"Partir était plus simple que revenir" : le dilemme des médecins généralistes suspendus
"Quand j'écris la date et que je vois qu'on est en 2023, je suis étonné. On est encore en 2021 dans ma tête. Il y a quand même quelque chose qui s'est arrêté pendant un an et demi, je réalise qu'il y a un traumatisme", confesse le Dr Grégory Pamart. Pour le généraliste, l'un des (rares) médecins libéraux suspendus fin 2021* pour avoir refusé de se conformer à l'obligation vaccinale contre le Covid, la parenthèse de la crise sanitaire n'est pas si facile à refermer. "Partir était plus simple que revenir", résume-t-il.
S'ils se disent "soulagé" ou "satisfait" de la levée de l'obligation vaccinale, actée par un décret ministériel pris le 14 mai dernier, les médecins libéraux suspendus ne peuvent simplement revenir en arrière. "Mon projet, c'est de reprendre un exercice libéral, affirme le généraliste du Nord. J'ai envie de retrouver la relation personnelle avec mes patients. Mais j'ai aussi beaucoup de questions à me poser parce que je ne veux plus exercer du tout de la même façon."
Installé à Remiremont, dans les Vosges, le Dr Benoît Akpemado est dans le même état d'esprit. "Pour l'instant, je n'ai pas repris la médecine générale et je ne reprendrai pas dans l'immédiat", nous confie-t-il. Passionné par les "approches complémentaires" (homéopathie, phytothérapie, aromathérapie…), le médecin s'est en effet reconverti en "coach de santé" après sa suspension. "J'ai dû changer beaucoup de choses au niveau administratif. J'ai perdu la capacité de prescrire et d'examiner. Je ne suis plus médecin mais je continue à faire ce que j'aime", assure-t-il. "Epanoui", l'ancien généraliste veut poursuivre dans cette voie pour, dit-il, "développer une autre vision de la médecine". Même si sur le plan financier, sa situation reste "précaire", cette activité n'étant pas remboursée. "J'avais un peu d'économies, j'ai tout dilapidé", témoigne-t-il. Deux épisodes de Covid, lui octroyant le droit d'exercer avec un certificat de rétablissement, lui ont toutefois permis de "boucher les trous". "J'ai repris un poste salarié de médecin coordonnateur d'établissement médico-social que j'avais avant, raconte-t-il. Avec la fin de l'obligation vaccinale, il y a d'autres horizons qui peuvent s'ouvrir. Je n'exclus pas de me réinstaller en tant que médecin, mais pour l'instant, je reste dans cet équilibre."
"Quelque part, le statut de victime était plus confortable"
Confronté aux mêmes difficultés économiques, Grégory Pamart dit avoir "vécu simplement". "Déjà avant, j'avais je pense un mode de vie relativement sobre étant donné mes revenus. C'était l'occasion de faire un pas de plus vers la sobriété", raconte-t-il. Le généraliste a également pu compter sur le soutien financier de plusieurs personnes. "Quelques jours avant Noël, des amis ont débarqué avec un coffre plein pour nous, se souvient-il. Jusque-là, on avait plutôt tendance à donner, on a appris aussi à recevoir!"
L'avis tant attendu de la HAS, fin mars, est venu bouleverser ce nouvel équilibre. "Maintenant il va falloir de nouveau reconstruire quelque chose, sortir de ma normalité, des habitudes que j'ai prises, confie-t-il. Sortir du statut qu'on avait aussi… J'ai réalisé qu'on avait un statut de victime, qui quelque part est confortable : tout le monde nous plaint… enfin pas tout le monde mais ceux qui nous côtoient !"
Après avoir gambergé durant 15 jours, le généraliste du Nord s'est finalement décidé à reprendre son métier, poussé par des messages de patients impatients de le "retrouver". "A ce moment-là, c'est devenu assez évident pour moi qu'il fallait que j'y retourne." Le médecin contacte alors trois établissements du secteur et en "une demi-journée", reçoit deux propositions d'embauche "intéressantes". "Il y a très clairement un besoin de médecins. Là dans les propositions que j'ai eues, c'était 'on vous prend demain si vous voulez'", commente-t-il. Depuis lundi 22 mai, le généraliste exerce donc à nouveau… aux urgences. "Au départ, je suis plutôt un libéral dans l'âme. Mais c'est l'occasion de mettre le pied dans une structure. Et j'ai envie d'aller voir ce qui se passe à l'hôpital, de savoir quel est l'état de l'hôpital aujourd'hui."
Mais quand il reprendra l'exercice libéral, ce sera sans doute hors convention, avance-t-il. "Ça me permettra d'avoir une certaine liberté. Mes consultations ne seront plus remboursées, donc il y aura nécessairement un exercice assez différent. Mon but dans la vie n'est pas de soigner les riches, c'est pourquoi j'aimerais travailler avec des honoraires libres : les personnes donnent ce qu'elles ont envie, qu'elles peuvent donner."
