Portée durant l’été par les collectifs locaux de médecins libéraux, la fronde tarifaire a petit à petit gagné du terrain dans les cabinets. Selon le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, un peu plus de 1000 médecins facturent désormais 30 euros la consultation. Certains appliquent des dépassements d’honoraires supérieurs, portant parfois le tarif de leur consultation à 50 euros, en signe de protestation contre le "mépris" du règlement arbitral. Une majorité de généralistes n’ont toutefois pas souhaité entrer en dissidence. Trois d’entre eux nous expliquent pourquoi. Le verdict est tombé comme un couperet le 24 avril dernier, en fin de matinée, mettant fin à une attente insoutenable. Le tarif de la consultation de base du généraliste sera augmenté d’1,50 euro au 1er novembre, annonçait ce jour-là Annick Morel, chargée de rédiger le règlement arbitral, aux syndicats de médecins libéraux. Pour les représentants de la profession, qui s’étaient déjà vu proposer ce montant par l’Assurance maladie – outre une revalorisation supplémentaire conditionnée par l’engagement territorial, "le mépris continue", dénonçaient-ils à l’unisson sur Egora. Dans leur cabinet, les généralistes, dont la consultation de base n’a pas été revalorisée depuis 2017, ont vu rouge. Dès le mois de mai, un certain nombre d’entre eux ont ainsi décidé d’entrer "en résistance", en passant en force sur le tarif de la consultation. Leur méthode : facturer un supplément de 5 euros à leurs patients au moyen, entre autres, des dépassements pour exigences (DE). Une fronde tarifaire qui n’est pas s’en rappeler celles initiées en 2002, en 2005-2006 ou encore en 2011-2012. D’autres ont souhaité facturer des dépassements d’honoraires bien supérieurs afin de porter la consultation à 50 euros. L’initiative contestataire n’a guère plu à l’Assurance maladie, qui a mis en garde les médecins contestataires début juin. "Ces pratiques tarifaires, qui ne respectent pas la convention médicale, ne sont pas acceptables", indiquait la Cnam à Egora. "Le non-respect des tarifs conventionnels pénalise avant tout les patients qui doivent alors payer un reste à charge important", ajoutait-elle. Le supplément de 5 euros n’est en effet pas remboursé par la Sécu. Avant de prévenir : "Si certains médecins persistent dans cette voie, des sanctions sont prévues." Se disant "très attentive" à la situation, la Cnam assurait toutefois ne pas observer "d’évolution notable du recours à ce type de pratiques au niveau national". C’était sans compter l’apparition de collectifs locaux de médecins libéraux – le plus souvent appelés des Comeli – qui ont fleuri partout en France au printemps et au début de l’été, et ont fait de la fronde tarifaire, l’une de leurs armes principales pour organiser la "riposte" face aux pouvoirs publics. Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de médecins se sont mis à afficher clairement leur choix de passer la consult’ à 30 euros, à mesure qu’approchait la date de l’entrée en vigueur de la hausse de 1,50 euro. Jusqu’à ce que la réouverture des négociations conventionnelles, à la mi-novembre, ne vienne apaiser les tensions. Le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, s’est déclaré "prêt à aller loin dans la revalorisation tarifaire", appelant les "un peu plus d’un millier" de médecins facturant 30 euros à revenir "au respect des règles tarifaires". Après avoir interrogé les contestataires, Egora a souhaité donner la parole à ceux qui n’ont pas voulu entrer en dissidence. Trois généralistes nous expliquent leur point de vue.
