Egora.fr : Les orientations prioritaires pour la période 2023-2025 viennent enfin de paraître avec un peu de retard. A quoi était-il dû ? Comment se sont déroulées les discussions avec les conseils nationaux professionnels (CNP) ?
Michèle Lenoir-Salfati : Ce retard n’est pas dû aux travaux avec les CNP. Il est lié au changement de ministre et de cabinet à la suite des élections législatives. Le temps qu’un cabinet se réunisse, regarde puis valide les orientations prioritaires a été un peu plus long que ce que nous avions prévu dans l’agenda – nous souhaitions une parution au mois de juillet. A l’évidence, avec la problématique des urgences, les orientations prioritaires de DPC n’étaient pas en haut de la pile. Nous avons d’abord travaillé avec l’Etat et les différents ministères pour qu’ils définissent les orientations de politique de santé nationale. Nous avons adressé ces orientations ainsi que les fiches de cadrage aux différents CNP en leur demandant s’ils avaient des enjeux complémentaires à proposer. Ces derniers nous ont fait des propositions, qu’on leur a retournées avec un certain nombre de commentaires. Puis nous les avons accompagnés pour définir le périmètre de leurs orientations et nous les avons guidés dans la rédaction des fiches de cadrage pour qu'elles soient les plus claires possibles. La discussion est terminée avec de nombreux CNP, pour lesquels des orientations sont publiées. On est en train de finaliser la discussion avec d’autres professions : les biologistes, les kinésithérapeutes, les aides-soignants, les orthoptistes, etc. Ça a été un dialogue constructif.
Quelles sont les priorités identifiées pour les médecins généralistes ? Il y a des orientations qu’ils ont souhaité reproduire – les gestes utiles, les spécificités diagnostiques en médecine générale. Et de nouvelles orientations, pour lesquelles le fil conducteur était de tenir compte de la spécificité de la médecine générale. Le généraliste a un regard plutôt englobant sur la situation de santé mais aussi la situation sociale et psychique du patient. C’est ce qui a permis de décliner pas mal d’orientations : le modèle biopsychosocial, la mise en œuvre de psychothérapies de soutien, la prévention intégrée… A ce sujet, il y avait l’idée qu’il ne s’agissait pas de faire une action de prévention contre le cancer, le tabac, etc. mais bien de l’intégrer au fil des consultations en fonction de l’état du patient et de son interrogation. Les orientations comportent des nouveautés. Certaines, arrêtées par l’Etat, ciblent spécifiquement des professions. Pourquoi ? Jusque-là, toutes les orientations d’Etat s’adressaient à toutes les professions même pour des sujets qui, au fond, n’intéressaient pas tout le monde. L’idée qui est venue dans les discussions avec les administrations était de dire qu’il y avait aussi des enjeux d’amélioration des pratiques ou de maintien de compétences pour les professions en première ligne dans la prise en charge. Cela rejoint une problématique pédagogique sur laquelle nous sommes très vigilants. C’était aussi une façon d’éviter certains types d’actions de DPC qui sont déposées chez nous, et pour lesquelles des organismes de DPC (ODPC) cochent absolument tous les publics. Cela pose deux problèmes : en fonction du public, de la profession ou de la spécialité, ce n’est pas nécessairement le même contenu qui doit être construit et adressé ; et, surtout, ce sont des gens qui ne sont pas nécessairement amenés à travailler ensemble, donc il n’y a pas d’intérêt à les voir se former ensemble. L’idée était ainsi d’aboutir à la construction d’actions plus pertinentes, ciblées sur les publics qui doivent prendre en charge et se coordonner. Dans la prise en charge de l’autisme par exemple, les orientations allaient viser les ocularistes ou les audioprothésistes. Au regard des objectifs de repérage précoce et de prise en charge, ce n’était pas du tout leur sujet, même s’il peut bien sûr y avoir de l’appareillage en audioprothèse d’une personne atteinte d’un trouble autistique. Mais ce n’est pas cela l’enjeu. Quel est le bilan de l’ANDPC pour l’année 2022 ? Le bilan n’est pas encore fait, l’année n’étant pas terminée. On sait par ailleurs que traditionnellement le dernier trimestre est extrêmement dynamique. On a toutefois pu dégager des tendances. Il y a des professions qui restent stables, notamment les médecins. On a du mal à dépasser le tiers de médecins engagés – toutes spécialités confondues. Il y a aussi des professions qui, cette année, ont un peu baissé en termes d’inscriptions et de consommation : les infirmiers, les kinésithérapeutes… En revanche, trois professions sont dans une grande dynamique ; jamais vue pour