"Je suis loin d’avoir lavé mon honneur mais j’ai rétabli l’histoire" : les confidences d’Agnès Buzyn, ministre déchue

22/12/2023 Par Louise Claereboudt
Portrait
"La politique, ça salit, et vous verrez que je sortirai salie du ministère de la Santé", confiait Agnès Buzyn à ses enfants, quelques minutes avant d’accepter le poste que lui proposait Edouard Philippe, le 16 mai 2017. Une prémonition qui a dépassé tout ce qu’elle imaginait. L’hématologue, qui avait pourtant gagné la reconnaissance de ses pairs et des pouvoirs publics en dirigeant avec rigueur plusieurs institutions sanitaires et de recherche, est devenue, début 2020, le visage de l’impréparation de l’Etat face à l’épidémie de Covid-19. Un "bouc émissaire", parce qu’il en fallait un, dit-elle. Dans un journal publié fin septembre, celle qui a - un temps - été mise en examen pour "mise en danger de la vie d’autrui" a tenu à "rétablir l’histoire". Nous l’avons rencontrée.

  Emmitouflée dans un long manteau camel, Agnès Buzyn s’engouffre à l’intérieur du café Les Éditeurs, à Odéon (Paris, 6e), où nous l’attendons. Elle est accompagnée par un homme à la carrure imposante, vêtu de noir, qui attend son autorisation pour s’éclipser. "Vous pouvez y aller", lui chuchote-t-elle, une fois le petit vestibule passé. L’homme disparaît aussi vite qu’il est entré. Cela fait deux ans et demi maintenant que l’ancienne ministre des Solidarités et de la Santé vit sous protection policière, ne mettant pas un pied à l’extérieur sans son garde du corps. Ce rendez-vous, fixé non loin de son appartement du 6e arrondissement, ne déroge pas à la règle. "Je ne peux pas me permettre de rencontrer quelqu’un de violent dans la rue en étant seule." Depuis qu’elle a démissionné de son poste avenue de Ségur, le 16 février 2020, Agnès Buzyn est régulièrement la cible d’injures et de menaces de mort. "Au début, les gens m’insultaient dans la rue. Mais il y a eu un basculement. Aujourd’hui, ce sont les 5 à 10% de Français les plus complotistes et toute la sphère autour du Pr Raoult – qui croit que j’ai fait interdire la chloroquine – qui me menacent." Nous nous installons à l’étage de l’établissement, où le calme contraste avec l’effervescence du carrefour. L’ancienne ministre y a ses petites habitudes, elle commande un thé dans lequel elle verse délicatement quelques centilitres de lait. Malgré les menaces dont elle fait l’objet depuis qu’elle a mis un pied dans la politique, Agnès Buzyn le pense encore, quitter le ministère a été "la plus grosse erreur" de sa vie. En acceptant ces responsabilités, elle savait que sa réputation de scientifique à la rigueur inébranlable risquait d’être entachée, mais elle s’était jetée dans cette nouvelle aventure sans hésitation, convaincue qu’il était l’heure pour elle "de s’engager", "de se mouiller". "Quand le Premier ministre m’a proposé le poste, il m’a laissé 3 heures pour prendre cette décision. J’ai réuni toute ma famille et j’ai dit à mes enfants – cela devait être prémonitoire : ‘Vous savez tout le monde me respecte, j’ai fait une carrière sans faute, mais la politique ça salit, et vous verrez que je sortirai salie du ministère'", se souvient-elle, esquissant un sourire, peut-être de soulagement. Elle n’imaginait pas que cela serait "aussi violent".   "Je n’étais pas juste un médecin" Le 16 mai 2017, Agnès Buzyn, alors présidente du Collège de la Haute Autorité de santé (HAS) depuis un an, prononce un discours lors de la séance plénière de la Paris Health Care, le grand salon des hôpitaux qui a lieu chaque année Porte de Versailles. Lorsqu’elle descend de l’estrade, elle voit sur son téléphone 13 appels manqués d’un numéro inconnu. Elle décroche au 14ème. C’est Matignon qui l’informe que le Premier ministre veut la rencontrer et lui offrir le poste qu’occupait encore récemment Marisol Touraine. Agnès Buzyn est surprise. Elle avait bien été approchée du temps de François Hollande pour devenir ministre en cas de remaniement – ce qui ne s’était finalement pas fait, mais Emmanuel Macron, elle ne le connaissait pas plus que ça. Elle ne l’avait croisé qu’une fois lorsqu’il était secrétaire général adjoint de l’Elysée "au moment des derniers arbitrages du troisième Plan cancer". Plan qu’elle avait rédigé en qualité de présidente de l’Institut national du cancer (2011-2016) et que le Président Hollande avait présenté en février 2014. "Je pensais qu’Olivier Véran serait appelé, parce qu’il avait beaucoup œuvré durant la campagne d’Emmanuel Macron." La choisir n’était cependant pas une aberration, estime-t-elle : "le Premier ministre et le Président avaient chacun entendu parler de moi. Beaucoup de personnes avaient donné mon nom." Dans le milieu scientifique et institutionnel, Agnès Buzyn est quelqu’un. Elle est reconnue comme une brillante chercheure en hématologie, immunologiste, spécialiste de la greffe de moelle. Mais aussi comme une technicienne, capable de diriger avec exigence mais calme des autorités sanitaires et de recherche. On la respecte, on l’écoute, on lui fait confiance. Elle s’agace d’ailleurs qu’on la présente comme une ministre de la société civile. "Je ne suis pas sortie de mon hôpital. Je n’étais pas une politique certes, mais je n’étais pas juste un médecin. J’avais travaillé 15 ans dans des agences sanitaires ou de recherche. Je connaissais très bien le fonctionnement de l’Etat. J’étais complètement à l’aise avec le travail du ministère. D’ailleurs, j’en connaissais trois quarts des bureaux. Je n’étais pas une naïve qui débarquait et découvrait ce qu’était faire un texte de loi !"   "J’étais très reconnue dans ma spécialité" À la tête d’une unité de soins à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) depuis 1992, Agnès Buzyn décide en 2008 de faire un pas de côté "par rapport à un milieu médical très violent". Après quatre années "d’enfer" à subir le harcèlement moral de confrères de son service, elle accepte des postes plus institutionnels. Une décision vitale, car, de ses propres aveux, elle aurait pu en finir. "Ça a commencé le jour où j’ai été nommée agrégée. Je pense qu’il y avait une part de difficulté à accepter une femme dans une spécialité encore très masculine. On ne m’invitait pas aux réunions, on modifiait mes prescriptions derrière mon dos. J’étais obligée de faire des stratagèmes pour soigner correctement mes malades. Le service devenait finalement dangereux pour eux. Et moi, je n’étais peut-être pas armée pour autant de violence." Déjà passée par les conseils scientifiques de l’Agence de la biomédecine, de l’Établissement français des greffes et de l’Établissement français du sang, elle prend la tête de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en septembre 2008. "Ils cherchaient une hématologue, une femme, avec des compétences scientifiques. J’étais très reconnue dans ma spécialité, aussi bien au niveau national qu’international", se souvient celle qui avait aussi une activité de recherche fondamentale en immunologie à l’Inserm et dirigeait une équipe. Elle découvre un monde – celui du nucléaire – qui la passionne. "C’était un institut de recherche et d’expertise extrêmement technique sur la radioactivité. Un univers très sérieux, d’une très grande rigueur. Je m’y suis sentie extrêmement bien." Enfant, elle était déjà passionnée par tous les aspects de la science : l’astrophysique, la géologie, la météorologie… À 12 ans, elle s’était abonnée à la revue La Recherche. Finalement, la médecine s’était imposée. "C’était pour moi le parcours le plus connu. Ma famille avait été réduite après la Seconde Guerre mondiale. De ceux qui restaient, tous étaient médecins… ou presque." Son père, survivant d’Auschwitz, était devenu chirurgien orthopédiste et exerçait à la clinique Saint-Marcel. Adolescente, elle l’accompagnait au bloc opératoire et lui passait les instruments. Sa mère, psychanalyste aux origines juives polonaises, avait été cachée dans une famille de l’Ain durant la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’en 2011, elle poursuit son activité de greffe de moelle, puis ne garde qu’une activité de consultation. Les deux étaient difficiles à concilier avec son travail à l’IRSN, de plus en plus prenant. Le 11 mars de cette année-là, un violent séisme sous-marin de magnitude 9,1 provoque un tsunami qui submerge la côte nord-est du Japon. S’ensuit un accident nucléaire sur le site de Fukushima, près de 25 ans après Tchernobyl. Agnès Buzyn, jusqu’ici plutôt dans l’ombre, est projetée sur le devant de la scène médiatique. "Je me suis retrouvée en première ligne devant les Français pour leur expliquer cet accident majeur, faire de la vulgarisation scientifique. Je pense que le fait que je sois médecin a permis de rassurer." Son flegme aussi. "Plus ça va mal, plus je suis calme. Plus on est tendus autour de moi, plus j’assume mon rôle de décideur. Je l’ai appris en soins intensifs", sourit-elle, en faisant de petits arrondis dans sa tasse de thé avec sa cuillère. On lui confie ensuite le poste de présidente exécutive de l’Inca. Une expérience qui est "un concentré de [sa] vie professionnelle". Durant son mandat, elle lutte avec ardeur contre le tabagisme et se positionne en faveur d’un droit à l’oubli pour les personnes guéries du cancer. Puis en 2016, elle prend la tête du Collège de la HAS. "J’aurais pu renouveler mon mandat à l’Inca, mais je pars du principe qu’il ne faut jamais faire plus d’un mandat dans une institution. Après, on est moins bons." La HAS, c’est "un nouveau défi". Agnès Buzyn lance notamment la "médicalisation de la certification" des hôpitaux. "J’ai aimé l’idée de représenter la parole médicale et scientifique pour l’intérêt général." L’hématologue se heurte parfois aux politiques, dont "les intérêts ne sont pas toujours fondés sur la science". En particulier, quand la HAS émet l’avis de dérembourser quatre médicaments anti-Alzheimer. "Ça n’a pas été simple." Les associations de patients s’en offusquent. Marisol Touraine aussi. C’est la première expérience d’Agnès Buzyn avec une forme d’animosité publique. Qu’importe, au nom de la science, elle ira au bout et, une fois ministre, suivra les recommandations de la HAS.

