“Démythifier”, “débunker”, “décrypter”... “Utilisons le mot que vous voulez, mais il nous semble essentiel de démystifier certaines fausses idées qui circulent actuellement dans la sphère politique et qui occasionnent des textes, des propositions de loi ou des amendements qui seront finalement contre-productif pour améliorer l’accès aux soins”, expose la Dre Élise Fraih, présidente de ReAGJIR. En plein examen de la proposition de loi Valletoux et des amendements controversés portés par le député Guillaume Garot, le syndicat regrette que ces textes prônant notamment la régulation, la coercition ou la contrainte illustrent une “méconnaissance” de l’exercice libéral et des ambitions des jeunes médecins et des remplaçants.
Alors que la plupart de ces thématiques seront abordées à l’occasion de leurs Rencontres nationales dont Egora est partenaire, la Dre Elise Fraih et son secrétaire général, le Dr Raphaël Dachicourt, passent au crible dix de ces idées reçues qui vont de l’analyse des problèmes de démographie médical à l’exercice des jeunes médecins en passant par les aides, la rémunération ou les accusations de corporatisme :
1) “On n’aurait pas de problèmes d’accès à un médecin traitant si tous les remplaçants s’installaient”
“Il y a un véritable besoin de remplaçants. Aujourd’hui, un médecin généraliste installé qui veut prendre des congés, se former, qui doit être en arrêt, qui est en congé maternité ou paternité, a besoin d’un remplaçant pour assurer la continuité des soins, affirme le Dr Raphaël Dachicourt. On a l’habitude d’entendre en période de vacances ce cliché qui consiste à répéter qu’on ne trouve plus de remplaçants, mais c’est faux.”
Selon le dernier atlas de l’Ordre des médecins, les remplaçants représentent environ 5% des médecins en exercice. “En ce qui concerne les généralistes, il y a environ un remplaçant pour dix médecins installés. On se rend bien compte que ce n’est pas ce ratio qui va combler la pénurie médicale”, ajoute la Dre Élise Fraih pour qui il serait absurde de les forcer à s’installer. “Imaginons qu’il n’y ait plus de remplaçants : on va se retrouver avec des cabinets débordés, qui devront travailler 52 semaines par an ou des médecins qui devront fermer leurs cabinets.”
Dans une étude publiée en 2021 intitulée “Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques - Les leçons de la littérature internationale”, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) relevait que l’un des leviers pour améliorer les conditions d’exercices des médecins - et favoriser leur installation - était notamment de mieux organiser et de faciliter le remplacement dans les territoires. “Nulle part il n’est question de forcer à l’installation ou de supprimer le remplacement”, insiste Raphaël Dachicourt.
Pour les deux jeunes généralistes, les politiques oublient aussi de prendre en compte le fait que le manque de moyens universitaires engendre des délais supplémentaires pour les futurs médecins qui veulent soutenir leur thèse. “Pas de thèse, pas d’installation”, rappelle pourtant la présidente de ReAGJIR.
2) “On n’a jamais eu autant de médecins, mais ils ne veulent pas s’installer là où on a le plus besoin d’eux”
“87% du territoire est sous-doté donc des manques, il y en a partout !”, rappelle Elise Fraih. “Est-ce que pour autant on va dans des endroits qualifiés ‘d’attractifs’ ?” Non, on va dans des endroits attractifs pour nous. Ça ne veut pas dire que c’est à la mer ou là où il y a de l’argent !”, proteste-t-elle vivement. Pour les deux syndicalistes, un jeune généraliste s’installe surtout là où il a une structure “affective, professionnelle et là où il pourra avoir un exercice épanoui”. Les récentes études le montrent d’ailleurs selon eux : aujourd’hui, l’Île-de-France est le premier désert médical de France.
“Il est vrai qu'on n'a jamais eu autant de médecins, reconnaît Raphaël Dachicourt. Mais on n'a jamais eu non plus autant de besoins de santé car on fait face au vieillissement de la population et à une augmentation des pathologies chroniques. Forcément, en ces temps de pénurie médicale, le ratio n’est pas suffisant.” Et puis, tient-il à rappeler, les médecins sont les professionnels de santé les mieux répartis sur le territoire selon un rapport de l’Assurance maladie. “De toute façon, il ne faut pas tout confondre. Le seul indicateur qui permet de montrer la démographie du territoire, c’est l’APL [accessibilité potentielle localisée, ndlr]”, estime-t-il encore, reprochant aux politiques de se concentrer sur des cartographies présentant uniquement la densité de médecins sur un territoire donné. Créé en 2017, l’APL a été développé pour “mesurer l’adéquation spatiale entre l’offre et la demande de soins de premier recours à un échelon géographique fin”, précise la Drees.
