IVG : pourquoi le Comité d'éthique soutient le maintien de la double clause de conscience des médecins
Voulue comme une réponse à la détresse des femmes contraintes de se rendre à l'étranger faute d'avoir pu accéder rapidement à une IVG en France, la proposition de loi "visant à renforcer le droit à l'avortement", adoptée par l'Assemblée nationale le 8 octobre, allonge de deux semaines le délai de recours à une IVG, de 14 à 16 semaines d'aménorrhée. Pour la députée LREM Albane Gaillot, auteure de cette proposition de loi, la suppression de la double clause conscience est une "mesure symbolique et concrète" permettant de mettre fin au "traitement juridique anachronique dont l'IVG fait encore l'objet". "Il faut l’apprendre, le désacraliser, en faire un acte comme un autre", plaidait-elle dans une interview accordée à Egora.
Alertant sur les risques de voir de nombreux gynécologues se détourner de cette pratique, Olivier Véran avait annoncé avoir saisi le CCNE pour avis, avant l'examen du texte au Sénat, prévu le 20 janvier prochain. Le verdict est tombé cette nuit : "en axant sa réflexion sur les principes d'autonomie, de bienfaisance, d'équité et de non malfaisance à l'égard des femmes, le CCNE considère qu'il n'y a pas d'objection éthique à allonger le délai d'accès à l'IVG de deux semaines, passant ainsi de 12 à 14 semaines de grossesse". Une position adoptée à l'unanimité, moins une "voix divergente". Pour se prononcer, le comité a évalué l'ampleur du phénomène des IVG tardives réalisées à l'étranger, estimant le nombre de patientes concernées à "1500-2000 femmes en 2018, nombre inférieur aux chiffres régulièrement mentionnés dans de nombreux rapports, mais jamais référencés" [jusqu'à 5000, NDLR]. Par ailleurs, des données publiées par de Zordo et al. (2020), concernant un effectif (47) de patientes françaises de plus de 18 ans ayant eu recours à une IVG aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou en Espagne* "soulignent que 70% d'entre elles n'ont fait le diagnostic de grossesse qu'après 14 semaines d'aménorrhée pour diverses raisons incluant notamment l'irrégularité des cycles menstruels, l'absence de signes cliniques de grossesse et parfois la persistance des menstruations". "Poids psychologique non négligeable" pour les médecins Par ailleurs, sur les risques des IVG tardives, autre argument soulevé par le Collège des gynécologues (CNGOF) contre l'allongement du délai, le CCNE relève que si "plus le terme est avancé, plus le pourcentage de complications augmente", il "n'existe que peu, voire pas de différence entre 12 et 14 semaines de grossesse". Il n'existe "que peu de données fiables sur le risque d'accouchement prématuré" pour une grossesse ultérieure, constate-t-il. Mais la technique employée étant différente et les risques réduits si le praticien est expérimenté, cet acte doit nécessairement être réalisé par des "médecins correctement formés" et volontaires : d'après une enquête du CNGOF, 37.3% des gynécologues pratiqueraient des IVG au-delà de 14 SA si le délai légal est allongé. "Le poids psychologique de la technique chirurgicale, porté par le médecin qui pratique le geste, est non négligeable", insiste le CCNE.
Pour le CCNE, "la pratique d'une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire". Il considère que la clause de conscience spécifique introduite par la loi Veil, qui impose au médecin ou à la sage-femme qui refuserait une IVG de communiquer immédiatement le nom d'un autre professionnel, "en souligne la singularité" et pour cette raison, se prononce pour son maintien. "Si la clause générale demeure intacte, rien ne changerait en apparence, sinon que ceux qui souhaiteraient à l'avenir devenir obstétricien ou sage-femme pourront concevoir une certaine incertitude sur les conditions futures de l'exercice de leur métier, la clause réglementaire pouvant toujours être aménagée ou supprimée facilement hors de tout débat public", relève en outre l'avis.
S'agissant de l'allongement, le comité "ne saurait cautionner une mesure prise pour pallier les multiples dysfonctionnements matériels, économiques et juridiques d'une politique majeure pour les femmes" : insuffisante information en milieu scolaire, "fortes disparités territoriales" sur l'accès à l'IVG, carences de la contraception chez les femmes de 19 à 25 ans (70% des IVG). "Des moyens doivent être donnés aux structures réalisant les IVG pour pouvoir recevoir les patientes dans les 5 jours et en urgence proche du terme limite de 12 semaines de grossesse." Mais il ne saurait être question de ne rien proposer aux femmes qui malgré tout, sont hors délais. *L'IVG est possible jusqu'à 22, voire jusqu'à 24 semaines
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus