28 octobre 2020, Emmanuel Macron annonce un nouveau confinement face à l’aggravation de la situation épidémique. Les universités ferment leurs portes et doivent à nouveau avoir recours au télé-enseignement. Après quatre mois d’expérimentation du “distanciel” lors de la première vague, c’est la douche froide pour les étudiants en santé. Au total, certains n’auront pas mis le moindre pied à la faculté ni à l’hôpital en neuf mois d’épidémie.
Parallèlement, la France s’enfonce dans la deuxième vague de Covid. Chaque jour, les chiffres de contamination et d’hospitalisation progressent. Les bras manquent. Le spectre de la réquisition plane sur les médecins libéraux et internes. C’est dans ce contexte, et pour gonfler les effectifs notamment, que certaines facultés parisiennes ont fait le choix de consacrer l’UE “Service civique” des troisièmes années pour faire des tests PCR. Problème : cela se fait sans contrat, ni rémunération. Cette unité d’enseignement a pour objectif de former les étudiants au “travail de prévention”. Mais, profitant de textes flous, les facultés ont pu contraindre les futurs carabins à tester massivement. Un élève parisien nous confie être inquiet de la mise en place de ce dispositif, qui sera effectif en même temps que ses partiels du semestre. Voici le message qu’il a reçu de la part de l’élue de sa promotion :
“ Je suis très inquiet. Notre sentiment d'être la promo sacrifiée s'accentue au fil des années. On a une promo de 500 élèves parce qu'ils ont décidé de faire la réforme de la Paces pendant la nôtre, on est la promo test de la réforme du deuxième cycle donc on passe les ECN dans moins de deux ans malgré le travail acharné de notre responsable… Et maintenant notre cher doyen veut nous supprimer... nos stages pour aller faire des PCR aux quatre coins de Paris. Tout ça gratuitement, bien sûr”, nous confie-t-il. “On dénonce fermement ces mesures. Nous sommes en train de travailler avec les facs concernées. Dans les salles de tests, on ne veut pas et on ne peut pas retrouver les Covidom, des étudiants qui sont payés et contractualisés pour faire des PCR et des étudiants qui ne sont pas payés, car en service sanitaire. C’est impensable, s’énerve Morgane Gode-Henric, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Évidemment, derrière ce dispositif, il y a un apprentissage. Mais soyons honnêtes : c’est aussi une main-d'œuvre gratuite. Au début, dans la faculté en question, les étudiants pouvaient choisir de le faire ou non. Mais ce n’est plus le cas”, poursuit-elle. Comment des promotions de futurs praticiens ont-elles pu se retrouver dans ce cas ? “Aucune instruction claire n’existe. Tant que le Gouvernement ne sort pas les textes qu’on lui demande depuis des semaines, les facs ont la liberté de faire ce qu'elles veulent. Il faut une instruction sur le service sanitaire, par nos deux ministères de tutelle, celui de la Santé et de l’Enseignement supérieur”, s’agace encore Morgane Gode-Henric.
“J’ai peur de ne pas avoir les bases” Formation détournée… Mais formation également annulée. A Marseille, Claire, étudiante en deuxième année de médecine s’inquiète, elle, de voir tous ses cours pratiques s’envoler à cause de la crise. Les trois quarts des travaux pratiques (TP) en petit groupe de 25 ont été supprimés depuis quelques semaines. “D’abord, on nous a dit qu’ils allaient être supprimés. Après, ils étaient juste reportés. Et puis en fait c’est les deux”, explique la jeune femme. “C’est très mal organisé. La fac a décidé de faire de nos groupes de TP de 25, des sous-groupes. On est convoqués par sous-groupes… Mais ils en convoquent 2 ou 3 en même temps. Au final, on est plus que ce qu’on devrait être à la base. Pour regarder le prof disséquer à 6 mètres de nous, pendant qu’on est tous serrés sur un banc à le regarder. Au lieu de ça, on devrait être deux par table de dissection, avec la possibilité d’avoir des gestes barrières", regrette-t-elle, amère. En plus des cours pratiques qui sont repoussés ou modifiés, les stages des deuxièmes années (P2) ont également été annulés une semaine après le processus de choix. “J’ai peur de ne pas avoir les bases. On ne va quasiment plus à la fac et les cours en visio sont moins motivants. Quand je parle avec mes amis, on a tous pris beaucoup de retard. Avoir le prof devant moi m’aide à apprendre. En plus, on attendait que ça depuis le début de l’année, aller à l’hôpital, voir enfin quelque chose de concret. J’ai l’impression qu’ils nous délaissent et qu’ils dévalorisent notre formation”, explique encore Claire. Frustrée de ne pouvoir participer à l’effort collectif, elle avoue aussi ne pas comprendre pourquoi les étudiants infirmiers sont mobilisés alors que ce n’est pas le cas des P2. “J’ai l'impression qu’on a réussi un concours extrêmement dur où on a une pression de malade et finalement, on n’a rien. On compte pour du beurre. Pour moi, on est délaissés”, estime-t-elle. La présidente de l’Anemf partage l’inquiétude des carabins. “Aujourd’hui, on a des troisièmes années qui l’an dernier, pour les mêmes raisons, ont vu leurs stages annulés. Cette année aussi… ça veut dire qu’ils vont arriver en quatrième année de formation où les stages sans avoir pratiquement mis les pieds à l’hôpital”, s’inquiète Morgane Gode-Henric. Au niveau de la continuité pédagogique également, l’Anemf sonne l’alerte. "En stage les étudiants sont censés être formés à devenir de bons médecins, ils suivent les internes, chefs de service. Mais aujourd’hui, ils sont victimes de beaucoup de glissements de tâches. Ils vont faire des tests, du brancardage, de l’administratif, des gestes d’AS, d’IDE, qui sont très louables, c’est normal de voir à quoi ça ressemble au cours de nos études. Mais ce n’est pas cela qui va permettre d'apprendre à devenir de bons médecins. Les stages ne sont pas faits pour pallier le manque de main d'œuvre à l'hôpital. C’est un problème qu’on dénonce depuis des années, il s’est simplement accentué avec le Covid”, juge-t-elle.
