Guide de survie du médecin généraliste au pays des anti-vaccins

12/01/2018 Par Aveline Marques
Déontologie

Depuis le 1er janvier, la guerre est déclarée. Pour échapper à l'obligation vaccinale pédiatrique, les anti-vaccins sont prêts à tout, y compris à engager la responsabilité des médecins. Droit à l'information, principe de précaution, certificat médical de contre-indication… Sur Internet et les réseaux sociaux, les parents s'échangent les tuyaux, les vrais comme les faux. Voici comment ne pas tomber dans le panneau.

   

Que dit la loi?

L'article L3111-2 du Code de santé publique, modifié par la loi de financement de la Sécurité sociale 2018, stipule que les 11 vaccinations "sont obligatoires, sauf contre-indication médicale reconnue", pour les enfants nés à compter du 1er janvier 2018. Dès le 1er juin prochain, "la preuve que cette obligation a été exécutée [devra] être fournie, selon des modalités définies par décret, pour l'admission ou le maintien dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants". Le décret d'application et le calendrier vaccinal sont attendus pour la fin du mois.  

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  "Concrètement, explique d'ores et déjà le ministère, les parents devront communiquer les pages vaccinations du carnet de santé de l'enfant ou tout document du professionnel de santé attestant de la réalisation des vaccins." Si l'enfant ne peut pas être vacciné pour un motif médical, un certificat médical de contre-indication doit être fourni.  

Quelle différence entre la clause d'exemption et le certificat de contre-indication ?

Elargir temporairement l'obligation vaccinale, tout en laissant la possibilité aux parents invoquer une clause d'exemption: c'était la position du comité d'orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, que le ministère de la Santé n'a pas retenue. "Les parents ne souhaitant pas faire vacciner leur enfant pourront invoquer une clause d'exemption pour un ou plusieurs de ces vaccins (à ne pas confondre avec la clause de contre-indication médicale exceptionnelle), motivée par leurs convictions. Après entretien avec le professionnel de santé exposant les conséquences d’une telle décision, les parents s'engageront par écrit selon une procédure formalisée à assumer les responsabilités civiles de leur refus incluant un risque de non-admission de l’enfant en collectivité". Le ministère de la Santé n'a finalement pas retenu cette option, la jugeant juridiquement contraire au principe d'obligation.  

Avant de vacciner (ou pas)…

"Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne". Cet article du Code de la santé publique (L1111-4), les anti-vaccins le répètent comme un mantra et comptent bien s'en servir comme d'un bouclier face au médecin. La tactique consiste à lui poser toutes les questions possibles sur la vaccination, y compris celles où il n'y a pas de réponse ("Pouvez-vous certifier et prouver que la recrudescence d'une maladie qui aurait selon vous disparue grâce à la vaccination est due à la non-vaccination ?") et à pointer le fait que le médecin n'y a pas répondu. Le site infovaccinsfrance.org met ainsi à disposition une "lettre qui tue" à faire signer au praticien, et va jusqu'à inciter les patients à enregistrer la conversation dans le cabinet. "Le médecin doit pouvoir prouver qu'il a apporté l'information, par tout document utile, reconnaît le Dr Jean-Marcel Mourgues,président de la section santé publique du Cnom. Habituellement, on cherche par exemple les échanges de courriers ou de compte-rendu. Enregistrer la consultation, c'est tomber dans la démesure et ce n'est pas légal." Pour l'élu ordinal, il ne faut pas entrer dans ce jeu. Ce n'est pas en levant "des barricades de part et d'autre avec des papiers qui n'ont aucune légalité" que l'on va "redonner la confiance"*, mais en consacrant "du temps à l'explication". L'autre stratégie des anti-vaccins consiste à invoquer le principe de précaution. Ils brandissent un arrêté de 1952 selon lequel "les sujets à vacciner doivent être soumis à un examen médical préalablement à chaque vaccination". Et de lister une série de tests que tout bon médecin devrait réaliser avant d'injecter : du ionogramme complet aux tests d'allergies aux composants, en passant par la radiographie pulmonaire "pour éliminer tout image de tuberculose pulmonaire évolutive"… "Il n'y a pas une législation qui prévoit un test obligatoire ou un examen à effectuer avant une vaccination", dément Jean-Marcel Mourgues. Le code de déontologie précise que "le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance". "Les personnes à vacciner doivent être interrogées : on recherchera notamment des antécédents médicaux pouvant contre-indiquer de façon temporaire ou définitive la vaccination, en faisant préciser les réactions à des injections antérieures du vaccin que l’on s’apprête à inoculer ou de vaccins apparentés", précise simplement le Guide des vaccinations de l'Inpes. Si aucune allergie n'est connue, il faut le mentionner dans le dossier.  

