Médecins mal formés, pas déclarés : l'esthétique, une pratique à risque
Depuis quelques mois, la MACSF voit le nombre de demandes de garantie pour la pratique de la médecine esthétique augmenter. Des médecins de "toutes spécialités" qui pour certains n’ont suivi qu’une formation "en distanciel", s’étonne l’assureur. Mais de nombreux praticiens, notamment des généralistes, effectueraient des actes de médecine esthétique sans avoir déclaré cette activité, au risque de ne pas être couverts en cas de réclamation.
En mars dernier, l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran créait la polémique en annonçant sa reconversion prochaine dans la médecine esthétique. Si les projets du neurologue ont depuis changé, nombreux sont les médecins aux profils divers et variés qui se laissent tenter par cette pratique en vogue et indubitablement lucrative. "Depuis quelques mois, nous sommes fortement sollicités en souscription de RCP par des médecins de toutes spécialités qui nous demandent une couverture pour exercer la médecine esthétique, a confirmé le Dr Thierry Houselstein, directeur médical de la MACSF, lors d’un point presse organisé par l’assureur ce mardi 24 septembre. On a été très surpris de voir apparaître des demandes de psychiatre, de néphrologue et même d’un anapath de 31 ans, qui venait de terminer son internat et n’avait pas vu de patients vivants depuis 4 à 5 ans." Leur formation initiale étant jugée trop en décalage pour permettre une pratique sécurisée de la médecine esthétique, leurs demandes de garantie ont été refusées.
Une formation bientôt obligatoire… et "élitiste"
En plus des 1 125 chirurgiens plasticiens et des 3 750 dermatologues qui ont été formés à la médecine esthétique dans le cadre de leur DES, "4000 à 5000" médecins pratiqueraient cette activité, d’après les dernières estimations du Cnom. Aucun diplôme n’étant reconnu, leur formation est "très hétérogène", relève Thierry Houselstein. "Certains confrères vont se former à l’étranger et nous indiquent ensuite que c’est un diplôme européen reconnu, ce qui nous laisse un peu dubitatif… quand ce n’est pas un diplôme obtenu en ligne, via l’Angleterre ou l’Espagne, avec quelques formations pratiques dans une clinique parisienne. Faire du e-learning c’est très bien mais pour apprendre la médecine, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution donc on refuse", tranche le directeur médical.
Face aux risques de dérives et à l’appel d’air provoqué par cette activité, notamment chez les généralistes, l’Ordre a sifflé en juin dernier la fin de la récré. Pour pouvoir exercer la médecine esthétique, il faudra bientôt avoir validé un diplôme inter-universitaire (DIU), dispensé par des professeurs de dermatologie ou de chirurgie plastique. Une formation de deux ans qui "devrait être assez élitiste", commente Nicolas Gombault, directeur général délégué de la MACSF. "Il serait question de ne pouvoir accueillir qu’une soixantaine de praticiens par an. Toute la question qui se pose va être celle de la validation des acquis de l’expérience (VAE) : qui pourra continuer à exercer la médecine esthétique ? Est-ce que tous les praticiens qui exercent à ce jour pourront faire valoir leur acquis de l’expérience ? Dans quelles conditions ? Que faudra-t-il justifier ?"
D’après l’assureur, l’inquiétude serait grande parmi les médecins concernés, d’autant que "la période pour présenter cette VAE pourrait être assez limitée", comprend Nicolas Gombault. Pour l’heure, les textes ne sont pas encore parus mais cette "clarification" est "très attendue" par les CNP et les syndicats de chirurgie plastique et de dermatologie.
"De nombreux généralistes pratiquent la médecine esthétique sans nous le dire"
La MACSF compte à ce jour quelque 2000 médecins assurés pour la pratique de la médecine esthétique. "C’est sans doute sous-évalué par rapport à la réalité, relève Thierry Houselstein. On est persuadés qu’il y a un certain nombre de médecins généralistes qui réalisent quelques actes de médecine esthétique mais sans nous le dire, pensant que c’est compris dans leur assurance RCP classique." S’ils se trouvaient mis en cause, ces médecins se verraient opposer un refus de garantie, alerte la MACSF, qui les encourage à régulariser leur situation.
Les actes lasers sont les plus mis en cause
De 2018 à 2023, la MACSF a enregistré 185 réclamations concernant 144 sociétaires, dermatologues ou généralistes. "On peut aussi avoir quelques ORL, quelques ophtalmos, ou gynécos qui font de la médecine de l’intime", complète Thierry Houselstein. Les réclamations concernent des femmes dans leur écrasante majorité (92%), âgées en moyenne de 40 ans. "Mais on voit de plus en plus de dossiers avec des patientes ultra jeunes", signale le directeur médical.
Une "trentaine" de nouvelles réclamations sont comptabilisées chaque année, un nombre stable, mais dont la fréquence est là encore probablement "sous-estimée". "Face à une réclamation, de nombreux médecins esthétiques vont eux-mêmes indemniser, accepter de rembourser le patient sans faire appel à l’assureur", relève le directeur médical.
"Ce sont des petits dossiers pour nous, en termes de coût, mais très impactants pour nos assurés", souligne-t-il. La réclamation amiable est toutefois la principale voie de recours des patients (81%).
Les actes lasers (épilations laser et, dans une moindre mesure, traitements laser type détatouage) concentrent plus de 70% des réclamations. Les patients se plaignent en majorité de "brûlures" (plutôt des érythèmes, précise Thierry Houselstein) et, dans une moindre mesure, de résultats insatisfaisants ou de complications (liées à l’absence de protections oculaires, surdosage en Emla, eczéma…). "Il y a peu de [réclamations pour] défaut d’informations, relève le médecin, alors que c’est un vrai sujet en médecine esthétique. Pour nous assureurs, c’est un défi de suivre les évolutions thérapeutiques. Tous les trois mois, il y a une nouveauté. Les patients sont très demandeurs de ces nouvelles techniques donc les médecins essaient d’être à la pointe."
Le directeur observe par ailleurs un glissement : de nouvelles techniques tendent à reproduire les effets d’actes chirurgicaux, comme le lifting. "C’est notre rôle d’assureur de participer à la sécurisation des pratiques", conclut Thierry Houselstein.
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