"On se protège, on porte des masques, on ne s’entend pas parler" : un médecin de Wuhan décrit la galère du coronavirus

30/01/2020 Par Louise Claereboudt
Interview exclusive
Depuis son apparition en décembre dernier en Chine, le coronavirus a fait 170 morts et 7.700 personnes ont été contaminées. En France, 5 personnes, dont 2 dans un état grave, sont atteintes et hospitalisées. Le Gouvernement français et la Commission européenne ont donc pris la décision, mardi 28 janvier, de rapatrier les ressortissants présents dans l'épicentre de l'épidémie : Wuhan. Présent sur place, le Dr Zhao Yan, médecin franco-chinois référent du consulat de Wuhan, directeur adjoint de l’hôpital Zhongnan de l’université de la ville et chef du service des urgences, fait le point pour Egora.fr sur la situation. 
 

Egora.fr : Comment le personnel hospitalier de Wuhan gère cette épidémie ? 

Dr Zhao Yan : Nous avons pris en charge beaucoup de personnes contaminées par le virus. Nous avons une section de consultations dites "fébriles" qui se font en dehors des consultations normales pour éviter une contamination croisée. Nous faisons ensuite des prélèvements, des examens, nous posons un diagnostic et nous prenons une décision. Pour les patients dont l'état n'est pas grave, nous demandons un isolement à domicile avec un traitement oral. Si leur état est grave, on essaie de les hospitaliser. Le plus difficile est ensuite de trouver un lit pour les malades. 

 

Quels symptômes présentent ces patients ?  

Ce sont des patients qui présentent un syndrome pseudo-grippal associant toux, rhinorrhée, myalgies et fièvre. Au début de l'épidémie, ces patients avaient tous été en contact direct ou indirect avec le marché de fruits de mer de Wuhan. 

Ils présentent une image radiologique typique (opacités en verre dépoli), des tests pour les virus standards négatifs. En revanche, ils se révèlent positifs aux tests au coronavirus, depuis que ce diagnostic biologique est disponible en clinique. Les cas de personnes âgées avec des facteurs prédisposants sont plus graves, mais la plupart des patients présentent un tableau bénin, même s’ils sont contagieux. 

La Chine a annoncé la construction de deux hôpitaux d'urgence pour prendre en charge uniquement les personnes contaminées par le coronavirus. Comment la répartition des cas est-elle faite ? 

La politique de prise en charge des maladies infectieuses chinoise est un peu différente de la politique française. En France, nous avons l'habitude d'avoir des services de maladies infectieuses au sein des hôpitaux. En Chine, on préfère avoir cela à part. Par exemple...

pour la tuberculose, les patients sont pris en charge dans des établissements spécialisés dans les maladies infectieuses. 

Wuhan avait initialement un ou deux hôpitaux spécialisés dans ces maladies mais ils sont maintenant débordés. Donc, dans un premier temps, l'Etat a réquisitionné 7 hôpitaux. Comme ce n'était pas suffisant, 30 hôpitaux ont été réquisitionnés au total. A cela se rajoute la construction de deux nouveaux hôpitaux. Avec une capacité totale de 2.600 lits environ. Ils prendront en charge uniquement les malades infectieux. Théoriquement, je pense que ça devrait être suffisant. 

Dans notre hôpital universitaire, nous avons 3.000 lits et nous avons environ 100 malades hospitalisés. Notre établissement est dédié à la prise en charge des personnes infectées et non infectées. Ce n'est pas parce qu'il y a le coronavirus que les gens ne font plus d'infarctus du myocarde. 

L'Etat a demandé que chaque grand hôpital prenne en charge un établissement de moyenne importance. Il a chargé notre hôpital universitaire de s'occuper de l'hôpital n°7 qui ne s'occupe que des personnes infectées en ce moment. 

 

Quelles sont vos conditions de travail depuis l'arrivée du virus ? 

