« Santé 2030 » est un travail prospectif inédit réalisé par Le Leem (Les entreprises du médicament) avec le think tank Futuribles. Plus de 30 experts renommés ont apporté leur vision sur ce nouveau monde de la santé qui se dessine d’ores et déjà, façonné par une formidable vague d’innovations dont certaines sont déjà largement médiatisées, on pense à la médecine régénérative, à la thérapie génique, à l’immunothérapie ou à l’intelligence artificielle, tandis que d’autres, comme la microfluidique, commencent tout juste à faire parler d’elles.
En 2030, autrement dit demain, la France comptera 70 millions d’habitants dont plus de 10 millions âgés de plus de 65 ans souffrant de plusieurs maladies chroniques, y compris des cancers qui seront sous contrôle sans être guéris, grâce notamment aux thérapies ciblées et à l’immunothérapie. Le Pr Nicolas Girard, onco-pneumologue à l’Institut Curie, indique qu’en oncologie, des centaines de molécules sont actuellement en cours de développement qui permettront d’ici 10 ans, notamment grâce à l’intelligence artificielle (IA), de proposer des séquences thérapeutiques afin d’échapper aux phénomènes de résistance qui peuvent s’observer aujourd’hui après une certaine durée de traitement, notamment avec les thérapies ciblées. Quelle séquence thérapeutique faudra-t-il proposer à tel patient ? Cette séquence pourra-t-elle comporter des pauses thérapeutiques ou faudra-t-il traiter en continu ? Toutes ces questions trouveront leurs réponses dans une combinaison de moyens qui sont autant de vecteurs d’innovation (cf tableau 1). Toutefois, si ces innovations vont impacter l’organisation de notre système de santé, la plupart de ces patients chroniques étant pris en charge en ambulatoire, se posera la question de la soutenabilité de cette vague d’innovation. Car ces traitements atteignent parfois des coûts vertigineux, c’est le cas des CAR-T cells par exemple dont un traitement à visée curative peut atteindre 400.000 euros, voire plus. Et si les CAR-T cells trouvent aujourd’hui des indications dans certaines hémopathies malignes, notamment la leucémie aiguë lymphoblastique, des tumeurs solides seront aussi très certainement éligibles à ce type de traitement dans les prochaines années.
Tableau 1 : les principaux vecteurs d’innovation pour relever les défis thérapeutiques, pour la plupart impactés par les défis environnementaux et sociétaux. C’est donc dès à présent qu’il faut penser la santé 2030 et pour Philippe Lamoureux, Directeur général du Leem, la réflexion doit urgemment prendre de la hauteur. A l’heure où le médicament devient progressivement un élément d’une solution intégrée de santé, dans un environnement digital permettant d’en suivre l’efficacité, une régulation purement comptable où le médicament devient à lui seul la variable d’ajustement du budget santé de la nation est une impasse. Il convient dès à présent de s’assurer que les gains d’efficience permis notamment par le virage ambulatoire porté lui-même par le progrès thérapeutique soient restitués pour assurer la soutenabilité des coûts de notre système de santé, a souligné Philippe Lamoureux. Qui tient aussi à préciser qu’il n’existe pas de tabous pour une industrie du médicament prête à envisager des options telles que le prix par indication ou le prix à la performance, l’industriel remboursant la prise en charge du traitement coûteux en l’absence du résultat escompté. Plus globalement, pour permettre un accès durable et équitable des patients aux traitements et aux solutions de santé de demain, l’analyse prospective « Santé 2030 » met en exergue dix transformations nécessaires :
- Permettre l’accès le plus précoce possible des patients à l’innovation en adoptant une approche plus individualisée de la recherche clinique,
- Mieux anticiper l'arrivée des innovations pour permettre l’adaptation la plus efficace du système de soins,
- Transformer les mécanismes d’évaluation et gagner en efficacité administrative pour permettre aux patients d’accéder plus vite aux traitements innovants,
- Mener la bataille de l’efficience indispensable à la pérennité du système de santé,
- Mesurer la qualité et prendre en compte le retour des patients pour mieux les soigner,
- Diversifier les mécanismes de fixation des prix des médicaments innovants pour s ’adapter aux profils des innovations et pour concilier accès et efficience,
- Créer le modèle du «médicament service» pour placer le patient au cœur du système de santé,
- Réussir le mariage entre données de santé et intelligence artificielle pour améliorer la qualité du diagnostic et des soins,
- Mettre les technologies de rupture au service de la production des médicaments
innovants issus du vivant pour préserver l’indépendance sanitaire française, - Placer les questionnements éthiques au cœur de l’innovation pour concilier enjeux de recherche et interrogations de la société.
La microfluidique pour mieux comprendre la maladie de Parkinson Nombreuses sont les technologies et les sciences qui vont transformer le paysage de la santé dans les 10 années à venir. Citons une technologie, la microfluidique, une science, celle du microbiote, pouvant être liées l’une à l’autre.
Le microbiote est l’objet de nombreuses attentions depuis quelques années, y compris en oncologie. Car comme le rappelle le Pr Nicolas Girard, le microbiote intervient sans aucun doute dans les mécanismes de l’immunité naturelle antitumorale. Mais indique le Pr Hervé Chneiweiss, neurologue et président du comité d’éthique de l’Inserm, le microbiote intestinal serait surtout impliqué dans de nombreuses maladies, très diverses, dont la maladie de Parkinson, comme aide à le montrer la microfluidique. Cette science de la manipulation des fluides à l’échelle micrométrique permet par exemple de comprendre l’écoulement de la sève des arbres, jusqu’à la pointe de la moindre feuille. Dans la maladie de Parkinson, une protéine, l’alpha-synucléine, mal conformée dans le système nerveux digestif du fait d’une anomalie du microbiote, remonterait via le nerf vague jusqu’au système nerveux central pour y entraîner la dégénérescence des neurones dopaminergiques. Le moyen de cette remontée le long du nerf vague, c’est la microfluidique qui l’explique, en montrant comment l'alpha-synucléine peut “sauter” d'un neurone à l'autre, par un mécanisme de type infectieux comme une protéine prion. Grand spécialiste de la microfluidique, Patrick Tabeling, directeur de l’Institut Carnot Pierre-Gilles de Gennes, indique comment cette technologie servira par exemple une médecine personnalisée en permettant d’identifier au sein de centaines de milliers de cellules d’un fragment biopsique, celles portant des mutations oncogènes. L’information ainsi disponible permettra de proposer un traitement personnalisé contre un cancer en réduisant considérablement les récurrences. Et dit ce spécialiste, la microfluidique pourrait révolutionner la recherche pharmaceutique en permettant « de tester des molécules 10.000 fois plus vite et pour 10.000 fois moins cher ». Vertigineux !
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