les chirurgiens-dentistes : ces derniers étaient relativement sceptiques vis-à-vis du DPC au départ, et s’engageaient peu, maintenant ils se sont emparés du dispositif. Deux autres professions ont repris une dynamique : les biologistes et les pharmaciens, qui ont passé une très grande partie des années 2020-2021 - et même début 2022 - à tester la population contre le Covid-19 et n’avaient plus guère le temps d’aller faire de la formation. Depuis cette accalmie – dont on espère qu’elle va durer, les inscriptions sont en hausse. Par ailleurs, il y a un point qui explique l’engagement moindre global : depuis 2022, les professionnels remplaçants non conventionnés ne sont plus pris en charge par l’Agence. A l’évidence, c’est quelque chose qui a joué. Depuis que nous avons la liste des professionnels conventionnés – qui nous parviennent de la Caisse nationale d’Assurance maladie et de l’Agence du numérique en santé (ANS), cela nous a permis de voir qu’avaient été élus à notre prise en charge, des personnes qui n’auraient pas dû l’être. Moins de la moitié des médecins se sont engagés sur la période triennale 2020-2022 d’après les chiffres parus en juin. Qu’en est-il pour les généralistes ? Comment expliquer ce désintérêt ? Il est difficile de le savoir. Ce que disent les représentants des organisations syndicales de généralistes, c’est qu’il y a une forme de plafond de verre que nous ne parvenons pas à traverser : depuis 20 ans, nous avons un tiers des médecins qui sont engagés, dont une majorité qui est très active – c’est-à-dire que les praticiens vont bien au-delà des deux actions minimales sur le triennal. Et puis nous avons une série de médecins qui ne s’investissent pas. Est-ce qu’ils se forment ailleurs ? Peut-être ; sans doute. Est-ce que ce sont les thématiques qui ne conviennent pas ? J’ai du mal à le croire. Lorsque l’on regarde l’arrêté, toutes les thématiques principales qui pourraient intéresser un généraliste y sont, je crois. On essaie de les inciter en communiquant, mais je pense aussi qu’il faut des relais. Les CNP ayant proposé leurs orientations prioritaires doivent les promouvoir auprès de la profession qu’ils représentent...
Il y a aussi un levier à trouver dans la communication des ordres professionnels. A une époque - peut-être que cela existe d’ailleurs toujours – l’Ordre des pharmaciens envoyait tous les ans un courrier demandant aux pharmaciens où ils en étaient. Ces derniers devaient répondre. Avant le Covid, cela avait boosté la formation des pharmaciens. Ils étaient quasiment tous engagés dans quelque chose. Justement, comment mieux faire respecter l’obligation ? Comment percevez-vous le rôle des ordres ? Ceux qui sont en position de contrôler l’obligation, et donc de la faire respecter, ce sont les ordres – pour les professions à ordre. L’ordre doit pouvoir dire : "Attention nous arrivons à la fin du triennal, nous allons regarder." Il faut que nous alignions nos forces : l’ANDPC pour proposer une offre de qualité, les CNP pour promouvoir leurs orientations, les ordres pour aller au-devant des professionnels, les inciter à faire leurs actions. Faut-il envisager une nouvelle approche pour attirer les professionnels de santé ? Nombre d’entre eux se plaignent du démarchage téléphonique… C’est la question sur laquelle nous réfléchissons actuellement. Dans le code du commerce, il n’est pas interdit de proposer ces actions. On ne peut pas interdire purement et simplement le démarchage téléphonique ou l’envoi de mails. Ce qui est compliqué, c’est le harcèlement. Nous avons eu des signalements. Certains organismes appellent un même professionnel 10 fois par jour. Le pire, c’est quand l’organisme menace. Nous sommes d’ailleurs au civil avec un organisme. Ce dernier ne se fait pas vraiment passer pour nous mais il contacte les professionnels en disant : « On vous appelle pour l’ANDPC », donc le professionnel peut penser que c’est nous qui l’appelons. Puis formule des menaces : « attention si vous ne faites pas votre DPC, vous serez interdit d’exercer ». Certains professionnels se font avoir. Nous avons déjà instauré un cadrage : le comité éthique a fait une charte. En revanche, ce qu’il faudrait – et qui n’est pas possible dans la réglementation actuelle, c’est que l’on puisse suspendre l’enregistrement de l’organisme qui harcèle et menace. Aujourd’hui, nous n’avons pas de vecteur pour le faire. Nous travaillons là-dessus, et réfléchissons notamment à la possibilité de faire signer un engagement aux organismes – qui s’engageraient à ne pas harceler les professionnels. En cas de signalements récurrents, on pourrait suspendre l’enregistrement voire le retirer. J’ai aussi totalement conscience que