Quelles sont les "contre-indications médicales reconnues" ?

Il faut d'abord distinguer les contre-indications provisoires, comme la présence d'une infection fébrile sévère ou d'une maladie aiguë, qui ne font que différer la vaccination, et les rares contre-indications permanentes, qui éliminent la vaccination. Ces dernières figurent dans les RCP de chaque vaccin.  

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  Il s'agit le plus souvent d'une allergie grave connue à certaines substances actives ou excipients du vaccin. "L'incidence estimée est moins de 1/500 000 doses. C'est vraiment exceptionnel", pointe le Pr Robert Cohen, pédiatre et infectiologue au CHI de Créteil, sur Franceinfo. La vaccination par un vaccin vivant atténué (vaccins vivants contre rougeole-oreillons-rubéole, varicelle ou fièvre jaune) est contre-indiquée chez les malades dont le système immunitaire est déficient -immunodéficience cellulaire, infection avancée à VIH/SIDA (CD4 < 500/µl entre 1 et 5 ans, <200/µl à partir de 6 ans)- et qui prennent un traitement immunosuppresseur (en particulier, prednisone >=2 mg/kg/jour ou 20 mg/jour pendant > 14 jours). "De façon générale, les personnes immunodéprimées ne doivent pas recevoir de vaccins vivants (viraux ou bactériens) en raison du risque de survenue de maladie infectieuse vaccinale", recommande le Haut Conseil de santé publique. Au cas par cas, il faut balancer les bénéfices et les risques. Chez les patients atteints d’un déficit immunitaire héréditaire (1 personne sur 5000), les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués en cas de déficit profond de l’immunité cellulaire. Un délai est à respecter pour les patients transplantés, greffés de cellules souches hématopoïétique, en cours de chimiothérapie, recevant un traitement immunosupresseur, une bio-thérapie et/ou une corticothérapie à dose immuno-suppressive. Pas de contre-indication, en revanche, chez les patients aspléniques ou hypospléniques. Quant aux fausses contre-indications, qui peuvent être mises en avant pour échapper à la vaccination ou la retarder, elles sont légion : "l’asthme, l’eczéma, les dermatoses chroniques, les affections chroniques cardiaques, respiratoires, rénales, hépatiques, les séquelles neurologiques, le diabète, la malnutrition, la prématurité ne constituent pas des contre-indications aux vaccinations", rappelle le Guide des vaccinations de l'Inpes. Même chose pour les antécédents familiaux d'allergie, de convulsions, de mort inattendue du nourrisson, d'effets indésirables des vaccins, de syndrome de Guillain-Barré (vaccination tétanos), de purpura thrombopénique (ROR), précise le Dr François Vié le Sage (InfoVac, Association française de pédiatrie ambulatoire) dans un récent article de La Revue du praticien-Médecine générale. Quant aux familles touchées par une sclérose en plaque et réticentes à faire vacciner leur enfant contre l'hépatite B, "il n'y a aucun élément et même les associations de patients se sont prononcées en faveur de la vaccination", insiste sur Franceinfo le Pr Odile Launay (Centre d'investigation clinique spécialisé en vaccinologie, Cochin-Pasteur). A Courbevoie, début janvier, un enfant de 2 ans a été refusé en crèche. Il disposait pourtant d'un certificat de contre-indication temporaire à la vaccination, motivée notamment par un antécédent familial (arrière-grand-père) de myofasciite à macrophages, rapporte Le Parisien. Le lien avec la vaccination n'étant pas reconnu, le médecin de la crèche a posé son véto.  

Qui doit rédiger le certificat de contre-indication?

