septembre une lettre de la Sécu disant qu’ils avaient fait d’autres calculs et réclamant la totalité de l’aide reçue. Une jeune dame de la CPAM est venue me voir pour m’expliquer que mes calculs étaient mauvais. Elle voulait aussi me parler de l’embauche de mon assistante médicale, pour dire qu’ils m’ont aidé à payer mais que je devrais maintenant travailler plus. Je lui ai demandé de prendre ses affaires et de partir. J’ai 58 ans, on va dire qu’il me reste sept ans à travailler. Je ne veux plus les voir. Je lui ai demandé de ne plus prendre rendez-vous. Ça fait 30 ans qu’on est un département qui se casse la gueule, on n’arrête pas de bosser comme des couillons, et ils sont là à nous chicaner. On n’a plus de médecins, mais on est quand même l’un des départements avec le moins de patients sans médecin traitant. On n’arrête pas de bosser, et ils nous expliquent qu’il faudrait bosser plus ? Eux qui ne sont pas joignables à 16h30 ?

On ne sait pas sur quelle période ils ont fait leurs calculs. Ils ne précisent rien. Ils estiment que je n’ai pas eu de perte d’activité. J’ai été hospitalisé pendant 12 jours, j’ai été arrêté pendant 5 semaines, et j’ai eu un remplaçant à qui j’ai versé 80% de mes honoraires. Et ils sont en train de m’expliquer que j’ai gagné autant que l’année d’avant ? Jai contesté lindu, dans les deux mois après réception de la lettre, comme la loi me lautorise. Mes calculs portent sur la période pour laquelle j’ai demandé l’aide. Jai respecté le texte. Jai déclaré mes honoraires, en dehors de tous les forfaits. Jai été honnête. Jai recalculé mon activité. Et voilà. Je suppose qu’ils ont élargi la période pour lisser tout ça et dire que je n’ai pas eu de baisse d’activité. Leur calcul est incompréhensible. Vous avez un tableau de bord, avec « printemps 2020 », « automne 2020 » et « premier semestre 2021 ». Ils sortent des chiffres. Je ne sais pas d’où. Il n’y a aucune date précise. Le procédé est inique. Même dans l’esprit, c’est vraiment dégueulasse. Ils nous ont laissés monter au front sans rien, et à la fin, ils viennent nous réclamer de l’argent. Et ils attendent bien que les mois aient passé. J’ai milité pendant 30 ans dans un syndicat conventionniste. Il faut vraiment avoir le moral. Dans le fond, ils ne savent plus pourquoi ils sont là. Ce sont des contrôleurs des impôts. Ils ne savent plus qu’ils sont là pour être au service des gens et des soignants. Pour nous aider à sauver des gens.   "Inique sur le plan moral" Déjà qu’ils ne sont pas bons humainement et psychologiquement, en plus ils ne sont même pas bons en comptes. Ils ont donné de l’argent. Maintenant ils veulent le reprendre. Leur calcul est là, il ne faut pas chercher plus loin. Ils font de l’affichage en disant qu’ils nous aident, et derrière ils récupèrent l’argent. C’est une politique nationale, je suis loin d’être le seul dans ce cas. C’est vraiment inique sur le plan moral. Ils peuvent toujours déplorer le manque de médecins, mais tant qu’ils continueront à nous traiter comme ça, il n’y aura personne. On ne peut pas continuer à être dirigés par des technocrates qui ne connaissent rien aux soins. Je suis un vieux docteur. J’ai 58 ans. J’ai fait les grèves contre Ralite au début des années 1980 quand il voulait déjà transformer l’hôpital en entreprise. Ils expliquaient que quand les médecins dirigent les hôpitaux, il y a des déficits. Maintenant, les hôpitaux sont dirigés par des gens qui sortent de grandes écoles et les déficits sont encore pires. Ça part à vau-l’eau. Je comprends que les jeunes médecins ne veuillent plus se lancer.

C’est sûr que ce n’est pas grâce à la Sécu qu’on tient. Soit on est des voleurs, soit on prescrit mal, soit on est mal formés. Qu’est-ce que vous voulez faire ? Ils ne savent pas ce qu’ils ont entre les mains. Ils cassent un jouet qui était trop beau pour eux. Quand on vient vous expliquer que certes vous avez été malade, et qu’on vous comprend, mais qu’on va quand même reprendre les sous qu’on vous a donnés… que voulez-vous répondre ? J’ai envoyé ma contestation il y a une semaine. Ils vont m’expliquer que le recours n’est pas possible à cause de tel article de loi que personne ne connaît. On va se défendre. J’irai peut-être jusqu’au procès s’il le faut. Ça va m’occuper, mais je ne vais pas me laisser faire. C’est une question de principe. »    

Dipa : retour sur l'origine du conflit

Le 29 avril 2020, conformément à une promesse du Gouvernement, l'Assurance maladie annonce par communiqué l'ouverture d'un téléservice dédié permettant aux professionnels de santé libéraux dont l'activité a été impactée par la crise sanitaire de demander une indemnisation. Neuf professions de santé, représentant 335.000 professionnels, sont éligibles. Durant les premières semaines de confinement, la baisse d'activité est en moyenne de 40% pour les médecins généralistes, de 50% pour les spécialistes tandis que les kinés ou encore les chirurgiens-dentistes sont pratiquement à l'arrêt. La Cnam prévient d'emblée : il s'agit de compenser les charges fixes, non de maintenir le niveau de rémunération.

Dans un premier temps, sur la base du montant annuel des honoraires sans dépassements enregistré en 2019 (hors forfaits...), la Cnam calcule au pro rata pour la période du 16 mars au 30 avril les honoraires que chaque professionnel aurait dû percevoir. Pour calculer l'aide, elle applique à cette somme un taux de charge, fixé en fonction du niveau d'activité durant la crise (entre 0 à 30%, entre 30 et 60% ou entre 60 et 100% par rapport à 2019), pour chaque profession et pour chaque spécialité pour les médecins. Le résultat est ensuite amputé des éventuelles IJ (pour le médecin ou ses collaborateurs) et autres aides publiques perçues (fonds d’urgence pour les travailleurs indépendants et les professions libérales, chômage partiel, indemnités journalières). Les demandeurs avaient la possibilité de réclamer une avance allant jusqu'à 80% du montant provisoire de l'aide. De mai à juillet, pour parer à l'urgence, 203.000 professionnels de santé ont ainsi reçu un acompte de 5515 euros en moyenne. Un complément moyen de 698 euros a été versé vers la fin de l'année, portant l'aide moyenne à 6213 euros.

Pour calculer l'aide définitive, il restait à prendre en compte l'activité sur l'ensemble de la période concernée, soit du 16 mars au 30 juin 2020. Résultats : des régularisations, défavorables à un tiers des médecins bénéficiaires. Mais 150 millions d'euros ont également été versés en complément aux médecins, rappelle la Cnam.

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