Homéopathie : la communication de Boiron passée au crible

19/07/2019 Par Yvan Pandelé
Politique de santé
Projet Arcadie, un collectif de journalistes spécialisés dans l'analyse des lobbys, s'est penché sur la communication des industriels de l'homéopathie pour empêcher le déremboursement. Leur travail témoigne de l'ampleur de la communication et jette un doute sur l'origine d'une partie des soutiens à la pétition "Mon homéo, mon choix". De son côté, Boiron assume la communication mais récuse formellement toute manipulation des signatures.

  Le projet Arcadie, une plateforme d'informations sur la vie parlementaire française, s'est penchée sur la communication de Boiron à l'occasion de son troisième rapport sur le poids des lobbys au Parlement. L'intense lobbying du laboratoire lyonnais, et de ses consorts Lehning et Weleda, a été amplement noté et commenté dans la presse, mais ce travail lève un coin de voile sur certains aspects de la stratégie de communication à l'œuvre. [Mise à jour du 19 juillet 2019 : pour la réponse de Boiron et de son prestataire, voir en encadré.] Du point de vue du lobbying politique, Projet Arcadie relève 35 questions écrites portant sur l'homéopathie à l'Assemblée nationale, entre septembre 2018 et juin 2019. "Sur ces 35 questions écrites, 12 ont été posées par des députés Les Républicains et 12 par des députés La République En Marche", relève le rapport. S'il est difficile d'attribuer avec certitude l'ensemble des questions posées à l'industrie, la pratique est d'usage suffisamment courant pour qu'un doute soit permis. Un lobbying politique massif Les tentatives d'influences sont d'ailleurs confirmées par la députée LREM Aurore Bergé. "Nous avons été en tant que parlementaires harcelés de messages de la part de Boiron, qui nous a invités à des conférences, à des petits déjeuners, à des rencontres, qui a déployé énormément de moyens", a-t-elle déclaré le 11 juillet au micro de France Info. "Je pense que tous les parlementaires ont été [contactés par Boiron] pour que nous puissions influencer cette décision."

Mais l'offensive à l'Assemblée est restée, sinon mesurée dans ses moyens, du moins médiocre dans ses effets visibles. La "question du maintien du remboursement de l’homéopathie est restée à la marge à l’Assemblée nationale", note le rapport. En comparaison, les soutiens hors du Palais-Bourbon ont été bien plus énergiques. Des figures politiques comme Xavier Bertrand (président de la région Hauts-de-France), Laurent Wauquiez, président de la région Rhône-Alpes, ou encore Gérard Collomb, maire de Lyon, n'ont pas hésité à écrire à Emmanuel Macron ou Edouard Philippe pour apporter leur soutien aux industriels. Le remboursement intermédiaire à 15 % procède ainsi d'une proposition de Xavier Bertrand au président de la République. Ce n'est que dans un second temps que la communication s'est focalisée sur le soutien du public La campagne "Mon homéo, mon choix", financée par les trois laboratoires homéopathiques (Boiron, Lehning et le suisse Weleda) et intégrant des associations de professionnels, des sociétés savantes en homéopathie et des associations de patients, a été lancée début avril 2019. Au menu, entre autres : lancement d'un site, communication sur les réseaux sociaux, publication d'un livre blanc, organisation d'événements presse, contacts avec des influenceurs (notamment via des égéries Instagram, comme l'a relevé Numérama)… Sur le site internet figurent des informations sur l'homéopathie, dont la fameuse statistique de "3 Français sur 4" ayant déjà eu recours aux granules au cours de leur vie. Un chiffre issu d'un sondage Ipsos de 2017, commandé par Boiron, Lehning et Weleda. "Les patients suivis par un médecin homéopathe prennent en moyenne 2 fois moins d’antibiotiques et 3 fois moins de psychotropes pour un résultat clinique équivalent", peut-on aussi y lire, en référence à la fameuse étude EPI-3 (elle aussi financée par Boiron). Si l'affirmation est valide au sens strict, elle ne manque pas de suggérer un lien de causalité qui n'est en rien démontré.

Source : Projet Arcadie, juillet 2019.

Toute stratégie de communication digne de ce nom comporte une dimension d'astroturfing : il s'agit pour une entreprise de lancer et financer des mouvements apparemment spontanés, en restant à l'arrière-plan. En l'espèce, la pétition "Mon homéo, mon choix", qui compte aujourd'hui plus de 1,2 million de signatures, fait figure de pièce maîtresse. Lancée en même temps que la campagne, la pétition pouvait être signée de trois manières : sur le site internet, via un SMS, ou par l'intermédiaire de coupons papier proposés en officine ou cabinet. Lancée début avril, elle a dépassé le million de signatures en juin. Une progression qui a laissé quelques commentateurs circonspects. En l'espace de 24 heures, du 11 au 12 juin, la pétition a recueilli 80 000 signatures supplémentaires. Soit 8 % de la totalité des signatures récoltées en une journée, quelques jours avant la parution de l'avis de la HAS. Incertitude sur la pétition Pour y voir plus clair, Projet Arcadie a scanné le site de la pétition avec Similar Web, une plateforme d'analyse permettant de déterminer le trafic, les sources de trafics et les interactions d'un site web. Selon cet outil, la plateforme a recueilli 1 098 000 visites entre début mars et fin mai 2019, dont 97 % en provenance de France. Si l'essentiel du trafic provient des emails (30 %) et des recherches directes (26 %%), la publicité (hors réseaux sociaux) représente presque 10 % du trafic entrant.