pour un professionnel de santé qui se rend sur notre site, trouver une action qui peut l’intéresser est extrêmement compliqué. Nous avons un gros catalogue multicritères ; il y a environ 2.800 organismes et 30.000 actions. J’ai fait l’exercice et me suis « fait passer » pour un généraliste, une infirmière, et j’ai cherché les actions. J’ai eu immédiatement 60 à 80 actions qui m’étaient proposées. Laquelle choisir ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas la piste tout de suite – nous y travaillons – mais il faut qu’on parvienne à mettre à disposition des professionnels l’offre de façon mieux filtrée et plus clairement présentée. Comment va évoluer le DPC avec l'entrée en vigueur au 1er janvier 2023 de la certification périodique ? L’obligation de DPC va perdurer pour toutes les professions engagées dans la certification. Nous sommes en train de travailler avec le ministère de la Santé sur l’articulation, qui me paraît faisable. Autour de la certification, il y a quatre blocs (maintien des connaissances, des compétences, relation avec le patient, et la santé du praticien). Remplir son obligation de DPC via ces actions de DPC – puisqu’il y a de la formation continue, de l’EPP, et de la gestion des risques – peut contribuer à remplir les deux premiers blocs [de la certification] ; ce qui n’empêche pas d’ailleurs le praticien de faire autre chose à côté. Nous avons également des orientations qui portent sur la relation avec le patient, notamment la décision médicale partagée. Quelques actions de DPC qui pourraient être suivies dans le cadre de cette orientation pourraient aussi valoir quelques actions du troisième bloc de la certification. On est en train d’y travailler. L’enjeu pour nous est de ne pas empiler les obligations. Il faut essayer de les intégrer, faire en sorte que suivre une obligation de DPC permette de remplir en partie la certification périodique. Normalement les concertations sont en cours sur le contenu des blocs. Le ministère devrait publier avant la fin de l’année le décret qui portera là-dessus et donnera sans doute de la clarté sur l’articulation entre les obligations. Il y a déjà un texte d’après lequel l’ANS aura la charge d’héberger les comptes certification des professionnels. Nous avons immédiatement – dans un souci de simplification – envisagé de travailler avec cette structure pour ne pas obliger le professionnel à ouvrir un compte là-bas, un compte chez nous, un compte je ne sais où. L’objectif pour les professions soumises à la certification est qu’elles n’aient qu’un compte à ouvrir auprès de l’ANS – sauf pour être évidemment pris en charge chez nous (là ils auront un compte à ouvrir). Pour rendre compte de ce qu’ils ont fait, on se disait que le plus simple serait qu’ils ouvrent un compte à l’ANS et que les différents opérateurs contribuant au parcours de certification adressent les données à l’ANS pour qu’elles soient intégrées. En somme, qu’il y ait une autre de guichet unique permettant de simplifier le parcours des professionnels. S’ils doivent ouvrir un compte auprès de l’ANS, de chez nous, du FAF-PM, du FIF-PL… je crains hélas qu’ils ne renoncent.
A l’heure où le digital prend davantage de place dans la société, comment expliquez-vous le fait que pour la prochaine période triennale, l’accent soit mis sur les actions présentielles ? Comment voulez-vous faire évoluer les formats de l’offre ? Dans les fiches de cadrage, les CNP ont proposé des thématiques ainsi que les éléments de programme, et ont indiqué des attendus pédagogiques. Ils se sont aussi positionnés sur les formats : quelques-uns ont refusé le e-learning pur. C’est le cas notamment pour les orientations nécessitant de la mise en pratique, de la simulation, mais aussi des jeux de rôle, de l’interaction. Par exemple chez les pharmaciens, dans l’orientation bilan de médication ou conciliation, pour lesquelles il y a des entretiens à mener avec le patient, ils disent qu’il faut absolument un temps de mise en situation, ce qui ne peut se faire en e-learning. On a effectivement une appétence de plus en plus prononcée des professionnels pour le non présentiel alors même que la majorité de l’offre de DPC reste présentielle. Et on a inversement un certain nombre de CNP, ainsi que nos commissions scientifiques indépendantes (CSI), qui considèrent que sur certaines thématiques, pour faire une formation de qualité, cela ne peut se faire en tout e-learning. Clairement, il faut que dans la discussion avec nos instances, on se saisisse de ce sujet, que ce soit avec les CSI ou le Haut Conseil du DPC. Une autre question se pose : celle des formats courts. Ces derniers attirent de plus en plus les professionnels...
