La galère. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de médecins n’ont plus d’autres mots pour décrire la vaccination contre le Covid en cabinet avec AstraZeneca. Doses jetées à la poubelle, annulations de rendez-vous, perte de temps, inquiétudes des patients, demandes d’ordonnances pour du Pfizer ou Moderna… Ces dernières semaines, les témoignages se succèdent pour démontrer que les Français craignent de recevoir une injection du vaccin contre le Covid élaboré par l'université d'Oxford conjointement avec le laboratoire anglo-suédois. Cette défiance, le Dr Bernard Abbal, généraliste à Noisy-le-Roi (Yvelines), l’a constatée depuis longtemps. Mais selon lui, elle a grandi avec le temps : “Au début, quand on devait annuler la vaccination parce qu’on n’avait pas de doses en ville, les patients étaient déçus. Les craintes sont arrivées peu à peu. Jusqu’à ce que lundi, je reçoive un appel d’un patient, qui me demande s’il peut se faire vacciner pour sa deuxième injection avec du Pfizer plutôt que du AstraZeneca, comme c’était le cas pour la première…”, regrette le praticien. Un avis partagé par le Dr Christine Argeles, généraliste à Petit-Quevilly (Seine-Maritime), qui rappelle qu’au début, c’était bien des vaccins à ARNm dont les patients avaient peur.
Recherche du buzz “Au tout début, les patients voulaient de l’AstraZeneca. Et puis, ils ont vu les soignants aller se faire vacciner en masse, pareil dans les Ehpad et la peur est partie”, estime la praticienne. Le Dr Argeles identifie plusieurs causes qui, selon elle, expliquent les craintes des Français envers AstraZeneca. En tête : les rapports sur les cas de thromboses, et la peur des effets secondaires. Mais ce n’est pas tout. Impossible de ne pas pointer du doigt le traitement médiatique de certains, notamment à la télévision. “Il faut faire du buzz, et on ne se rend pas forcément compte de ce que ça génère comme inquiétude derrière. La façon dont on écrit les choses dans un bandeau TV ou un titre fait qu’on peut s'inquiéter. Même si l’information est traitée de manière rationnelle, les accroches peuvent faire peur aux gens. En plus, là où on avait dix thromboses, on peut avoir l'impression qu’il y en a eu 100 parce qu’on l’a entendu dix fois”, affirme la praticienne, qui dit aussi qu’il a peut-être été un peu trop oublié de rappeler que le rapport bénéfice/risque était favorable individuellement et collectivement. Sous l’un de nos articles, le lecteur Saint-Jacques abonde également en ce sens. “Il est aussi inquiétant que dommageable que de nombreux médias s'expriment en préférant le scoop, souvent partiel dans son analyse et anxiogène, à la communication raisonnée et dûment documentée que l'on attend de professionnels de l'information”, nous écrit-il. Résultat ? Il faut assurer le service après-vente sur le terrain. Faire preuve de pédagogie, répondre à l’éternelle question “Et vous docteur, vous en pensez quoi?”. "Obligé de ‘vendre’ Astra avec conviction, il y en a marre de perdre du temps avec cela”, s’agace notamment notre lecteur Franck_B_5. Dans son cabinet, le Dr Abbal estime même passer en moyenne 7 minutes...
avec chaque patient pour rassurer sur AstraZeneca et les bienfaits de la vaccination. A Petit-Quevilly, le Dr Argeles a, elle, demandé à ses secrétaires de prévenir les patients que la vaccination s'effectue bien avec AstraZeneca pour éviter les annulations de dernière minute. “Il y a même une personne qui leur a raccroché au nez en entendant cela”, s’amuse-t-elle, dépitée. Le 9 avril, plus de deux mois après le début de la vaccination en ville, cette praticienne a même été obligée de poster un message sur Twitter… pour trouver preneur d’une dose.
Il me reste une place de #vaccination demain après-midi par AstraZeneca afin de ne pas gâcher une dose... si quelqu’un de plus de 55 ans même sans facteur de risque est intéressé secteur #Rouen #LePetitQuevilly contactez-moi
— Christine ARGELES (@CArgeles_rouen) April 9, 2021
La stratégie vaccinale pointée du doigt Malheureusement, tous les praticiens s’accordent également pour dire que la stratégie gouvernementale est pour beaucoup dans le désengagement des Français envers AstraZeneca. Alors qu’il avait prévu de vacciner 120 patients entre mars et avril, le Dr Abbal a par exemple finalement décidé d’annuler tous ses rendez-vous. “Je ne vous dis pas le temps que j’y ai passé. Il a d’abord fallu appeler les patients, leur expliquer comment cela allait se passer, leur demander leur consentement, donner des rendez-vous, organiser le cabinet… et puis l’inverse”, cite-t-il, en colère, calculant qu’il a perdu au total plus de 48h de travail. Car en effet, après l’annonce de la vaccination en ville, les livraisons n’ont pas suivi et n’ont pas permis de désengorger les listes d’attente. Pire : la direction générale de la santé informe les médecins le 7 mars qu’ils ne pourront pas commander de doses pour la semaine qui suit, au profit des pharmaciens, nouvellement autorisés à vacciner directement en officine. Très vite à ce moment également, la vaccination s’ouvre aux pompiers, vétérinaires, infirmières… “Dans la grande majorité des cas, les patients ont souligné que ces autres professionnels ne connaissaient pas leurs antécédents, et quid de la prise en charge en cas d’effet secondaire ? A mon avis, il est fondamental dans le cas de la vaccination AstraZeneca que seuls les médecins aient la possibilité d’assurer cette vaccination. Trop d’incertitudes et de questions nécessitent ce type de prise en charge car le médecin est apte à prendre la responsabilité de cet acte qui n’est actuellement pas aussi simple qu’il n’y paraît. Quel médecin acceptera de prendre en charge dans une officine ou au lit du patient les effets secondaires suite à la vaccination par ces professionnels de santé ?”, interroge notamment le Dr Pierre Frances, médecin généraliste à Banyuls-sur-mer (Pyrénées-Orientales). Mais la goutte d’eau qui fait finalement déborder le vase pour le Dr Abbal, c’est la suspension d’AstraZeneca le 15 mars, un vendredi après-midi, à cause...
