"On est comme un vieux couple", sourit Marguerite Cazeneuve que l’on rencontre dans son bureau vitré donnant sur le périphérique, bondé à cette heure-là. Avec le patron Thomas Fatôme, la trentenaire dirige avec une rigueur bureaucratique "l’énorme machine" qu’est l’Assurance maladie. Elle a rejoint les rangs "de la grosse maison" en mars 2021, quelques mois après la nomination de Thomas Fatôme à la place de Nicolas Revel, devenu directeur de cabinet du nouveau Premier ministre, Jean Castex. Marguerite Cazeneuve travaillait alors pour Matignon et l’Elysée et supervisait la task force vaccination lorsque son "papa administratif", Thomas Fatôme, l'a fait venir à la Cnam pour être son bras droit. C’est en 2013 que Thomas Fatôme et Marguerite Cazeneuve se rencontrent pour la première fois. Elle n’a alors que 25 ans et est en mission à la Sécurité sociale pour le cabinet Mc Kinsey, où elle a été embauchée à la sortie de l’école de commerce HEC, où elle était présidente du bureau des élèves. Le courant passe bien, et l’énarque – alors directeur de la Sécu, la recrute. "Après cela, je l’ai suivi dans presque tous ses postes", se rappelle Marguerite Cazeneuve, dont l’attitude trahit son admiration. Elle entre ainsi à Matignon, suivant son mentor, devenu directeur adjoint du cabinet d’Edouard Philippe en 2017. En coulisses, ils façonnent entre autres la réforme des retraites de Macron. Désormais à la tête de la Caisse, ils forment un binôme puissant. "Je sais exactement ce qu’il attend ; c’est plus facile pour manager les équipes. Je sais traduire ‘le Thomas Fatôme’", plaisante-t-elle. Tous deux connaissent très bien l’écosystème du pouvoir pour l’avoir côtoyé, manient le langage administrativo-politique, connaissent ceux qui font les lois. Forte de ses expériences en tant que conseillère ministérielle chargée de la protection sociale et des comptes sociaux, Marguerite Cazeneuve chapote toutes les politiques publiques. C’est elle aussi qui est en relation avec les soignants de ville et a la lourde de tâche d’organiser la lutte contre les déserts médicaux. Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, a travaillé à maintes reprises avec la numéro 2 de la Cnam. Plus souvent qu’avec Thomas Fatôme, d’ailleurs. Il décrit "une jeune femme très brillante", "facile d’accès", qui "répond toujours lorsqu’on lui envoie un message". Mais garde aussi le souvenir amer des négociations de l’avenant 9, qui ont abouti au boycott du Service d’accès aux soins (SAS), faute de moyens suffisants. "On avait le sentiment que l’avenue de Ségur comptait peu dans ces négos, que les décisions venaient plus de Matignon et de l’Elysée." Le syndicaliste voit néanmoins en la directrice déléguée "une oreille à l’écoute". "Quand on est en situation de conflit comme on a pu l’être, c’est important d’avoir le sentiment que la porte n’est pas fermée." Pour la prochaine convention médicale, dont les négociations devraient s’ouvrir début novembre, Marguerite Cazeneuve, qui n’était pas présente pour celle de 2016, se montre confiante. "On partage les mêmes objectifs", assure-t-elle. Mais la tâche s’annonce ardue, surtout "quand on va entrer dans le dur des négos". "A la fin des fins, le sujet est toujours financier : nous évoluons dans un cadre contraint tandis que le rôle des syndicats est de défendre la rémunération de leurs adhérents." Pour répondre au défi de l’accès aux soins – l’un des principaux chantiers de la Cnam et première préoccupation des Français, elle entend trouver "une forme de pacte de droits et devoirs avec les médecins libéraux pour que chacun prenne sa part. Ils attendent davantage de libertés pour s’organiser sur leur territoire. Nous y sommes favorables, mais en contrepartie, on attend un engagement qui ne soit pas juste le fait de voir leur patientèle, mais qui soit populationnel, à l’échelle d’un bassin de vie." "Il ne faut pas que ce soit trop contraignant, mais il y aura quand même des contraintes, affirme Marguerite Cazeneuve, avec une fermeté naturelle. On va avoir besoin des médecins." Car tient-elle à rappeler, "l’Assurance maladie travaille d’abord pour les assurés avant de travailler pour les professionnels de santé. La Sécurité sociale, c’est la protection sociale des gens". Son défi : montrer que "l’Etat est là". "Beaucoup de gens ont le sentiment d’être abandonnés par l’Etat, de ne pas être aidés, alors qu’on a un Etat extrêmement protecteur et redistributif", déclare-t-elle, convaincue du rôle de la Cnam dans la cohésion sociale.