"Ceux que l’on souhaiterait atteindre ne sont à aucun moment impactés" Dr Louis*, médecin généraliste "Je considère que la majoration de 1,50 euro est assez méprisante et ne prend pas en compte la réalité de l'inflation. Cependant, je trouve que cette campagne de communication est complètement ratée. Nous cherchons à ce que le législateur aille dans notre sens et pour cela il faudrait avoir ‘le peuple’ avec nous. Et comment voulez-vous convaincre ‘le peuple’ de nous augmenter alors qu'il touche un salaire médian trois fois moindre que le nôtre ? Les médecins qui manifestent et font grève...
ont d'autres demandes, mais tout ce qui ressort, c'est le tarif de la consultation, inaudible pour le reste de la population quand on place les médecins dans le dernier décile des revenus. L'un des arguments pour une majoration minimum à 30 euros est que cela suit l'inflation depuis 2017. C'est relativement faux, puisque celle-ci s'élève à 18% entre le 1er janvier 2017 et fin 2023 ce qui ferait un acte à 29,5 euros, si on ne tient compte que du ‘G’ et non de l'ensemble des rémunérations (donc en tenant compte des forfaits). Et enfin, j'estime que majorer l'acte de manière unilatérale ne pénalise que nos patients. Eux n'ont rien demandé, ils viennent rarement nous voir pour le plaisir et subissent également l'inflation dans leur quotidien. En revanche, ceux que l'on souhaiterait atteindre (Gouvernement/Cnam) ne sont à aucun moment impactés, et s'en moquent donc royalement (tout comme des grèves d'ailleurs). Faire payer aux malades notre désir d'équité est, à mon sens, injuste et contraire à notre déontologie. Je respecterai la convention médicale quoiqu'il advienne, même si je perds du pouvoir d'achat." "Les patients ont déjà payé toute leur vie" Dr B.M, médecin généraliste "Moi je ne fais pas pour le moment. Car je dis aux patients qu'ils ont déjà payé toute leur vie pour bien plus de 50 euros la consultation, même s'ils consultaient tous les mois. La Sécu et l'Etat ne refusent pas de nous payer plus, mais refusent de rembourser normalement les patients, et pire, changent à vue les règles de remboursement aux dépens des patients. Il est là le scandale. C'est l'exploitation des soignants associé à une sorte de vol du pouvoir de soins des patients." "Je préfère me placer dans une dynamique constructive" Dr Jonathan Favre, médecin généraliste à Villeneuve d’Ascq (Nord) "On n’applique pas de dépassements au cabinet de groupe dans lequel j’exerce avec quatre autres généralistes. On essaie de se placer dans une dynamique constructive. J’ai en effet enclenché la demande d’accompagnement pour la création d’une maison de santé cet été. J’attends toujours qu’on nomme le cabinet de conseil pour nous accompagner. On a également transformé notre secrétaire en assistante médicale. On essaie d’être constructifs et d’utiliser les outils à notre disposition pour améliorer la prise en charge des patients et investir dans le cabinet. C’est d’ailleurs ça le but de la revendication tarifaire : c’est de pouvoir mieux soigner les gens et investir dans le cabinet. C’est ce que l’on a fait d’une autre façon. Ce serait paradoxal d’être en plus dans une fronde tarifaire alors qu’on est en train d’essayer de récupérer des modes de financement auprès de la Sécurité sociale. C’est la première raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité nous inscrire dans ce mouvement. Ensuite, on s’occupe d’une population assez précaire au cabinet. Elle ne pourrait pas payer ces dépassements. Notre patientèle ne pourrait pas se le permettre… C’est aussi pour cela que je suis aussi contre l’espace de liberté tarifaire que demandent certains syndicats. Je serais pourtant le premier à y avoir droit parce que j’ai été chef de clinique pendant six ans, j’aurais pu m’installer en secteur 2. Mais si on crée cet espace, on va aggraver la démographie médicale dans les quartiers plus populaires où les patients ne peuvent pas payer ces dépassements, alors qu’ils sont plus lourds à prendre en charge avec des moins bons résultats de santé. Ça risquerait en plus de développer le clientélisme et les médecines parallèles pour justifier les dépassements d’honoraires, ce qu’on a vu un peu avec l’homéopathie. Je ne pense pas que ce soit une bonne solution à long terme. Certains confrères participent à cette fronde tarifaire, mais en tout cas ce n’était pas du tout un mot d’ordre général du comité [Comeli] local qui, dans notre secteur, avait plus l’idée de faire pression en essayant d’optimiser nos revenus en organisant des échanges sur comment mieux coter les actes, sans forcément pousser tout le monde à faire du dépassement généralisé." *Noms anonymisés
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