"Si la convention n'est pas juste, je sauterai le pas" : généralistes, ils sont prêts à se déconventionner

07/03/2024 Par Louise Claereboudt
Témoignage
Ils s'appellent Arnaud, Gabrielle ou encore Natacha. Tous ont choisi la médecine libérale au sortir de leurs études, gagnés par une envie d'indépendance. Mais après plusieurs années voire dizaines d'années d'exercice, ces trois généralistes ont déchanté. Aujourd'hui, ils ne se retrouvent plus dans le système conventionnel. En mars 2023, ils ont participé aux Assises du déconventionnement, organisées par l'UFML, pour se renseigner sur le secteur 3. Gabrielle et Natacha ont déposé leur promesse de déconventionnement. Arnaud, lui, a sauté le pas à l'automne, et il ne regrette pas sa décision. Ils témoignent pour Egora.  

 

 

"Les médecins prennent conscience de ce qui nous attend si les négos ne se passent pas bien " 

Dre Gabrielle Gallet, 35 ans, généraliste à Mont-près-Chambord (Loir-et-Cher) 

"Je me suis installée très tôt, à la sortie de mon internat, après seulement un mois de remplacement. J'avais 28 ans, la tête dans le guidon, et deux enfants en bas âge. En septembre-octobre 2022, au moment où est né Médecins pour demain, j'ai commencé à être sur les réseaux sociaux, à essayer de comprendre les rouages de l'exercice libéral. Je ne connaissais strictement rien. Je ne savais même pas à quoi servaient les syndicats, et qui signait la convention. J'ai un peu ouvert les yeux. J'ai adhéré à Médecins pour demain, et je me suis presque aussitôt syndiquée à l'UFML, portée par ma volonté d'indépendance de mon exercice. Au fur et à mesure, je me suis engagée, ce qui n'était pourtant pas dans mon tempérament. Mais la médecine libérale allait tellement mal… Je me suis dit que si je ne faisais rien, j'allais m'en vouloir.  

Pendant notre formation, on nous montre un seul et unique chemin : celui du secteur 1. J'ai découvert rapidement qu'il y avait d'autres façons d'exercer. Ça me paraissait important de comprendre ce qu'était un médecin de secteur 3. J'ai donc participé aux Assises du déconventionnement. J'ai appris qu'en Belgique, les médecins sont en grande partie en secteur 3 et remboursés sur la même base que les autres. C'est un système très différent du nôtre, il n'y a pas cette forme de diabolisation du secteur 3. Les médecins déconventionnés qui ont témoigné aux Assises avaient l'air enfin libres, apaisés, disponibles pour leurs patients, contents de faire de la bonne médecine. C'est un sentiment que nous perdons un peu…  

Dans les jours qui ont suivi – ou le soir-même, j'ai signé ma promesse de déconventionnement. Je pense que le collectif peut encore apporter énormément, mais si la future convention ne nous permet pas d'exercer correctement, il n'est pas impossible que je saute le pas. Ce que je souhaite, c'est évidemment une revalorisation du tarif de base : parler de 30 euros comme d'une revalorisation est un abus de langage. 30 euros, c'est un simple rattrapage, ça n'a rien d'un choc d'attractivité. Mais ce que j'aimerais par-dessus tout, c'est récupérer mon indépendance. Aujourd'hui, la CPAM se comporte comme mon employeur, mais je n'ai pas les avantages d'une salariée ! L'indépendance vis-à-vis des patients et de notre exercice est primordiale, c'est même dans le code de déontologie ! Les dernières négociations avec des tableurs à partir desquels on nous demande de diminuer nos prescriptions d'arrêts de travail, ça me paraît complètement fou.  

Aujourd'hui, je pense être beaucoup plus déterminée dans ma démarche que je ne l'étais lorsque j'ai signé ma lettre il y a un an. Les mentalités changent. Les signatures se font, on le voit dans les chiffes. La FMF, Médecins pour demain, les Comeli… Tout le monde s'engage dans cette voie. Les médecins prennent conscience de ce qui nous attend si les négociations ne se passent pas bien. Même si j'adore mon boulot, l'exercice est très lourd. La surcharge de travail est colossale. On se sent très seul – même si j'exerce en groupe. Nous, généralistes, sommes le premier et le dernier recours des patients. On doit être là… mais on est de moins en moins. Au début, j'avais des délais de 3-4 jours pour des renouvellements, maintenant je suis à plus d'un mois. Je galère à voir mes urgences de la journée. Je fais aussi beaucoup de pédiatrie. Les enfants, il faut les voir, et je le fais, mais au prix d'horaires à rallonge. C'est ça le quotidien. C'est une pression colossale.  