Sources du trafic vers la pétition "mon homéo, mon choix", d'après les données de Projet Arcadie, juillet 2019.

"Ces publicités ont principalement été placées chez des éditeurs de mails gratuits : SFR, Outlook, Gmail", relève le rapport. Le cinquième nom de domaine (6,78 % du trafic publicitaire) est plus "curieux" : il s'agit de Gaddin.com, un site qui rémunère les internautes pour des micro-tâches sur le web, telles que le parrainage de site ou la signature de pétitions en ligne. "Se pose alors une question : les signatures collectées sur le site monhomeomonchoix.fr, sont-elles de véritables signatures ou des signatures rémunérées via le site Gaddin.com ?", s'interroge Projet Arcadie, sans répondre. Le site de la pétition ne permet de vérifier que les 50 000 derniers signataires, dont les deux-tiers environ ont choisi de rester anonymes. Une chose est sûre : la communication des industriels de l'homéopathie n'a pas suffi à empêcher la HAS de défendre le déremboursement, ni l'exécutif d'en tirer les conséquences, après quelques jours d'hésitation perceptible. Mais Boiron n'a pas renoncé à faire fléchir le Gouvernement : dans un entretien au Monde, sa directrice générale a annoncé son intention de faire changer d'avis Agnès Buzyn, puis éventuellement Emmanuel Macron. "Sinon, nous déposerons un recours pour excès de pouvoir auprès du Conseil d’État", conclut-elle.   Pour lire le rapport de Projet Arcadie sur le poids des lobbys au Parlement

Pour Boiron, de la communication mais aucune manipulation Mis en cause sur sa stratégie de communication, Boiron a tenu à répondre aux interrogations soulevées par Projet Arcadie, qu'ils estiment infondés et biaisés. En commençant par les doutes sur la pétition : "Nous avons fait un constat d'huissier pour les signatures", nous indique ainsi un porte-parole de l'entreprise. Le constat, dont nous avons eu copie partielle, dénombre 1 112 479 pétitions au 28 juin 2019, ainsi réparties :

  • 99 218 signatures via le numéro de SMS mis en place ;
  • 434 031 signatures en ligne via le site monhomeomonchoix.fr ;
  • 579 232 pétitions papier.

  La vérification de l'huissier consiste à constater les premières entrées récoltées (5000 premières lignes du fichier des signatures web, 4000 premières lignes du fichier des signatures SMS en métropole, la totalité pour les deux fichiers SMS d'Outre-mer) et de vérifier une partie des bulletins papier sélectionnés au hasard (contrôle par échantillonnage). La procédure ne permet pas de contrôler l'origine de l'ensemble des signatures mais permet au moins d'attester l'absence de fraude grossière (signatures dupliquées, noms fantaisistes, données incomplètes, etc.) sur une partie substantielle des données. Aucun achat de signature, assure l'agence web Du côté de Monolith Partners, le prestataire en charge de la campagne "Mon homéo mon choix", on est formel : il n'y a pas eu d'achat de signature. "Gaddin.com n’apparaît pas chez nous : je n’ai aucune remontée de ce site-là, et je suis allé en-dessous des 400 ou 500e sources", assure Laurent Foisset, PDG de l'agence. Il ne s'explique pas la présence de ce site de microworking dans les sources de trafic identifiées par Projet Arcadie, et en conclut que l'outil utilisé (Similar Web) est "approximatif". Il fait aussi valoir que le trafic concerné ne correspond qu'à 0,7 % des signatures web, estimant qu'il n'est "pas très honnête" de remettre en cause la pétition sur ces bases. Quant au constat d'Egora sur la montée en puissance parfois étonnamment rapide de la pétition – près de 80 000 signatures gagnées entre le 11 et 12 juin –, Laurent Foisset l'attribue principalement à l'afflux de pétitions papier, distribuées auprès des pharmaciens d'officine et des praticiens homéopathes. Après acheminement, le décompte était effectué "tous les jours ou deux jours", précise-t-il, évoquant des "grosses journées" à "30 ou 40 000 coupons d'un coup". Pour le reste, Boiron assume avoir mis en œuvre une stratégie de communication d'ampleur, au travers du collectif "Mon homéo mon choix". S'il refuse de donner le montant, le porte-parole confirme que l'entreprise lyonnaise a pris en charge "la majeure partie" du coût de la campagne. Il récuse également le terme d'astroturfing, estimant qu'il n'y a "aucun ambiguïté sur qui porte le message". "On ne nie pas qu’il y ait eu des actions de com' : on a utilisé plein de leviers marketing, dont des influenceurs, de l’emailing, du native advertising, Facebook, des mot-clés Awords…", confirme Laurent Foisset, qui identifie trois cibles grand public principales : les femmes avec enfants, les sportifs et les séniors.

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Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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