"Servir à quelque chose" Si la numéro 2 de la Cnam est aujourd’hui certaine de "la place et de la force de l’Etat" – dont elle se fait le fidèle serviteur ; plus jeune, elle avait l’image "d’un truc totalement ringard, poussiéreux". Marguerite Cazeneuve avait pourtant grandi "dans une famille très engagée dans le public". "Mon grand-père était préfet de la Résistance, mes grands-parents étaient tous professeurs ou militaires. Seuls mes parents faisaient exception à la règle d’être fonctionnaires." Ce n’est qu’en avançant dans sa carrière qu’elle en fait son combat. "Aujourd’hui, ce que je veux défendre, c’est l’Etat avant la classe politique." "C’est vrai que l’Etat est plus compliqué : il y a plus de procédures, de hiérarchie, mais cette bureaucratie a une raison d’être", abonde-t-elle. Cette prise de conscience s’anime à la direction de la Sécurité sociale, où "elle est arrivée un peu par hasard". Elle se souvient s’être alors demandé : "Qu’est ce qui fait qu’à 30 ans, on a envie de s’intéresser à la retraite ?" La jeune diplômée d’HEC s’aperçoit très rapidement qu’au-delà du côté "un peu chiant", c’est un "sujet hyper intéressant". "La protection sociale, c’est ce que la France fait de mieux en termes de services publics." Bosseuse, elle apprend alors à maîtriser ce domaine, "très technique mais aussi très politique", qui la stimule intellectuellement. Et devient une experte en la matière. "Electron libre" parmi les énarques, elle se révèle être un véritable atout...
pour les plus hautes sphères du pouvoir. C’est en pleine épidémie de Covid-19 que l’opiniâtre Marguerite Cazeneuve se frotte à la santé à la tête de la task force. "C’était plutôt de la gestion de crise d’ailleurs." Conseillant Jean Castex et Emmanuel Macron à la fois, elle a le sentiment de "servir à quelque chose", malgré "la frayeur quotidienne" que lui incombe son poste de "conseillère de l’ombre" – une "position très formatrice" mais accompagnée d’une "grosse pression professionnelle". Elle se remémore un moment de tension ultime : "On venait de lancer la campagne de vaccination depuis deux semaines quand le Pr Delfraissy m’appelle et m’indique qu’un variant sud-africain présentant des caractéristiques d’échappement immunitaire est apparu, et que, potentiellement, nous aurons tous un Covid dans un mois, résistant aux vaccins." "Je me souviens être montée dans le bureau de Nicolas Revel [directeur de cabinet à Matignon à cette époque] et lui avoir dit : ‘Qu’est-ce qu’on fait ? Que conseille-t-on ?’. A ce moment-là, la décision repose sur peu de gens. C’est un collectif d’intelligences individuelles. Il faut des antennes pour récupérer un maximum d’informations." A cette période, Marguerite Cazeneuve – qui est mariée avec Aurélien Rousseau [DG de l'ARS Ile-de-France], qu’elle a rencontré "dans le boulot" – est mère depuis seulement quelques mois, et travaille très tôt et très tard. "Jusqu’à mon accouchement, je travaillais jusqu’à 2 heures du matin", confie-t-elle. "A la fin de l’année 2020 avec mon mari, nous nous sommes demandé comment on avait fait avec un nourrisson. Et en fait, on l’a fait, c’est tout. C’est sûr qu’on était très fatigués, mais on y est arrivés."