Tout a changé. Comme le virus a une période d'incubation longue, potentiellement contagieuse, on est amené à considérer tous les patients comme contagieux. Dans l'hôpital, les soignants sont habillés de la tête aux pieds avec des combinaisons, des masques, des lunettes parce que ce virus est extrêmement contagieux par voie aérienne, par contact, par les conjonctivites etc.  

Même si les patients sont très surveillés, il y a quand même des personnes qui passent entre les mailles du filet. Du coup, on se protège. Ce qui implique qu'on a un moins bon contact avec le patient. Les malades aussi portent des masques, on ne s'entend pas parler… C'est difficile. Ce n'est pas la même pratique médicale. 

 

Etes-vous suffisamment équipés pour faire face à cet afflux de malades ?  

On a un grand souci en ce moment, c'est qu'il nous manque des masques et des combinaisons de protection même si des chaînes de production tournent à plein régime. Personne n'avait stocké assez de matériel car personne n'avait prévu l'ampleur de cette infection.  

Les gens pensent qu'on manque de médecins ou autres...

mais c'est faux. La maladie est bien identifiée, la prise en charge est bien codifiée, les médicaments il n'y a pas de problèmes, le personnel est présent, les hôpitaux sont là, mais il n'y a pas de matériel. 

Aujourd'hui il y a environ 2.000 à 3.000 médecins et soignants qui viennent d'arriver d'autres provinces, mais à cause du manque de masques, ils restent les bras croisés. On ne va pas les envoyer au casse-pipe. On essaie donc de voir avec les fournisseurs et on demande de l'aide un peu partout.  

La ministre de la Santé française, Agnès Buzyn, a indiqué que 500 à 1.000 Français se trouvent actuellement à Wuhan. Plusieurs centaines ont demandé à être rapatriés. Avez-vous connaissance de cas de Français contaminés ?  

Pour le moment, non. Nous sommes deux médecins français à Wuhan : moi-même et le Dr Klein. Les personnes qui présenteraient des suspicions seraient d'abord vus par le Dr Klein qui est un médecin généraliste en ville qui demandera éventuellement un isolement à domicile. Si le patient a besoin d'être hospitalisé, je m'en occuperai. Nous formons une bonne équipe. Si un patient français est contaminé, nous serons forcément au courant car nous avons des groupes de discussion avec le consulat et la commission de sécurité. On a également développé un groupe de discussion avec les Français qui ont choisi de ne pas rentrer en France. 

 

L'OMS n'a pas recommandé de telles évacuations d'étrangers. Pensez-vous que le rapatriement de ressortissants par de nombreux pays est sans risque ? 

C'est difficile à juger. Moi je ne suis pas très inquiet car je pense que la gestion de ce virus est en bonne voie, je le vois dans le nombre de consultations dans les deux hôpitaux que je gère (l'hôpital universitaire et l'hôpital n°7). Au début, on était à 800, 1.000, 1.500 consultations par jour. Maintenant, on en est à 700-800 consultations. Elles n'ont pas continué à exploser.  

Alors, est-ce que c'est parce que l'Etat a mis en place des restrictions de circulation ? Je ne connais pas l'explication. 

Partout dans le monde, l'inquiétude monte et de nombreux pays se barricadent pour éviter une propagation du virus. Quelle est l'atmosphère à Wuhan, épicentre de l'épidémie ? 

En ce moment, il n'y a personne dans les rues, il n'y a pas de voitures. Toute la ville est bloquée. Il n'y a ni avion ni train. Normalement, cette période de l'année du Nouvel an chinois est la plus importante. Les amis et la famille se réunissent. Il y a 4 milliards de Chinois dans les rues, sans exagérer. Il suffit de voir les photos des circulations routières et ferroviaires des années précédentes. Toutes les festivités ont été annulées cette année. Avant normalement on se serrait la main, comme en France on a l'habitude de se faire la bise. Maintenant on ne le fait plus, on dit de loin "hello" (rires). Ça fait bizarre. Mais éviter les contacts, les sorties, se laver les mains sont aujourd'hui des règles de bonne conduite qui semblent efficaces.  

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Stéphanie Beaujouan

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