  "J’ai ramené la confiance" Près de quarante ans après son ex-belle-mère Simone Veil, Agnès Buzyn arrive au ministère des Solidarités et de la Santé dans un moment de tensions inouïes. "Tous les secteurs allaient mal." Bosseuse, la technicienne s’attelle à tout connaître des dossiers brûlants : grève dans les Ehpad, déserts médicaux, paupérisation de l’hôpital, réforme des retraites... Elle veut être irréprochable sur tous les plans. "Je suis perfectionniste, jamais un document n’est sorti d’une des institutions que j’ai présidées sans que je ne l’aie relu de A à Z, crayon à la main". "Comme toutes les femmes, j’ai toujours ce syndrome de l’imposteur. Il faut toujours que j’en fasse dix fois plus pour montrer que c’est très bien." Elle s’enferme dans son bureau, et s’interdit presque de sortir. "Je n’ai jamais considéré qu’être ministre signifiait être mondain. On sait qu’on n’est pas là pour longtemps, si on veut transformer le système, il faut mettre beaucoup d’énergie." D’abord, "renouer la confiance" avec les professionnels de santé hospitaliers et les médecins libéraux, particulièrement irrités par le mandat de Marisol Touraine. "J’ai essayé de les entraîner avec moi sur une réforme de grande ampleur du système de santé [Ma Santé 2022] et ça a très bien marché", se réjouit Agnès Buzyn. Elle s’est ensuite employée à réduire les inégalités sociales de santé, en portant la réforme du 100% santé, qui a permis à des millions de Français de bénéficier d’un équipement optique, de prothèses dentaires ou auditives pris en charge à 100%. La ministre travaille à "ramener de la rigueur scientifique dans les choix politiques" et décide notamment de dérembourser l’homéopathie - "beaucoup de médecins n’étaient pas contents, mais j’assume, on est au 21e siècle, on ne peut plus faire de la médecine du 17e". Elle passe aussi le nombre de vaccins obligatoires pour les enfants de 3 à 11. "Je ne regrette pas ce choix : aujourd’hui, tous les pédiatres me disent que c’est beaucoup plus facile, et les parents sont rassurés, ils voient bien qu’ils ne se passent rien. Globalement, plus personne ne craint les vaccins de la petite enfance. J’ai ramené la confiance, c’était mon pari", se félicite Agnès Buzyn, les yeux brillants, estimant que la vaccination obligatoire des soignants est, elle, un "enjeu de déontologie". Malgré sa discrétion et son acharnement au travail, elle essuie tout de même quelques polémiques. On l’accuse notamment d’avoir des liens avec l’industrie pharmaceutique. "De la pure calomnie", s’insurge celle qui dit avoir refusé les invitations des laboratoires pour des congrès quand elle a pris des postes institutionnels, en 2007-2008. "Ces accusations étaient faites pour salir, elles venaient de l’extrême droite, pointe-t-elle. C’était de la diffamation pour discréditer mon action. Je me suis toujours battue pour protéger l’argent public et nous protéger des dérives mercantiles dans le milieu du médicament." On l’accuse ensuite de faire du "chantage à la démission" pour maintenir son mari, Yves Lévy, à la tête de l’Inserm. "Jamais de la vie !", rétorque-t-elle encore, tapotant de ses doigts vermeil la soucoupe de sa tasse. Si certains la jugent fragile, Agnès Buzyn ne laisse pas ces attaques l’atteindre. Elle poursuit ces multiples réformes, est sur tous les fronts en bonne élève du Gouvernement. Elle ne sait pas encore que la plus grosse crise qu’elle aura à gérer est devant elle.   "On m’a jetée en pâture" Le 25 décembre 2019, la ministre savoure son premier jour de vacances dans sa maison de l’île de Beauté. Les négociations en cours sur les retraites ont été mises en pause à la demande des syndicats. Elle surfe sur le réseau social Twitter (devenu X) profitant des rayons d’un soleil hivernal, et apprend qu’il y aurait quelques cas de pneumopathies inexpliquées en Chine. Elle a un "pressentiment". "Dans le monde de la santé, on savait qu’une pandémie arriverait. Je me demande : ‘est-ce que c’est the big one ?’" Elle informe aussitôt Jérôme Salomon, infectiologue et directeur général de la Santé, pour qu’il suive cela de près. La ministre a une pensée pour ce qu’elle a dit à Emmanuel Macron la première fois qu’elle l’a rencontré après avoir été nommée. "Il m’a demandé si quelque chose m’inquiétait, je lui ai répondu : ‘qu’il y ait une pandémie mondiale’. Et puis je l’ai rassuré en lui disant que j’étais prête, que je savais gérer des crises." Les premières semaines du mois de janvier se passent presque normalement avec leur lot de grèves hospitalière, des transports, etc. Le virus chinois ne semble, pour l’heure, pas encore s’échapper de Wuhan et de la province du Hubei. Le répit n’est que de courte durée. Agnès Buzyn, qui scrute les données quotidiennement, comprend "qu’il y a une transmission interhumaine" le 21 janvier. La ministre prend la décision d’organiser une conférence de presse le jour-même sur la situation du coronavirus. Elle déclare : "La situation est très évolutive et l’évolution des connaissances permettra d’en savoir plus sur les modes de transmission de ce virus autant que sur son origine. Le risque d’introduction en France de cas liés à cet épisode est faible mais ne peut être exclu, d’autant qu’il existe des lignes aériennes directes entre le France et la ville de Wuhan." Trois premiers cas sont confirmés en France les jours qui suivent. Puis la ville de Wuhan est mise sous cloche. La Santé organise le rapatriement des ressortissants français. "Dès que j’ai compris que ça s’emballerait, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour essayer de mobiliser, commander des masques, des respirateurs, alors qu’il n’y avait pas encore un seul cas en Europe. Tout ça, sans m’en vanter auprès des journalistes. J’aurais peut-être dû…" Agnès Buzyn quitte précipitamment l’avenue de Ségur le 16 février 2020, poussée à prendre la place de Benjamin Griveaux dans la course à la mairie de Paris. Laissant, en pleurs, les rênes à Olivier Véran. "On ne me laisse pas beaucoup le choix. Ça a été ma plus grosse erreur, répète-t-elle. J’étais faite pour gérer cette crise, j’avais tout préparé à mon échelle. L’affaire Griveaux est le battement d’aile de papillon qui m’a projetée dans cet enfer." Son départ quelques jours après la découverte d’un premier cluster aux Contamines-Montjoie est vécu par certains comme un "abandon de poste". Jusqu’au premier confinement, décrété le 17 mars 2020, Agnès Buzyn explique qu’elle se comporte de façon "dissociée" : un pied dans sa campagne municipale, un autre à tenter d’alerter la DGS, le Premier ministre, le Président de la République sur le "tsunami" qu’elle assure voir venir. "Comme j’étais une très bonne élève, j’ai travaillé, j’ai appris par cœur tous les chiffres nécessaires pour pouvoir tenir un débat, mais toutes les nuits, je...