On a besoin de donner confiance aux jeunes. Quand j'ai posé ma plaque il y a sept ans, je me suis dit 'c'est super, je suis là pour 30 ans ; aujourd'hui, j’en serais presque – je ne dirai pas à dissuader les jeunes – mais à leur dire 't'es sûr'?". Il faut un signal fort. Quand la Caisse nous dit que 30 euros, ça correspond à un choc d'attractivité, c'est un scandale. C'est stratosphérique. Elle ne sait même pas ce que l'on vit."  

 

"Les Assises du déconventionnement ont un peu été une thérapie de groupe" 

Dre Natacha Regensberg, 56 ans, généraliste à Paris  

"Je suis fille de médecin. J'ai été très tôt dans le milieu médical. La première fois que je suis entrée dans un bloc opératoire, j'avais 4 ans. Donc j'ai pu voir l'évolution de la profession depuis ma plus tendre enfance. Mon père, qui était un chirurgien et dont le métier était toute la vie, s'est syndiqué parce qu'il trouvait que l'évolution de la médecine était dangereuse. En un siècle, on est passé de l'homme de l'art au scientifique pour être maintenant un professionnel de santé, voire un effecteur de soins. Ça paraît sémantique, mais ça reflète ce que vit notre profession. Et cela me désole. C'est pour cette raison que je me suis syndiquée. Je me suis dit qu'il valait mieux participer à un mouvement. L'UFML me semblait porter la voix de gens qui avaient une pensée proche de la mienne. Et en mars dernier, j'ai donc assisté aux Assises du déconventionnement. 

Depuis longtemps déjà, je me posais la question de me déconventionner. Quand je suis arrivée 'sur le marché' du travail – je me suis installée il y a 27 ans –, le secteur 2 était fermé. Je n'ai jamais eu la possibilité d'y accéder. Pourtant, je travaille dans certains domaines particuliers : je m'occupe beaucoup de la prise en charge de la douleur, je travaille beaucoup en psychiatrie, mais je me suis aussi intéressée aux violences sexuelles… Ce sont des choses qui demandent un investissement, y compris émotionnel. Le fait de ne pas avoir eu la possibilité d'exercer autrement qu'en secteur 1 est tout à fait incompatible si on veut à la fois mener une vie normale, une vie professionnelle en étant à l'écoute de nos patients, avoir des horaires à peu près normaux et si je veux que mes filles ne me vouvoient pas quand je rentre à la maison.  

Nous, médecins, nous sommes élevés dans la peur. Depuis le début de nos études, on nous apprend à redouter l'erreur médicale – c'est notre cauchemar. On a peur de se faire taper sur les doigts si on prescrit trop, ou pas assez, ou pas ci ou pas ça, on a peur de la hiérarchie de l'hôpital, peur de la CPAM, des mesures du Gouvernement. On craint de se faire punir. Les étudiants que je reçois au cabinet pensent plus au médico-légal qu'au médical. Ce n'est pas sain. On est constamment contraints, restreints, parfois menacés. Ça n'a l'air de rien, mais petit à petit, ce sont des gouttes qui érodent notre moral et notre capacité à faire autre chose. C'est insupportable. On a massacré le système hospitalier et, à mes yeux, on est en train de faire la même chose au système libéral. 

Le fait d'être aux Assises il y a un an, ça a presque été une thérapie de groupe… On a retrouvé tous ces médecins qui étaient en souffrance, pour la plupart en burn out. Ils ont vu des pairs qui vivaient la même chose qu'eux. En face, il y avait des médecins de secteur 3 qui avaient l'air d'aller bien. Ils nous ont raconté que le fait de se déconventionner ne leur a pas fait gagner plus d'argent, mais leur a permis de changer complètement leur qualité de vie. Ils retrouvaient une indépendance qui me semble totalement nécessaire dans notre métier. 