Obligatoirement un médecin. Un document écrit par un autre professionnel de santé ne peut pas être considéré comme un certificat de contre-indication. "En principe, c'est le médecin traitant, qui est le plus au fait du parcours de soins, des pathologies et de l'antériorité, développe le Dr Mourgues. Ceci dit, il n'y a aucune interdiction à ce que d'autres médecins dans le parcours de santé puissent rédiger des certificats."  

Quelles conditions de forme doivent être remplies pour qu'un certificat de contre-indication soit valide et inattaquable ?

"Les certificats médicaux de contre-indication ne sauraient être généraux et absolus, car il n'existe pas de contre-indication médicale à l'ensemble des vaccinations", rappelle le ministère de la Santé. "Un certificat de contre-indication par vaccin", insiste le conseiller ordinal. La rédaction ne doit pas être "systématique" mais adaptée à la pathologie : si la contre-indication n'est que temporaire, il faut le mentionner. Mais le respect du secret médical impose la prudence. La nature de la contre-indication médicale ne doit pas nécessairement être inscrite sur le certificat, mais bien "consignée dans le dossier du médecin de manière à ce qu'il puisse justifier en cas de conflit". "En revanche, si les parents souhaitent un certificat plus descriptif et étayé de façon à faire taire les réticences, rien n'empêche le médecin d'être plus exhaustif." Il faut d'ailleurs bien veiller à remettre le document en mains propres aux parents, et non à l'administration.  

Qui contrôle la pertinence du certificat ?

Il peut y avoir contrôle si le médecin a rédigé un certificat de contre-indication à l'ensemble des vaccinations, précise-t-on à l'Ordre. "Mais on n'est pas dans une démarche de contrôles massifs, ce serait introduire de la suspicion inappropriée. Et en dehors du coût financier, ce serait délicat avec les contestations d'interprétations", développe le Dr Mourgues. En revanche, le médecin de PMI réalise son examen d'admission et a le droit de refuser l'inscription d'un enfant, car il engage sa responsabilité. "En cas de différence d'appréciation, avec l'accord des parents, il convient de tout mettre en œuvre de la façon la plus confraternelle possible pour qu'in fine l'enfant ne soit pas pénalisé", expose l'élu ordinal.  

Que risque un médecin qui établirait un certificat de complaisance (vaccination ou contre-indication) ?

Agnès Buzyn a été très ferme sur ce point : "Si un médecin rédige un faux certificat, alors il franchit une ligne rouge sur le plan déontologique". Il s'expose non seulement à des sanctions disciplinaires (pouvant aller jusqu'à la radiation), mais aussi à des sanctions pénales. Le faux et l'usage de faux sont punissables de trois ans de prison et 45.000 euros d'amende. Mais les sanctions sont aussi rares que les contrôles, généralement liés à des litiges familiaux… ou au profil du médecin. Radié en 1992 par l'Ordre pour ses positions anti-vaccinales, l'ex-homéopathe Marc Vercoutère a été condamné en 2016 pour avoir délivré un faux certificat de contre-indication au vaccin DT-polio à un enfant de 4 ans.  

Quelle est la valeur juridique de cette "attestation médicale" diffusée par les anti-vaccin sur les réseaux sociaux, qui engagerait la responsabilité du médecin vaccinateur en cas de problème ?

"C'est totalement illégal !, s'insurge le Dr Phillippe Garat, médecin généraliste et membre de la chambre disciplinaire de l'Ordre d'Ile-de-France. "Il s'agit d'une vaccination légale, publique. On n'a pas à mettre un contrat privé là-dedans. C'est pour mettre les médecins en difficulté. Le médecin n'a pas à remplir ce genre de document, il a à appliquer une loi de santé", insiste le généraliste, co-auteur du Guide des certificats et autres écris médicaux (Ed Med-Line, 2016). "Le médecin vaccinateur n'endosse pas toute la responsabilité, développe le Dr Mourgues. Sa responsabilité pourrait être engagée sur un défaut d'information, sur l'absence de recherche de contre-indications vaccinales ou sur des complications de nature septiques et cutanées de l'injection. Mais sinon, non. Lorsqu'il y a des accidents liés aux vaccins obligatoires, cela relève de l'Oniam, si l'effet indésirable n'est pas imputable à une négligence du médecin."    

*L'Ordre a publié un webzine à ce sujet : Comment restaurer la confiance?

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