les passais sur internet à regarder les chiffres du Covid, à essayer de comprendre ce qu’il se passait, à envoyer des textos à mon équipe restée au ministère. Je donnais des ordres à tout le monde. J’avais l’impression que j’étais toujours en charge, et en fait, on essayait de me faire comprendre que non. Mais moi je voyais que ça ne bougeait pas comme ça devait… Je devenais folle de ne pas être en charge", confie-t-elle. La foudre d’internet s’abat sur elle la veille du confinement, lorsqu’une vidéo "tronquée" issue de sa première conférence de presse, et laissant entendre qu’elle a minimisé la crise, est diffusée sur Twitter. "A cette période, les gens étaient terrorisés, très en colère, et quelque part, on m’a donnée en pâture." Envahie par le sentiment de ne pas avoir été prise au sérieux par ses pairs lors des trois réunions qu’elle organisera au ministère avec les professionnels de santé, et par la colère d’avoir vu des scientifiques banaliser la situation sanitaire sur les plateaux télévisés, l’ancienne ministre craque. C’est dans un état de nerf et de fatigue ultime qu’elle répondra aux questions d’une journaliste du Monde, qui publiera le 17 mars un article intitulé "Les regrets d’Agnès Buzyn : ‘On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade’". "J’étais à bout. Je pensais que jamais on aurait dû en arriver là, qu’on aurait pu confiner plus tôt, préparer mieux le pays. Les Français n’ont pas compris…"