Enfin, une enquête de l’Ordre des médecins sur les déterminants à l’installation des jeunes médecins réalisée en 2019 montrait que si la proximité familiale est le critère le plus souvent cité, il l’est à égalité avec l’existence de services publics (61 % et 62 % respectivement). Ce deuxième aspect est même plus important pour les médecins déjà installés, relevait l’Ordre.
3) “La coercition à l’installation, ça marche à l’étranger donc ça marchera en France”
Pour Elise Fraih et Raphaël Dachicourt, cette affirmation - régulièrement brandie par les politiques, est “complètement fausse”. “Il y a deux choses : la régulation à l’installation et la coercition. La coercition a été testée dans quelques pays et c’est une catastrophe, rapporte le secrétaire général. Même si on augmente temporairement le nombre de médecins dans un endroit, quelle sera la conséquence ? Un turn over de jeunes médecins, qui manquent d’expérience. Ce n’est pas bon pour les patients et les études montrent que cela dégoûte aussi les potentiels praticiens qui avaient un projet d’installation dans ces zones.”
Quant à la regulation, c’est “questionnable”, estime-t-il. “Si on a un territoire qui s’en sort à peu près, un autre qui est en difficulté et qu’on régule… le résultat serait qu’on fasse une moyenne de ‘je suis un peu moins en difficulté’?” A ses yeux, cette idée reçue repose essentiellement sur le fait que pour les politiques, “si on empêche une installation à un endroit, elle se fera automatiquement ailleurs sur le territoire français.” Citant le modèle allemand, fréquemment vanté par les défenseurs de la coercition, Raphaël Dachicourt rappelle qu’un rapport du Sénat avait conclu que cette mesure n’avait pas permis de résoudre les problèmes d’accès aux soins outre-Rhin. “Si ça limitait les installations en zones sur-denses, ça ne conduisait pas les autres vers les sous-denses mais plutôt vers les zones frontalières où vers d’autres modes d’exercice”, complète-t-il.
“C’est méconnaître l’exercice de la médecine libérale”, regrette de son côté Elise Fraih. “Il existe effectivement beaucoup d’autres modes d’exercice qui ne sont pas contraints et sont en train de drainer les généralistes”, alerte-t-elle.
4) “Les aides à l’installation ne servent à rien”
“Encore faudrait-il qu’elles soient connues ! ironise Elise Fraih. Je mets au défi un étudiant en médecine qui a un projet d'installation d’essayer de comprendre quelque chose au zonage ZIP/ZAC et autres ! A moins de connaître parfaitement le site de l’ARS, taper un code postal et être à l’aise avec les acronymes, savoir en plus que la commune à une aide de son côté… c’est compliqué.”
Au-delà de l'imbroglio autour des aides largement dénoncé par les syndicats d’étudiants en médecine et de jeunes médecins, Elise Fraih et Raphaël Dachicourt rappellent que ces dernières peuvent aider un jeune praticien à investir dans un local ou dans du matériel. “C’est justement en début d’installation qu’il y a besoin de débloquer des fonds pour du matériel car nous n’avons pas forcément de patientèle médecin traitant. Les aides peuvent être impressionnantes mais elles ne sont pas pour nous enrichir dans notre patrimoine. C’est un investissement pour un service, pas une individualité”, affirme la présidente du syndicat.
“En plus, si les aides étaient mieux fléchées, cela permettrait un recrutement moins ‘CSP+’. On sait que recruter des étudiants qui viennent de territoires en zones sous-dotées et qui y ont leur famille, c’est le meilleur moyen de les faire revenir une fois diplômés”, ajoute Raphaël Dachicourt. Mais ce n’est pas tout : “Quand on parle d’aides, on ne parle pas que d’argent. On parle aussi d’aide humaine, d’accompagnement à l’installation. La charge administrative est un frein à l’installation en libéral”, soulève-t-il encore. A ce sujet, le syndicat ReAGJIR défend d’ailleurs la création d’un guichet unique d’accompagnement à l’installation.
5) “Le problème de l’accès aux soins est la conséquence de la féminisation de la profession”
Même si les mentalités évoluent peu à peu, l’idée que la féminisation de la médecine accroît les problèmes d’accès aux soins revient encore régulièrement dans les débats. “Il y a notamment un modèle viriliste des médecins d’une génération plus ancienne qui travaillaient de 7h à 22h, étaient appelés la nuit et étaient les ‘superhéros’ de la campagne… qui partagent toujours ce point de vue”, avance Elise Fraih. “Quand on regarde plus en détail, pour la plupart, ils ont peu absorbé la charge mentale de leur famille, vu leurs enfants grandir. Leurs femmes étaient leurs secrétaires voire femmes au foyer. Ils surfent sur le fait qu’ils ont fait les deux, mais en tant que jeune femme, je ne suis pas d’accord.”