des remontées d’effets secondaires chez les personnes vaccinées. “Il a fallu que j’annule la vaccination le jour même. Et puis le lundi, on a su que c’était finalement interdit aux patients de 50 à 54 ans. Puis, que le rappel devait être fait non plus à 9 semaines mais 12 semaines”, relate-t-il, agacé. “Ils peuvent dire une chose le matin, l’inverse le lendemain. Il y en a marre.” Les médecins jettent l’éponge “On est restés un long moment sans pouvoir vacciner, à cause de ça et du fait du manque de stock, donc les gens se sont mis à chercher partout. Ça a créé une sorte d'angoisse, on s’est mis à aller voir le médecin d’un conjoint, le pharmacien, puis les vaccinodromes pour tenter sa chance”, renchérit le Dr Argelès, qui estime la politique gouvernementale véritablement "incompréhensible". “Les gens peuvent s’inscrire librement en ligne dans les vaccinodromes mais on demande une ordonnance de médecin. Donc ils viennent nous voir et nous disent qu’ils sont inscrits et qu’ils veulent l’ordonnance. Moi, je leur dis qu'ils ne remplissent pas les critères. Sauf qu’on me répond que je serai responsable s’ils ne se font pas vacciner. Alors on fait quoi, nous ?”, se désole la généraliste. Le Dr Argeles regrette aussi certaines décisions qui contribuent, à ses yeux, à désorganiser la vaccination sur le terrain. “Par exemple, l’information de l’ouverture de la vaccination aux plus de 60 ans à la mi-avril même sans facteurs de risque : du jour où on a su cela, quand on a appelé les patients pour leur dire qu’on avait des doses, certains nous ont répondu qu’ils préféraient attendre mi-avril, parce qu'à cette date, ils peuvent avoir un Pfizer”, raconte-t-elle. “Il nous reste quoi ? En ce moment, nous avons une niche de 55-60 ans à vacciner, on ne va pas utiliser beaucoup de doses. À ces patients, il faut enlever les facteurs de risque, la crainte d’AstraZeneca… On va avoir du mal. En plus, on ne saura que jeudi si on peut avoir des doses, pour s’organiser c’est très court. Il faut appeler les patients pour refaire les listes, mais encore faut-il avoir le temps”, s’exclame le Dr Argeles.
Autre conséquence de ces revirements de politique : l’engorgement des vaccinodromes et centres de vaccination par des personnes non éligibles. Sur 100 patients vus dans la matinée, le Dr Abbal rapporte que 30 avaient en dessous de 70 ans. “On les a pris, mais normalement ils n’auraient pas eu le droit”, rappelle celui qui vaccine dans un centre de vaccination une fois par semaine “Je ne suis pas de la police, mon métier c’est de savoir s’ils peuvent être vaccinés d’un point de vue médical”, s'agace-t-il encore. Sans compter les élus locaux qui, pensant bien faire pour accélérer la vaccination dans leurs communes, mettent les moyens dans les centres de vaccination avec du Pfizer, au détriment des généralistes.
Donc pendant qu’on galère à remplir nos créneaux Astrazeneca, j’apprends tranquillou que le maire de bled-d’à-côté (250 habitants) a décidé de monter un centre de vaccination Pfizer dans sa salle des fêtes et appelle donc les administrés pour leur proposer des rendez-vous.
— Richard Talbot (@RichardTalbot9) April 9, 2021
Enfin, si les Français perdent confiance en le vaccin, les professionnels de santé, eux, perdent confiance en le Gouvernement. “On nous a expliqué qu’il ne fallait pas mélanger les vaccins entre eux et maintenant, c’est possible, Véran nous l’a dit dimanche. Pour moi c’est clair : je n’ai plus confiance en ce qui nous est indiqué”, tranche sévèrement le Dr Abbal. "Ça devient ingérable...
Alors j’ai décidé de tout annuler”, confie le généraliste qui partira en plus à la retraite avant le rappel de ses patients. Découragé, S.Saedeg, lecteur d’Egora, l’est aussi. “J'ai déjà vacciné près de 100 personnes, j'ai programmé une séance pour le 12/04 avec des désistements, des demandes d'explications chronophages… Imaginez qu’à chaque fois que je fais une ordonnance, les patients m'appellent pendant environ une 1/2 heure à une heure pour me demander des explications sur les conflits d’intérêts et effets secondaires portés sur les notices. On arrête de travailler car la confiance sera rompue. J'ai décidé de ne plus vacciner à compter du 12/04 , mais je ferais bien sur la 2ème dose à ceux qui ont reçu une 1ère dose”, témoigne-t-il.
“Si je devais résumer les choses, je dirais que la vaccination en cabinet, c'est comme un feuilleton qui change d’une semaine sur l’autre”, confie le Dr Argeles. “Le sentiment que ça me donne, c’est que le Gouvernement a été plus attaché à sauvegarder son image au détriment de notre travail sur le terrain et en désorganisant tout ce qu’on faisait. Certains de mes patients viennent en cabinet parce que c’est moi, c’est simple, ça les rassure. Je continue parce que je pense à eux, mais j'avoue que j’ai vraiment eu envie de raccrocher”, conclut la généraliste.
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