Mutilations sur 322 patients : deux dentistes, père et fils, devant la justice pour violences volontaires et escroquerie 

28/02/2022 Par Sandy Bonin
Faits divers / Justice
Ce lundi 28 février s'ouvre un procès hors normes. Deux dentistes marseillais, père et fils, sont accusés de s'être enrichis sur le dos de la Sécurité sociale en pratiquant des opérations injustifiées et bâclées. 322 anciens patients, mutilés à vie pour certains, se sont portés parties civiles. Les faits jugés en correctionnel, remontent à entre 2006 et 2012. 
 

Lionel Guedj, 41 ans, et son père Carnot Guedj, 70 ans, qui comparaissent libres, ont pris place ce lundi sur le banc des prévenus dans une salle de 400 places spécialement aménagée dans une ancienne caserne. Ils sont poursuivis, ainsi que leurs sociétés en tant que personnes morales, pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente" et "escroquerie", ils encourent 10 ans d'emprisonnement et quelque 2 millions d'euros d'amende. L'Ordre les a déjà radiés. 

Face à eux, 322 victimes, qui attendent depuis dix ans de raconter leurs souffrances et obtenir réparation. "Ils attendent une vérité judiciaire reconnaissant la culpabilité du tandem Guedj, ce serait pour eux un début de reconnaissance", a indiqué Marc Ceccaldi, l'un de leurs avocats, évoquant "un système de prédation de patients" dont Lionel Guedj était "la figure de proue avec sa séduction, sa démarche commerciale et la mise en confiance" de ses victimes. 

L’objectif de Lionel Guedj était simple : convaincre ses patients de se faire refaire "un maximum de dents". Quitte à mutiler, par centaines, des mâchoires totalement saines. Le procédé mis au jour par l’enquête ouverte en 2012 était toujours le même. Un patient consulte pour "un soin concernant une ou deux dents", autrement dit : des "motifs classiques", peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi. 

"La première consultation se soldait systématiquement par un programme massif de travaux impliquant de dévitaliser et couronner un maximum de dents", selon un rapport établissant que Lionel Guedj facturait 28 fois plus de couronnes que la moyenne de ses confrères. 

Abcès, aphtes, kystes, douleurs, infections à répétition, bouche noire, mauvaise haleine, prothèses qui ne tiennent pas : des années après les faits, beaucoup subissent encore les conséquences d'opérations pratiquées à la chaîne, sans respect des règles de base. Le dentiste portait des gants médicaux "au mieux périmés de trois ans".  

Implanté en 2005 dans un quartier populaire de Marseille, le cabinet Guedj avait une patientèle pour moitié à la CMU et à 99% au tiers payant. Lionel Guedj leur promettait "un sourire de star". Quand Samir, 33 ans à l'époque, a pris rendez-vous chez le docteur Guedj, il souffrait alors d'une banale carie. Mais le praticien l'a convaincu que ses dents étaient "en fin de vie", rapporte-t-il au Figaro. Dans les quartiers nord de la cité phocéenne, son cabinet flambant neuf, son matériel dernier cri et son franc-parler suscitaient la confiance des riverains. Alors Samir a suivi les recommandations de son dentiste et s'est fait limer 22 dents, situées à l'avant de la mâchoire, pour y poser des bridges "de mauvaise qualité." Le chauffeur de car a continué de consulter le même dentiste durant deux ans, au gré des infections et des racines nécrosées. "J'avais la bouche constamment enflée. C'était un carnage." 

Toujours disponible sans rendez-vous, il recevait jusqu'à 70 patients par jour, auxquels il consacrait à peine un quart d'heure en moyenne, selon une expertise de la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône. Cinquante-sept heures par jour auraient été nécessaires pour de tels actes.  

Parmi les victimes, les enquêteurs ont même identifié des enfants. Aujourd’hui adultes, ils gardent la trace de leurs dents dévitalisées à l’époque "sans accord parental". Nadia, assistante dentaire entendue par les enquêteurs, explique que le dentiste profitait "des faibles capacités intellectuelles" et de la "mauvaise compréhension du français" de ses patients pour signer les devis à leur place. 

Devenu en 2010 le dentiste le mieux rémunéré de France, il roulait en Ferrari, s'octroyait entre 65.000 et 80.000 euros de revenus mensuels et avait accumulé un patrimoine de 13 millions d'euros.  

En garde à vue à l’automne 2012, Lionel Guedj assure pourtant avoir agi « dans l’intérêt de ses patients » et sur la base de leur "consentement éclairé". Le mis en cause promet aussi être capable de "dévitaliser une dent en 10 minutes", là où un chirurgien-dentiste classique aurait besoin de deux séances de 45 minutes. "Mon client est ravi de pouvoir enfin s'expliquer et de démontrer que toutes ses actions ont été guidées par des considérations médicales, pas par l'appât du gain", a indiqué son avocat, Me Frédéric Monneret. 

Le procès est prévu jusqu'au 8 avril. 

[Avec AFP, lefigaro.fr et actu.fr

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