Pour la présidente de ReAGJIR, la féminisation de la profession a au contraire permis de faire entrer le concept de charge mentale du foyer dans l’exercice de la médecine. “Les femmes ont en majorité, même s’il faut souligner que ce n’est pas toujours le cas, la responsabilité du foyer ou des personnes à charge. Elles ont dû trouver des organisations de travail, des manières d’exercer qui a permis de dire ‘ce n’est pas possible, voilà pourquoi ça devrait l’être pour tous”, ajoute-t-elle.
“Ce n’est même pas une question genrée mais de génération : hommes ou femmes, on partage tous ce point de dire ‘on ne veut pas vivre comme ça’. Les jeunes médecins de manière générale veulent pouvoir articuler vie professionnelle et vie personnelle”, complète Raphaël Dachicourt. Alors qu’une mission sur la santé mentale des soignants est actuellement menée par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée à l'Organisation territoriale et aux Professions de santé, il insiste sur la nécessité d'améliorer leurs conditions d’exercice. “Il faut aussi avoir de la force pour refuser de se sacrifier car on peut mieux soigner et plus longtemps”, estime-t-il. “Notre génération parle plus des problèmes de santé mentale, elle veut se protéger. C’est un phénomène qui transparaît de la société vers la médecine en tant que micro-société”, abonde Elise Fraih.
Autre bénéfice de la féminisation de la profession de médecin selon elle : l’émergence dans le débat public de certaines pathologies dont on parlait peu auparavant, comme l’endométriose. “C’est aussi le cas des violences dans les soins”, illustre-t-elle.
6) “Les médecins ne font que demander plus d’argent au lieu de se soucier des patients”
“Il y a une image qui ressort dans les médias grand public notamment à l’occasion des négociations conventionnelles qui est toujours de demander plus d’argent… Pourtant, aucun syndicat ne demande que de l’argent. Il y a toujours un ensemble de propositions qui vont avec et qui sont beaucoup moins médiatisées”, regrette le secrétaire général de ReAGJIR. Le syndicat porte notamment une série de mesures pour améliorer la formation, le travail interprofessionnel, l’organisation du système de santé ou pour libérer du temps médical… “Il y a forcément un enjeu de valorisation mais qui s’inscrit dans un projet de valorisation de l’entreprise médicale. C’est ça qu'on aimerait mettre en avant”, assure Raphaël Dachicourt.
“On a demandé une revalorisation du G à 30 euros lors des dernières négociations avec l’Assurance maladie tout simplement pour suivre le niveau d’inflation et pour pouvoir investir dans des locaux, du personnel, du matériel. Un généraliste, ça ne met pas tout son chiffre d'affaires dans sa poche !”, grince Elise Fraih.
7) “Les médecins sont corporatistes, ils ne veulent pas travailler avec les autres professionnels de santé”
“Il y a le travail en équipe vu par la sphère politique et le travail sur le terrain. Les débats politiques sont cristallisés autour du ‘pour/contre les IPA’ par exemple, mais en pratique, sur le terrain, ce n'est pas la même chose… Quand on échange avec des médecins ou d’autres professionnels de santé, on se rend compte que c’est déjà fluide dans les territoires. Ils se connaissent, travaillent ensemble avec un objectif commun”, souligne le représentant de ReAGJIR. A ses yeux, cela pose un vrai problème : “On se retrouve à légiférer pour créer des coopérations qui doivent se faire sur le terrain. Les parlementaires doivent-ils vraiment obliger des soignants à travailler entre eux au lieu de simplement leur donner la possibilité de mettre en place des outils adaptés ?” interroge Raphaël Dachicourt qui précise aussi qu’il y a aujourd’hui une vraie volonté des jeunes médecins de travailler en équipes interprofessionnelles.
Très clairement, pour les syndicalistes, “le débat politique ne répond pas aux besoins de terrain”. “L’important est de travailler en équipe. On n’est pas contre la montée en compétences, tient à rappeler Elise Fraih. Mais il faut avant tout construire un projet de santé, cadrer les choses. D’un territoire à l’autre, ces fonctionnements peuvent changer car les organisations ou les besoins de santé ne sont pas les mêmes.”
8) “Les études des médecins sont payées par la société, ils sont redevables”
Comme le démontre une enquête d’Egora, les études de médecine ne sont pas plus payées par l’Etat que toute autre formation publique. Par ailleurs, à partir de la quatrième année de médecine, les carabins commencent à travailler à l’hôpital. En tant qu’internes, ils travaillent en moyenne 58 heures par semaine selon une étude de l’Intersyndicale nationale des internes alors que le cadre légal réglementaire est fixé à 48 heures hebdomadaires.