  "La réparation est loin du préjudice" Insultes et menaces de mort pleuvent. "Je ne peux pas résister à la vague que je me prends alors", avoue l’ancienne ministre, qui parle aujourd’hui de "lynchage médiatique" : "J’ai entendu les journalistes les plus connus du Paf m’agonir d’injures." Le Président de la République la soutient, dit-elle, avant d’ajouter : "en off". "On donne l’impression que je n’ai rien vu, rien fait, ce qui n’était évidemment pas le cas… Mais je pense que ça arrangeait qu’un bouc émissaire prenne pour tout le monde. Ça permet de canaliser la colère…" Le plus jeune de ses trois fils, âgé de 20 ans, vit très mal cet acharnement et restera enfermé trois mois dans sa chambre. Agnès Buzyn, elle, trouve refuge à l’hôpital militaire Percy, car l’AP-HP "ne veut pas de moi; je le vis très mal car c’est toute ma vie, ma famille". Elle y est "protégée de toute cette haine". Puis revient sur le devant de la scène pour le deuxième tour des municipales à Paris. C’est un fiasco, elle termine troisième derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati avec à peine plus de 13% des voix, et n’est pas élue au Conseil de Paris. La tête n’était pas à ce combat. En janvier 2021, un an après le début de la tourmente, elle accepte un poste de diplomate auprès du directeur général de l’Organisation mondiale de santé (OMS). Critique envers l’institution onusienne – qu’elle trouve insuffisamment réactive au début de la pandémie, elle a voulu "aller voir le cœur du réacteur". Mais la crise du Covid la rattrape en septembre lorsqu’elle est mise en examen pour "mise en danger de la vie d'autrui" par la Cour de justice de la République, qui enquête depuis le mois de juillet 2020 sur la gestion gouvernementale de la crise après avoir reçu des milliers de plaintes dénonçant, entre autres, le manque de masques. "Cette instruction est pour moi d’une violence inouïe. Quand on a passé sa vie à essayer de sauver la vie des gens, c’est un peu douloureux…", lâche-t-elle. Martelant : "Nous avons été le premier pays à commander des masques et nous étions le pays qui avait le plus de masques au monde. Les Français ne le savent pas…" Le 20 janvier 2023, la Cour de cassation a annulé sa mise en examen : "Je n’aurais pu dû être mise en examen, c’est ça que ça veut dire." Un soulagement immense pour la ministre déchue, qui estime toutefois que "la réparation est loin du préjudice". "Ma carrière professionnelle s’est arrêtée. On ne répare pas une opinion publique à charge. Ça reste dans l’inconscient collectif, c’est une image écornée", déplore Agnès Buzyn, avec une forme de sagesse dans le bleu de ses yeux. Occupant désormais le poste de conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes, elle a tenu à "rétablir sa vérité", en publiant, fin septembre dernier, son Journal de ministre du début de l’épidémie. "Je suis loin d’avoir lavé mon honneur, mais au moins, j’ai rétabli l’histoire. Après, les gens en feront ce qu’ils veulent."    