"Sur tous les réseaux antivax, mon nom est systématiquement cité" Elle assouplit un tantinet le rythme lorsqu’elle entre à la Cnam, travaille le soir depuis chez elle lorsque les trois enfants de la maison (dont ses deux belles-filles) sont couchés. "Ça laisse peu de temps pour soi", reconnaît la trentenaire, qui avait l’habitude de se rendre au cinéma "trois à quatre fois par semaine" et surtout au théâtre – sa grande passion – sur son temps libre. D’autant que quelques mois à peine après avoir être nommée directrice déléguée, Marguerite Cazeneuve s’engage dans la campagne d’Emmanuel Macron, qui brigue un second mandat. Elle joue un rôle crucial dans sa stratégie santé et retraites. "J’ai été sa conseillère pendant quelques années, c’était assez naturel que je m’occupe de ces sujets-là." Principal impératif à cette nouvelle fonction : qu’elle ne l’occupe que sur son temps libre. La numéro 2 de la Cnam ne souhaite pas s’étendre sur ce rôle de conseillère de campagne compte tenu de son "devoir de neutralité". "Cette information est sortie, mais ce n’est pas quelque chose que j’avais rendu public. Je n’ai pas démenti parce que ce n’était pas faux", explique-t-elle cependant. Aux côtés du Président, Marguerite Cazeneuve est devenue en un temps éclair la cible de la sphère complotiste, pour qui cette nomination a tout à voir avec un conflit d’intérêts. On crie au scandale d’Etat sur les réseaux sociaux : "c’est une ex de Mc Kinsey", "la fille d’une cadre du groupe pharmaceutique Eli Lilly"… Ces attaques se multiplient lorsque, une fois Emmanuel Macron réélu, son mari, Aurélien Rousseau, est nommé au poste de directeur de cabinet d’Elisabeth Borne à Matignon, à la mi-mai. "Le dir cab du premier ministre, Aurélien Rousseau, est marié à Marguerite Cazeneuve, ex de McKinsey mais aussi fille d’une cadre importante de Eli Lilly, 10e plus gros labo pharmaceutique mondial ! Le ton est donné !" s’insurge Florian Philippot, président des Patriotes, sur Twitter. "Le Gouvernement n’est pas encore constitué qu’on sent déjà le conflit d’intérêt à plein nez… !" abonde Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France. "On était dans une période très marquée par le complotisme. Sur tous les réseaux antivax, mon nom est systématiquement cité", indique-t-elle, sans laisser transparaître d’émotions. Marguerite Cazeneuve ne se laisse pas atteindre : "La première fois que j’ai vu ces attaques, c’était très désagréable. Et puis après, il y a un petit côté résilient, confie-t-elle en souriant. C’est pénible car un haut fonctionnaire n’a pas le droit de se défendre", ajoute la trentenaire dont la veste à gros boutons, façon tenue militaire, laisse à penser qu’elle ne se laisse guère marcher sur les pieds. "Ces gens-là, je ne les convaincrai jamais." Son père Jean-René, député du Gers, et son frère Pierre, député des Hauts-de-Seine, sont eux aussi des figures de la Macronie. Ce dernier a d’ailleurs été adjoint au chef de cabinet d’Emmanuel Macron avant d’être élu en juin dernier. "Pour des observateurs extérieurs friands des théories du complot, ça donne le sentiment que c’est un petit milieu", déplore Marguerite Cazeneuve. De nombreux articles de presse décrivent ainsi une "famille en or", proche du pouvoir. Trop pour certains. "C’est plutôt pénible, confie Marguerite Cazeneuve. On a chacun fait notre route, je suis arrivée en cabinet ministériel bien avant que mon père soit député, j’étais la première à me lancer dans la partie administrativo-politique." "Les circonstances ont fait que nous nous sommes retrouvés tous plus rapprochés qu’on ne le souhaitait", ajoute celle qui, plus jeune, était passionnée de débats politiques – pour "la rhétorique" et aussi le show, "sans doute". "Tant que mon mari est directeur de cabinet à Matignon et que mon frère et mon père sont députés, je suis bloquée. Car le pire serait qu’une nomination puisse donner le sentiment qu’il y a du favoritisme. Un soupçon qui n’est pas fondé car nous avons chacun notre légitimé", affirme Marguerite Cazeneuve. En tout état de cause, la numéro 2 de la Cnam ne compte pas lâcher le navire de sitôt. "Nous avons engagé de nombreux chantiers structurants avec Thomas [Fatôme]. Je voudrais aller au bout de l’expérience", explique-t-elle avant de nous confier qu’elle fera "sans doute un jour de la politique". Mais "pas dans l’immédiat". "C’est difficile, il faut être prêt. Et la vie est longue", philosophe Marguerite Cazeneuve dont l’engagement politique est né du séisme provoqué par le passage du Front National au second tour d’une élection présidentielle, en 2002. A moins qu’on ne la retrouve sur les planches ou derrière le grand écran, ses premières amours : "Qui sait ? Quand le monde ira mieux…"
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