Selon les calculs issus de notre enquête sur la rentabilité des étudiants en médecine, en formant un médecin généraliste pendant neuf ans dont trois d’internat, le gain total pour l’État est de 210 085 euros si l’on compare avec un praticien hospitalier en équivalent temps plein en moyenne. En formant un médecin spécialiste pendant 11 ans dont cinq d’internat, le gain pour l’État est de 366 587 euros.
“Toutes les études publiques sont payées par l’Etat, quel que soit le métier derrière. On répète que nous sommes redevables parce que politiquement, ça a été porté comme ça et qu’il y a un problème d’accès aux soins”, estime Raphaël Dachicourt. “On travaille pour moins de 3,90 euros de l’heure comme externe à Bac+5. On est baladés tous les six mois en stage et on fait tourner les services comme interne. On accède à l’autonomie financière bien plus tard que beaucoup d’autres étudiants. Entendre qu’on est redevables ? Mais on donne déjà six ans de notre vie !”, ajoute Elise Fraih.
9) “Le remplaçant est un mercenaire profiteur qui ne participe à aucune des missions des installés et s’en met plein les poches”
“On a grossi le trait de cette idée reçue mais l’expression de ‘mercenaire profiteur’, elle existe bien…”, souffle Elise Fraih. “C’est complètement faux. Un remplaçant assure toutes les missions d’un installé en son absence : suivi, prévention, soins urgents… Il n’y a donc pas une sous-médecine du remplaçant. Il reprend les horaires habituels du cabinet et donc ne travaille pas moins qu’un installé. Il participe aussi à la permanence des soins, contrairement à ce qu’on entend souvent”, argumente-t-elle.
“Un remplaçant, c’est un rôle essentiel avec un statut méprisé, résume Raphaël Dachicourt. Le fait de l’associer à un mercenaire, c’est méconnaître toute la réalité des remplaçants. Il s’agit d’une phase essentielle dans un projet professionnel qui permet de tester différents lieux, modes d’exercice et cela permet d’aboutir à un projet d'installation pérenne et d’éviter le déplacage au bout d’un an.” Car “oui, ajoute-t-il, il y a bel et bien des projets d’installation à la clé”. Selon une enquête de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes en médecine générale, environ 83% des futurs généralistes en fin de DES* ont un projet d'installation dont 25% à une échéance de moins de trois ans.
La présidente du syndicat tient à insister sur le fait que les remplaçants ne bénéficient pas d’un régime fiscal plus intéressant et qu’ils ne peuvent pas toucher de rémunération forfaitaire contrairement aux installés. “C’est donc impossible qu’il fasse une recette plus importante qu’un installé”, sourit-elle. Au-delà de la rémunération, ReAGJIR déplore que les remplaçants soient privés de formation continue, de l’avantage maternité ou paternité par exemple, ou encore qu’ils n’aient pas d’accès sur Ameli pro. “Il n’est pas possible de spécifier exactement ce qu’ils font et cela entretient l’image du mercenaire”, regrette Elise Fraih.
*diplôme d’études spécialisées
10) “Les syndicats de médecins ne sont pas représentatifs des médecins sur le terrain”
“A ce sujet, on pourrait répondre ‘ni oui ni non’”, plaisante Elise Fraih. Reconnaissant qu’il existe aujourd’hui assez de syndicats pour représenter toutes les opinions des médecins, elle dénonce néanmoins le fait qu’il n’est pas possible pour ReAGJIR d’être représentatif aux élections URPS. “On perd faute de votants, nous ne sommes pas en mesure de faire voter nos adhérents”, précise-t-elle. ReAGJIR défend donc la création d’un collège remplaçant à l’occasion des futures élections professionnelles, et souhaite que la convention “définisse des règles spécifiques aux remplaçants, comme à propos des revalorisations forfaitaires.”
Lors des dernières négociations conventionnelles, le syndicat avait été invité par la Caisse nationale d’Assurance maladie en qualité d’observateur. “Les syndicats étaient là pour parler du futur de la médecine… mais nous, jeunes médecins, ainsi que les organisations représentatives des étudiants en médecine, nous n’avions pas notre mot à dire… C’est dommage, même si nous soulignons l’effort de nous avoir invités”, tempère Elise Fraih.
“Il faut aussi reconnaître que peu de médecins ont voté aux dernières élections. Le taux de participation était de 22%... Avant de dire que les syndicats ne représentent pas, c’est mieux d’aller voter !”, sourit Raphaël Dachicourt.
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