"On a fait comme s'il était normal que les médecins libéraux galèrent" : le discours de vérité d'Aurélien Rousseau au congrès de la CSMF
Intervenant en ouverture de l’Université d'été de la CSMF à Arcachon, vendredi 6 octobre, le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention Aurélien Rousseau a joué la carte de la franchise, reconnaissant les erreurs stratégiques commises récemment par les pouvoirs publics : accent mis sur les soins non programmés au détriment du médecin traitant, « mirage » de l’accès direct aux paramédicaux, absence de reconnaissance de la pénibilité de l'exercice libéral… Mais il également renvoyé les médecins à leur responsabilité sociétale, taclant au passage les choix des jeunes aux ECN. « Le temps est venu de se parler franchement », a attaqué Aurélien Rousseau, venu ce vendredi se confronter à une assemblée de quelques 250 médecins libéraux, réunis par la CSMF à Arcachon à l’occasion de sa 29e Université d’été. A quelques jours d’une mobilisation de la profession qui s’annonce « sans précédents », de l’examen à l’Assemblée du budget de la Sécurité sociale pour 2024 et au Sénat de la proposition de loi Valletoux, et de l’entrée en vigueur d’une revalorisation de la consultation de base qualifiée d’ « humiliation », les attentes étaient fortes. « Vous prenez les rênes de votre ministère dans un moment de tension que je qualifierais d’historique », a résumé le Dr Franck Devulder, président de la confédération. Face aux difficultés d’accès aux soins, le responsable syndical a appelé Aurélien Rousseau à être le ministre de la refondation du système de santé, quand tous ses prédécesseurs « ont repoussé le problème », ne prenant que « des demi-mesures » et ne considérant la santé au fil des années que comme un « coût » qu’il faut maitriser, voire réduire. « Votre engagement est lourd, votre responsabilité est immense. Les Français vont vous demander des comptes », a lancé le président de la CSMF au ministre. "Quand je vois les choix aux ECN, je me pose quelques questions" « Vous avez dit que les Français nous demanderaient des comptes… je crois que ce 'nous' il vous englobe aussi », a d’emblée corrigé Aurélien Rousseau en prenant la parole à son tour. « Oui, ils demanderont des comptes aux pouvoirs publics, et ils demanderont des comptes aux medecins », a-t-il insisté. S’il reconnaît que les derniers ne sont « pas responsables » de la démographie médicale actuelle, le ministre a néanmoins interpellé l’auditoire sur les choix de spécialités des futurs internes. « Je pense que dans quelques années, on demandera des comptes à certains de vos jeunes confrères, quand je vois les choix des ECN. Je me pose des questions aussi, sur ce métier qui ne doit pas devenir un métier comme les autres. Lorsque la psychiatrie sort en dernier et la chirurgie plastique en premier, je m’interroge », a-t-il lancé assumant de prendre « quelques risques »… et provoquant l’indignation de la salle. Le ministre a néanmoins reconnu certaines erreurs commises par les pouvoirs publics, qui ont sans doute contribué à l’échec des négociations conventionnelles au printemps dernier. « Les médecins généralistes comme les spécialistes perçoivent pleinement leur responsabilité territorial, populationnelle, on n’a pas besoin que le ministre dans sa lettre de cadrage leur redise, ça donne un sentiment d’infantilisation », a-t-il relevé, faisant son mea culpa en tant qu’ancien directeur de cabinet d’Elisabeth Borne à Matignon, chargé de relire et valider ce document stratégique.
Prenant le contrepied de son prédécesseur François Braun, Aurélien Rousseau a regretté l’accent mis ces dernières années sur les soins non programmés, au détriment du rôle du médecin traitant. « L’accès aux soins non programmés est devenu une espèce de revendication sociale et politique majeure, on l’a mis devant l’accès au médecin traitant », a-t-il déploré, tout en maintenant le cap quant à la généralisation des Service d’accès aux soins (SAS) sur le territoire national en 2024. « Garantir à chaque Français d’avoir un médecin traitant, c’est le cœur de mon action », a-t-il insisté. L'accès direct, "un mirage" De même, alors que les transferts de compétences vers les paramédicaux se sont accélérès ces dernières années, Aurélien Rousseau a tenu à rassurer la profession sur sa place « centrale » dans le parcours de soins. « Penser que c’est l’accès direct qui nous sortira des difficultés, c’est une fausse promesse, c’est un mirage… je ne poursuivrai pas ce mirage », a-t-il lancé, salué par l’auditoire. S’il faut pouvoir « s’appuyer sur les compétences des différents métiers » en mettant « le bon professionnel au bon endroit pour la bonne personne », « c’est au médecin de pouvoir suivre toutes les interventions professionnelles dans le parcours du patient, il n’y aucune ambiguïté. » Il a par ailleurs souligné la nécessité de « reconnaitre, y compris financièrement, la pénibilité de l’exercice médical » en ville. « Nous avons eu un tort - et je me mets dedans- qui est celui de ne pas percevoir, de ne pas formuler suffisamment, la reconnaissance de ce qu’est la pénibilité de votre exercice professionnel quand vous ne pouvez pas faire face à la demande de soins parce que c’est physiquement impossible. On a héroïsé le travail des soignants à l’hôpital pendant le Covid et fait comme s’il était normal que les médecins libéraux galèrent, tiennent, repoussent leur date de départ en retraite. » Alors qu’il s’apprête à défendre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 lors de l’examen à l’Assemblée nationale, Aurélien Rousseau a également assuré qu’il « continuer[ait] à défendre la position du Gouvernement contre toute forme de coercition » pour les médecins. Il a, enfin, de nouveau exprimé son souhait de voir s’ouvrir « au plus vite » un nouveau cycle de négociations conventionnelles, sans toutefois donner de date. « Le règlement arbitral n’est pas la fin de l’histoire, je ne peux pas me résoudre à l’absence de cadre conventionnel signé », a-t-il déclaré. Le ministre a d’ores et déjà relevé quatre « enjeux majeurs » : l’attractivité de la médecine de ville – « que davantage de jeunes s’installent » ; « la pertinence et la qualité des soins, dans un contexte d'une très forte dynamique des dépenses de ville » ; « le renforcement du rôle du médecin traitant et la structuration de la médecine spécialisée » ; et la rémunération, afin notamment de « construire des modèles plus adaptés aux parcours complexes ».
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