pharmacie la nuit

"Ils viennent en fin de journée car il est plus difficile de joindre le médecin" : ces fausses ordonnances qui mettent les pharmaciens en alerte

Depuis quelques années, les pharmaciens constatent "une augmentation des fausses ordonnances". Si auparavant, les fraudes visaient davantage à détourner l’usage d’un médicament, aujourd’hui, c’est tout un trafic qui s'est organisé, notamment sur les réseaux sociaux. Egora fait le point.

10/03/2025 Par Mathilde Gendron
Pharmaciens
pharmacie la nuit

"J’en ai encore eu une dans les quinze derniers jours, concernant du tramadol", se souvient Sébastien Lagoutte, président de l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine (Uspo) de Saône-et-Loire, évoquant le phénomène des fausses ordonnances. Quant à Bruno Maleine, président de l'Ordre des pharmaciens d'Ile-de-France, la dernière remonte à un dimanche de garde. "C’était pour du Zolpidem et un médicament antalgique à base de codéine", mentionne ce pharmacien de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne).

D'après le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (Cnop), les officinaux feraient face à "une augmentation des fausses ordonnances". Si pour Sébastien Lagoutte, cela reste "très épisodique" dans son officine de Breuil, une commune d’environ 3 500 habitants, "dans certaines régions, c’est devenu le sport national", déplore-t-il. Notamment dans les grandes agglomérations, et plus particulièrement "sur l’axe Paris-Marseille", relève-t-il.

Allez-vous fermer votre cabinet le 12 mars prochain contre les violences faites aux soignants ?

Francois Laissy

Francois Laissy

Oui

Si j'étais encore en activité, oui je fermerai par solidarité confraternelle avec tous ceux qui ont été agressés physiquement ou v... Lire plus

Stratégie

La Cnam décrit trois types d’ordonnances frauduleuses. Le premier concerne les prescriptions qui sont falsifiées par le biais de "modifications apportées par l’assuré lui-même sur l’ordonnance que le médecin lui a remise". Dans ce cas, l’usage de ce faux est plutôt personnel. Les fausses prescriptions peuvent également être "fabriquées de toute pièce grâce à un ordinateur, par un assuré qui n’a vu aucun médecin". Le malfaiteur peut ainsi écrire tout ce qu’il souhaite sur l’ordonnance. Dernier cas : le vol d'ordonnanciers vierges.

"De plus en plus, nous avons affaire à des trafics en bandes organisées qui collectent des médicaments obtenus au moyen de fausses ordonnances et en rémunérant des personnes recrutées sur les réseaux sociaux pour aller récupérer les produits en pharmacie, afin de les revendre à l’étranger", alerte l'Assurance maladie. Au total, plus de 1 000 actions contentieuses ont été engagées.

C’est toute une stratégie qui est mise en place par ces trafiquants pour parvenir à duper les pharmaciens. "[Ils] leur recommandent plutôt de se présenter en fin de journée parce qu’il est plus difficile pour le pharmacien de contacter le prescripteur afin de s’assurer de l’authenticité de l’ordonnance ; ou de venir à des moments de plus forte affluence, de façon à ce que le pharmacien soit peut-être un peu moins vigilant", ajoute Bruno Maleine.

11,5 millions d’euros de fraude détectés en 2023

En 2023, près de 11,5 millions d’euros de fraudes liées au trafic de médicaments et de fausses ordonnances ont été détectés et stoppés, contre 8,5 millions d’euros en 2022, affirme l’Assurance maladie. "L’évolution est principalement liée au fait que les molécules concernées par les trafics concernent surtout des produits onéreux", indique-t-elle. Il n’existe cependant pas que des fraudes liées à des trafics, celles pour détourner l’usage d’un médicament existent toujours, avec notamment "les médicaments utilisés pour des soumissions chimiques ou de manière générale les anxiolytiques, hypnotiques, antalgiques et ceux à base de codéine", cite Sébastien Lagoutte.

Avec les années, les fraudeurs deviennent de plus en plus méticuleux. "Sur les modèles de fausses ordonnances les plus abouties, [on retrouve] les mentions légales, le nom du prescripteur, l’adresse du cabinet médical, le code-barres (de l’Ordre des médecins) généré automatiquement, le tampon du médecin et la signature imitée", indique l'Ordre des pharmaciens. Si bien que les officinaux doivent être encore plus vigilants. "Les équipes officinales ont une obligation de vigilance déontologique, rappelle l’instance ordinale. Une obligation de vérification spécifique est requise pour un médicament de plus de 300 euros."

"C’est comme un banquier qui regarde un billet"

Sébastien Lagoutte compare son métier à celui d’un "banquier qui regarde un billet". Avec l’habitude, il repère facilement les éléments qui peuvent lui mettre la puce à l’oreille : "Les éventuelles fautes d’orthographe, les noms et prénoms du patient qui sont notés à des endroits qui peuvent différer, des posologies qui peuvent paraître farfelues, des médicaments qui [prescrits] ensemble peuvent paraître bizarres"...