Ma lettre d'intention a été envoyée, maintenant je suis dans une situation d'attente. Si je l'ai envoyée, c'est que je suis prête à me déconventionner. Sinon je ne l'aurais pas fait. J'attends de voir ce que vont donner les négociations conventionnelles. Même si j'y songe, passer en secteur 3 me déplaît vis-à-vis de mes patients. Je trouve anormal qu'ils ne soient pas correctement remboursés de l'acte de consultation alors qu'ils ont cotisé, que le médecin est aussi bon que les autres et est soumis à la même éthique et aux mêmes codes. C'est inégalitaire, mais je ne peux pas faire à moi seule régner l'égalité dans une société qui n'est plus égalitaire."   

 

 

"Quand on a goûté à la liberté, c'est compliqué de se renchaîner à la Sécurité sociale" 

Dr Arnaud Lerouge, généraliste à Cambrai (Nord), 43 ans  

"Je suis sympathisant de l'UFML depuis la loi Touraine, et particulièrement sensibilisé aux risques de restriction de notre liberté de travail. Cette idée de déconventionnement me trottait vaguement dans la tête depuis un certain temps. Comme tous mes collègues, je me sentais un peu harcelé par des gens qui ne connaissent pas mon métier. J'ai donc participé aux Assises du déconventionnement depuis mon canapé, en visio. Ce moment n'a pas été une révélation pour moi, mais ça a permis de conforter mon raisonnement. On a entendu des témoignages de médecins qui travaillent en dehors de la convention. Ils semblaient en pleine possession de leurs moyens psychologiques, ils avaient l'air d'être épanouis…  

Dans les jours qui ont suivi, j'ai déposé ma lettre d'intention de déconventionnement, au départ pour suivre le mouvement syndical – dont le but est de peser collectivement pour négocier dans le cadre de la convention – mais je ne suis pas allé au bout. Une fois qu'on a des idées de liberté et qu'on trouve un petit chemin, on l'emprunte et on se barre. Le 4 octobre, je me suis donc déconventionné, après 13 ans d'exercice en secteur 1. Et j'ai immédiatement retrouvé ma liberté… Je suis passé à 25-30 consultations de 20 minutes, contre 40-45 consultations de 15 minutes par jour avant. Je fais beaucoup moins d'actes, je prescris donc moins d'examens cliniques. Cela me fait moins de tâches administratives à effectuer le soir. Quand je me couche, j'ai réellement terminé mon travail.  

J'ai fixé mon tarif de consultation à 50 euros pour 20 minutes. Mais je prends mon temps. Quand les consultations sont vraiment très longues, c'est plus. Pour le moment, mon chiffre d'affaires a augmenté de 10%. Mais les charges sont un peu différentes en secteur 3 donc je pourrai seulement constater si je suis dans le vert ou non a posteriori. D'après mes calculs, je suis censé percevoir à peu près la même chose qu'avant… mais en faisant moins d'actes. Même si je perds un peu, je ne ferai pas marche arrière. Quand on a goûté à la liberté, c'est compliqué de se renchaîner à la Sécurité sociale. 

J'ai toujours énormément de demandes. Il suffit d'ouvrir la fenêtre pour que les patients entrent. Si au niveau pécunier je suis limite, il me suffira d'ajouter 1 heure de consultation tous les jours, ou d'augmenter mes honoraires. C'est la loi de l'offre et de la demande. C'est d'ailleurs ce que je vais faire au 1er avril : je vais augmenter mon tarif de la consultation de 50 à 52 euros, et mes visites de 80 à 85 euros. 

Certains de mes patients sont partis – et ce ne sont pas les plus pauvres, ce sont souvent les patients fortunés que ça dérange…. Finalement, j'ai quand même plus de patients : sur Ameli, je suis passé de 1050 à 1100 patients.  

Ce que j'espère, c'est qu'une petite graine germe dans la tête de mes confrères qui vont signer leur lettre d'intention, comme ça l'a fait pour moi. Ceux qui ne se retrouveront plus dans la nouvelle convention médicale – en cours de négociation – sauront que le secteur 3 existe, que c'est une activité pérenne et totalement déliée de tout objectif d'administratifs ou de politiques qui n'y connaissent rien à notre métier. J'étais maître de stage des universités. J'avais deux internes par semestre depuis 2018. Au moment où j'ai signalé au département de médecine générale de Lille que je me déconventionnais, j'ai été viré de la liste des médecins accueillant des étudiants. La faculté de médecine cache aux étudiants l'existence d'un exercice qui est légal, mais qui gêne politiquement. Grâce à l'UFML, tout le monde est au courant. C'est capital." 

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