La bio' express :
1er novembre 1962 : naissance dans le 12e arrondissement de Paris
Septembre 2004 : nommée PU-PH
7 mars 2016 : nommée à la présidence de la Haute Autorité de santé
17 février 2017 : nommée ministre des Solidarités et de la Santé
10 septembre 2021 : mise en examen par la CJR
23 mai 2022 : décès de son père, Elie Buzyn, à l’âge de 93 ans
27 septembre 2023 : publication de son Journal Janvier-juin 2020 

 

Journal

Journal Janvier-juin 2020, Agnès Buzyn, ed. Flammarion      

37 commentaires
7 débatteurs en ligne7 en ligne
Photo de profil de Yves Adenis-Lamarre
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 11 mois
La fontaine avait écrit pour elle une fable : "la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf". Que ne l'a t'elle lu! Mme Buzin a sans doute fait son travail, bon ou mauvais, là n'est pas l
Photo de profil de Romain L
14 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 11 mois
Amusant, cette tentative de rédemption de Mme Buzyn dans les médias depuis quelques mois. Les faits sont pourtant têtus : gros soupçons de conflit d'intérêt avec son mari patron de l'INSERM, démissio
Photo de profil de Maxime Maurice
127 points
Cardiologie et maladies vasculaires
il y a 11 mois
La pauvre petite chatte... Qui l'a forcé à prendre ce poste finalement si "destructeur" ? Personne. Soit elle est naïve, soit c'est autre chose... D'autant + qu'en tant que médecin, elle avait une c
 
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