Pour les signaler, l’Assurance maladie a mis en place en août 2024 un téléservice dédié : Asafo, pour "Alerte sécurisée aux fausses ordonnances". Disponible directement via Amelipro, l’outil permet aux pharmaciens de "vérifier si l’ordonnance a déjà été identifiée comme frauduleuse ou la signaler à sa caisse d’Assurance maladie". Son rôle est également de "repérer des réseaux de trafic présents sur tout le territoire et de travailler en étroite collaboration avec les services de police/justice", indique la Cnam.

Dans la pratique, le pharmacien de Breuil confie utiliser ce téléservice, mais pour lui ce n’est pas "la réponse au problème donné. C’est un recueil d’ordonnances, qui ont déjà été présentées comme étant frauduleuses. Donc à la première présentation, on n’a pas forcément d’aide", explique-t-il. Le téléservice permet également de vérifier si la prescription est bien falsifiée. "Quand je déclare une ordonnance frauduleuse sur Asafo, une étude doit être faite par les services de la CPAM et de la Cnam et ce sera validé ensuite. Pendant ce temps, elle n’apparaîtra pas, elle sera considérée à chaque fois comme une nouvelle ordonnance et passera à travers les mailles du filet."

Un tiers des fraudes concerne les médicaments du diabète

Lorsqu’il détecte une fausse ordonnance, Sébastien Lagoutte "prévient le plus rapidement possible tous les confrères [des alentours], parce que l’important, c’est que cette ordonnance-là ne finisse pas dans la nature et que personne ne soit au courant. On fait un message groupé en disant : ‘Attention, j’ai refusé la délivrance pour tel patient pour telle raison’", indique-t-il. À l’inverse d’Asafo pharma, cette technique a le mérite selon lui d’aller "très vite". Il peut également lui arriver lorsque les prescriptions entraînent un risque "grave" pour la santé, de prévenir les inspecteurs de l’ARS. "[L’un des employés s’occupe de] la veille de tous ces sujets, et lorsque le cas le nécessite, il va propager [le message] à l’ensemble des pharmaciens de la région. Ça marche très bien en Bourgogne Franche-Comté."

Les pharmaciens sont également tenus d’alerter, s’il existe, le médecin prescripteur, rappelle le Cnop. Ce dernier ainsi que le pharmacien pourront "déposer plainte pour faux et usage de faux auprès de la police ou de la gendarmerie et faire un signalement auprès de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP)", précise l’instance ordinale.

Sur quels médicaments faut-il redoubler de vigilance ? Grâce à Asafo pharma, l’Assurance maladie a pu analyser les prescriptions frauduleuses. "Sur les derniers mois, plus d’un tiers des fraudes concernent des produits en lien avec le traitement du diabète : médicaments anti-diabétiques, insulines, capteurs et lecteurs de glycémie, bandelettes d’auto-contrôle." Les "antidiabétiques comme l’Ozempic sont particulièrement demandés depuis que des influenceurs ont mis en avant des propriétés minceurs dans le cadre d’un mésusage", souligne l'Ordre.

L’ordonnance numérique, "la seule issue de secours"

Pour autant, le médicament qui subit le plus de fraude est, selon l’Assurance maladie, le Doliprane, car "c’est aussi le plus vendu". Pour Sébastien Lagoutte, cela est très surprenant, lui n’a "jamais" été confronté à ce type de fraude. "Ce n’est pas celui que l’on constate le plus", renchérit Bruno Maleine.

Pour limiter au maximum les fausses prescriptions, le pharmacien de Breuil est catégorique, "la réponse", c’est la prescription électronique. "Elle est unique, sécurisée dans le temps sur un serveur externe et tant qu’on n’a pas été la chercher dans son serveur elle ne craint rien, elle est dans son sanctuaire. Et il n’y a pas de risque qu’elle soit contrefaite." Pour Bruno Maleine, c’est "la seule issue de secours" face aux fausses ordonnances. Un avis partagé par le Cnop, qui juge que ce type d’ordonnance est "plus difficile à falsifier".

17 débatteurs en ligne17 en ligne
Photo de profil de Marielle Sereni
166 points
Débatteur Renommé
il y a 1 mois
La fameuse ordonnance sécurisée qui n’est désactivée qu’après la télétransmission et qui peut être utilisée toute la journée Quant au formulaire accompagnant l’ozempic et équivalents, il n’a aucun i
Photo de profil de B M
5,4 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
C'est bien d'utiliser le conditionnel. Quelle volonté derrière ces "alertes"?
Photo de profil de Pascal Gallet
31 points
Autre spécialité médicale
il y a 1 mois
l'ordonnance numérique Comment faire pour un médecin retraité ? les ordonnance faites chez un patient en visite qui habite dans une zone blanche ?
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Podcast Médecine légale
"On a fait plus de 1400 autopsies" : le récit du légiste français qui a témoigné au procès de Milosevic
19/03/2025
0
Reportage Démographie médicale
"C'est de la vraie médecine générale" : en couple, ils ont quitté les urgences pour ouvrir un cabinet dans une...
19/03/2025
3
Enquête Démographie médicale
Y aura-t-il trop de médecins en France en 2035 ?
09/01/2025
18