là où les ODPC – à quelques exceptions près – proposent des actions « longues » (7h-14 par exemple). Là aussi, nous devons mener un travail un peu scientifique. On voit s’installer un décalage entre ce qu’ont envie de faire les professionnels, l’offre et les exigences de ce que peut être une action de DPC de qualité pour que le professionnel n’ait pas qu’une sensibilisation mais soit véritablement formé et puisse réellement évaluer ses pratiques. Ce sera un axe de travail pour le prochain triennal. Quelles formations intéressent le plus les médecins ? Concernant les thématiques, c’est difficile de répondre. Entre un dermatologue, un chirurgien et un généraliste, ça ne va pas être les mêmes. Au niveau de l’offre, on a très peu d’offres de gestion des risques parce que je crois que la plupart des organismes ne savent pas faire. Je suis hospitalière à la base, j’étais à la Haute Autorité de santé – je m’occupais de la certification des établissements, une belle démarche de gestion des risques, on voit ce que c’est : il y a une équipe de soin, un process, des barrières de sécurité. Ils peuvent faire des revues de morbi mortalité avec les événements indésirables. En libéral, beaucoup d’organismes se demandent comment construire des choses similaires, sachant que le praticien est dans son cabinet. Comment construire une action collective ? Ce sont des questions qui ne sont pas simples. Concernant les médecins, il s’agit de la profession qui a le plus d’offres d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Ils commencent à s’y mettre, notamment autour de l’audit clinique. On va réunir bientôt les sections professionnelles pour sortir les tarifs pour 2023. On a décidé avec les sections de mécanismes incitatifs pour que les professionnels et les organismes fassent de l’EPP et de la gestion des risques. L’objectif est, plus encore que cette année, de valoriser les tarifs de ces actions. Sur le triennal, il y aura un plafond d’inscription à des actions de formation continue. Par exemple pour les médecins (3 x 21 heures), la section professionnelle pourra dire sur le triennal qu’ils ne peuvent pas faire plus de 42 heures de formation continue ; le reste devra passer par des inscriptions à des actions d’EPP et de gestion des risques. L’interprofessionnalité sera-t-elle aussi plus valorisée ? Sur la précédente période triennale, près de 85% des inscriptions des médecins concernaient des actions monoprofessionnelles… Les deux démarches s’entendent : chacun éprouve le besoin d’approfondir ses connaissances et ses compétences propres. Le DPC ne doit pas être que l’interprofessionnalité. Cela étant, il y a effectivement cet enjeu. Mais parfois, les ODPC proposaient du "vrai-faux interpro". Par exemple avec la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, certains ODPC incluaient les cardiologues, les MG, les infirmiers, les kinés. Or le contenu n’était pas relatif à comment on se coordonne autour de l’insuffisance cardiaque mais un cours sur l’insuffisance cardiaque. Le cardiologue ne va pas s’inscrire évidemment, ça ne l’intéresse pas. Lui ce qu’il veut ce sont les dernières recos, les dernières techniques. Beaucoup ne retrouvaient pas leurs attentes. On a donc précisé deux notions que sont le pluripro et l’interpro. Dans le nouveau formulaire de dépôt des actions, nous allons demander aux organismes de justifier le public auquel il les adresse. Pour le pluriprofessionnel, il s’agira d’une action de formation avec un contenu plutôt cognitif avec l’idée que cela touche des publics qui ont le même niveau de connaissances initiales et les mêmes attentes. Pour l’interpro, nous serons attentifs à ce que les objectifs pédagogiques ne soient pas des objectifs d’apprentissage cognitif mais de coordination, de liaison et d’adressage. On peut se former à un contenu commun, mais il faut que cela corresponde au niveau de tous les publics. Aujourd’hui on a des gags. Dans la prise en charge de la personne âgée par exemple, on a vu des organismes cocher les pédiatres et les auxiliaires de puériculture dans les publics. Ça n’a strictement aucun sens.
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