Poursuivie par l'Ordre
Véronique Rogez, elle, n'est pas près de reprendre un exercice, bien qu'elle soit sollicitée régulièrement par d'anciens patients. "Ce matin, j'ai rencontré au marché un ancien patient qui m'a dit 'On vous regrette'. Déjà, ça m'a fait chaud au cœur. Je pense que je me referais une patientèle assez rapidement." Mais pour la généraliste, reprendre "n'est pas si facile". "Déjà, je n'ai plus de cabinet, souligne-t-elle. Je louais un cabinet, j'ai attendu trois mois après l'annonce de cette suspension en me disant que ça n'allait pas durer longtemps, que les gens n'allaient pas laisser faire ça avec la pénurie de médecins, qu'ils allaient réagir alors qu'on virait leur médecin du jour au lendemain… bah non. J'ai attendu jusqu'en décembre et j'ai donné mon préavis. J'ai arrêté tout : assurance, lecteur de Carte Vitale, compte pro, logiciel médical, tout. Et j'ai pris ma retraite anticipée pour ne pas me retrouver sans rentrée d'argent."
Elle doit désormais vivre avec une retraite de "moins de 2000 euros", amputée par de nombreuses années d'exercice partiel consacré à élever ses enfants. "Mais moi vous savez, lance-t-elle, c'est pas la Mercedes ou les voyages aux Maldives qui me rendent heureuse. Je préfère ça et avoir la conscience tranquille."
La généraliste pourrait toutefois reprendre en cumul emploi-retraite… si elle ne craignait pas que l'Ordre lui barre la route. Véronique Rogez est en effet poursuivie pour avoir prescrit des traitements non éprouvés contre le Covid. En attente de l'audience devant la chambre disciplinaire régionale, la généraliste a même cessé sa collaboration avec l'"ONG" à travers laquelle elle téléconsultait gratuitement. "Je ne veux pas leur faire du tort. Ni à eux, ni à moi."
Si le 15 mai, la jeune retraitée a partagé sur Twitter sa joie de pouvoir à nouveau signer une ordonnance pour un proche à titre gratuit, le décret ministériel levant l'obligation vaccinale a laissé à Véronique Rogez, comme à ses confrères, un goût doux-amer... "C'est un décret de suspension de la suspension, dans 1 mois, 3 mois, 6 mois on peut être suspendu. Comment voulez-vous qu'on fasse un peu de frais pour rouvrir un cabinet?", relève-t-elle, attendant bien davantage de l'examen au Sénat de la proposition de loi communiste qui supprime purement et simplement l'obligation vaccinale. Benoît Akpemado, lui, trouve que la France a bien trop tardé à emboîter le pas de ses voisins européens. "Ce choix aurait pu être fait 6 mois avant, considère-t-il. Est-ce que c'était une lenteur administrative ou une volonté de faire trainer les choses… ça, je n'en sais rien."
Une indemnisation "légitime"?
Si le généraliste vosgien affiche sa volonté de tourner la page, refusant de "rester bloqué" dans un "passé chaotique", Véronique Rogez et Grégory Pamart ne veulent pas en rester là. "Je veux qu'on se pose des questions, lance ce dernier. On est peut être devant la pire catastrophe sanitaire de l'histoire de la médecine et le ministre déclare encore récemment qu'il y aura des procédures accélérées pour autoriser les médicaments… Je veux qu'on se pose sur ce qui a marché, ce qui n'a pas marché et pourquoi ça n'a pas marché."
Tous deux jugent par ailleurs "légitime" d'indemniser les soignants suspendus, notamment les libéraux qui ont été "expropriés" et mettront des mois à retrouver leur niveau d'activité antérieur. "Il y a un préjudice moral aussi", souligne Grégory Pamart. "Mais pour ça, il faut que le Gouvernement reconnaissance qu'il a eu tort. On en est pas du tout là", déplore Véronique Rogez, qui entend poursuivre son combat sur la reconnaissance des effets secondaires du vaccin. "Il n'y a pas eu de reconnaissance de faute de la part de l'Etat, renchérit Grégory Pamart. La seule chose qu'ils ont dit, c'est maintenant la situation le permet. A aucun moment ils ont reconnu que ce n'était pas normal de violenter des gens pour leurs idées." "Moi je ne regrette rien, je ne regrette pas du tout ma décision, au contraire, affirme sa consoeur. Je suis poussée par tout ce que je vois, je me dis qu'on ne s'est pas trompés."
*Ils étaient 160 en novembre 2021, dont 94 généralistes et 66 autres spécialistes, d'après la Cnam.
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