Du côté des internes, mobilisés dans la lutte contre le Covid, les réquisitions ont commencé à tomber. A Reims, Léa*, interne en pédiatrie, a été prévenue par son chef de service qu’elle allait devoir travailler dans les unités Covid pendant 15 jours. Tous les internes disponibles - psychiatrie, pédiatrie, neurologie, néphrologie, cardiologie, etc - ont été réquisitionnés dans son hôpital pour “tourner” dans le but...
de les épuiser le moins possible. “lls ne voulaient pas faire ce qu’ils avaient fait en mars, c’est-à-dire fermer les unités d’hospitalisation conventionnelle de neuro et rhumato et basculer ces internes dans les unités Covid pendant six mois”, explique-t-elle. Pour la jeune femme, travailler avec les adultes sera “une découverte”. Elle sera probablement affectée, en décembre, sur des unités non-réa dédiées au Covid. Si Léa estime parfaitement normal de participer à l’effort collectif, elle appréhende néanmoins certaines situations, notamment de se retrouver confrontée à la fin de vie chez les adultes. "Ça va être la découverte, on se basera sur des compétences acquises pendant notre externat. Le Covid, c’est quelque chose de systématique, avec un protocole cadré. Mais on appréhende un peu ce à quoi on va se retrouver confrontés. Par exemple, la décompensation, qu’on a pas l’habitude de gérer chez les adultes en tant qu’interne en pédiatrie. Heureusement, on sera seniorisés”. Voilà pour les préoccupations actuelles. Mais la jeune femme et ses co-internes, eux aussi, s’interrogent tout de même sur leur formation. “On parle Covid, on mange Covid, on dort Covid et le reste de notre formation universitaire, en tout cas pour nous les pédiatres, est suspendue. Nos responsables de DES n’ont pas encore réorganisé les choses donc on n'a pas de cours théoriques. On va avoir été formés au Covid oui, mais est ce que à la fin de notre formation, on sera capables de prendre en charge des cas médicaux qu’on voit normalement sans pandémie… On commence à se poser la question. Ce sont des réflexions qui sont actuellement au second plan évidemment en ce moment, mais on y pense”, admet-elle. Une réflexion appuyée par Morgane Gode-Henric. Le mois dernier, l’Anemf et une dizaine d’associations et syndicats d’étudiants en santé alertaient les autorités sur le dérèglement de l’apprentissage des futurs professionnels de santé en s’appuyant sur des données du Centre national d’appui : au printemps 2020, 65,3% des étudiants en santé ont été mobilisés dans le cadre de la première vague. “Nos études sont très techniques. La médecine s’apprend dans les livres et à l’hôpital. C’est impensable, pour nous, de le faire uniquement à distance à travers des écrans. Nous demandons que ceux qui le veulent et le peuvent puissent aller en stage”, rappelle l’élue de l’Anemf.
Dérives possibles Morgane Gode-Henric tient également à prévenir une autre conséquence liée aux changements de formation, annulation de stages ou glissement de tâches : celle sur la santé mentale des étudiants. Beaucoup d’entre eux se retrouvent vivement affectés par la pression, l’incompréhension ou au contraire, un sentiment de solitude extrême. Une ligne téléphonique a été mise en place par l’Association, accessible à ce numéro : 09.77.07.01.28. Enfin, la présidente prévient que des dérives ont été constatées concernant les contrats de vacation via lesquels les étudiants peuvent toutefois s’engager. Au printemps, 6 étudiants sur 10 s’étant inscrits n’avaient pas de contrat de vacation officiel. Aujourd’hui, les délais sont d’une à trois semaines... “Il faut absolument qu’ils les signent avant de commencer”, rappelle la présidente de l’Anemf. “Ces contrats sécurisent les étudiants. Imaginons, un étudiant de P2 ou P3 qui travaille à l’hôpital, attrape le Covid et malheureusement, doit être hospitalisé en réa. Le Covid étant reconnu comme maladie professionnelle, il devrait pouvoir bénéficier d’indemnités. Mais si son contrat n’était pas signé, il ne touchera rien”, prévient-elle. “J’ai vraiment l'impression qu'on se fout un peu de nous”, lâche un étudiant en médecine parisien, concerné par l’obligation de tester dans le cadre de l’UE Service Sanitaire. “Je suis chez moi, j’attends qu’on s’occupe de nous...”, renchérit Claire, à Marseille. “C’est la deuxième vague et pourtant… On refait les mêmes erreurs”, ironise de son côté Léa. “Nous avons été réquisitionnés mais on n’a pour l’instant pas vu de papier officiel. On doit se débrouiller entre nous pour faire les roulements. On aurait peut-être pu anticiper”, estime l’interne. *Le prénom a été modifié.
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