Cet entretien sera publié dans le n°71 des Tribunes de la santé.
Comment pourriez-vous qualifier l’état de l’opinion des Français à six semaines du premier tour de l’élection présidentielle ?
Frédéric Dabi : Cette campagne présidentielle est tout à fait particulière, avec une opinion très volatile, qu’on peut qualifier de "gazeuse". La pandémie continue de structurer cette opinion alors qu’elle est passée au second plan dans les médias. Quand on interroge les Français sur leurs sujets de conversation actuels [cet entretien a été recueilli le 23 février 2022, NDLR], les thèmes en lien avec la pandémie occupent les premières places, l’élection présidentielle ne venant qu’en cinquième position, avec un niveau d’intérêt 26 points derrière celui mesuré au même moment lors de l’élection de 2017. Nous sommes donc dans un contexte très différent de celui de l’élection précédente, avec une opinion qui tarde à se saisir de ce sujet politique. Cela s’explique par un Président qui n’est pas encore entré en campagne mais aussi par la pandémie et ses conséquences, qui rendent plus difficile pour les Français de se projeter dans l’avenir. Cependant, contrairement à un discours parfois très convenu, les Français restent optimistes en l’avenir, bien plus qu’ils ne l’étaient à pareille époque lors des trois élections présidentielles précédentes, de 2007, 2012 et 2017. Cela peut sembler paradoxal, notamment par rapport à l’élection de 2007 où un vent d’optimisme soufflait, avec la fin de l’ère Chirac et un certain renouvellement politique avec les candidatures nouvelles de Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy.
Cette campagne va-t-elle finir par intéresser l’opinion, par mobiliser les Français avec un fort taux de participation dès le premier tour, comme habituellement ? Rien n’est moins sûr, notamment compte tenu d’une abstention devenue majoritaire lors de toutes les élections à deux tours de ce quinquennat, une première dans l’histoire de la Ve République.
On peut estimer que l’opinion s’est "réseaux-socialisée", digérant les événements bien plus vite qu’auparavant et de ce fait devenant bien plus volatile.
Quels sont les principaux sujets de préoccupation des Français, les enjeux prioritaires de cette élection ?
Par rapport aux précédentes campagnes présidentielles, qui s’organisaient rapidement autour d’un thème central très structurant, la sécurité en 2002, le pouvoir d’achat en 2007, la jeunesse et l’éducation en 2012, cette campagne est marquée par une pluralité de thèmes pivots dont le pouvoir d’achat, la sécurité et la délinquance, l’immigration. Mais, et c’est une surprise, le sujet principal de préoccupation des Français est la santé. On pourrait penser que c’est une conséquence directe de la pandémie mais non car ce thème s’est imposé comme premier dès septembre 2009, donc ante-Covid. La crise chronique de l’hôpital public, l’apparition de déserts médicaux et de difficultés croissantes dans l’accès aux soins, la grève des urgences, tous ces éléments génèrent de l’inquiétude pour l’avenir de notre modèle social. D’où l’émergence de la santé comme thème prioritaire.
Pour autant, si le pouvoir d’achat reste un sujet, porté notamment par la crainte d’un retour de l’inflation, le chômage a disparu des discours spontanés, sans doute en même temps que surgit le sujet des emplois non pourvus et que se renforcent les critiques sur l’assistanat. Ainsi, l’idée que les chômeurs pourraient trouver un emploi s’ils s’en donnaient la peine est devenue majoritaire, y compris chez les personnes classées à gauche de l’échiquier politique !
Si la santé s’impose comme la première préoccupation des Français, quels thèmes précis les soucient le plus, est-ce l’hôpital, l’accès aux soins primaires, l’indépendance sanitaire du pays ?
Quand on interroge les Français sur ce qu’est notre modèle social, ce ne sont ni les allocations familiales ni les minima sociaux ni les retraites qui ressortent, c’est bien la santé en général, le remboursement des soins par l’Assurance maladie. Il existe donc un lien très fort, dominant, entre la santé et notre modèle social qui reste un élément de réassurance très fort sur l’idée que la France n’est pas vraiment en déclin, n’en déplaise aux Cassandres !
Mais au sein de la santé, ce qui inquiète le plus, c’est l’hôpital public et les déserts médicaux, lesquels ne sont pas l’apanage des territoires ruraux ou de la France périphérique, les Français en faisant une thématique assez homogène sur l’ensemble du territoire. Les problématiques liées à la démographie médicale l’emportent désormais sur celles liées aux coûts de la santé.
La pandémie a et aura des conséquences sur la santé psychique des populations. Les mesurez-vous déjà dans vos enquêtes d’opinion ?
Absolument ! Quand on interroge les actifs français, on réalise que le pourcentage de ceux se déclarant en situation de mauvaise santé psychique est bien plus élevé qu’avant la pandémie. Dans une enquête faite pour la MNH, la Mutuelle nationale des hospitaliers, les deux premiers sujets de préoccupation des travailleurs sont d’une part la crainte du surmenage et du burn-out, d’autre part le stress. Ce ne sont plus la perte d’emploi ou la perte de sens au travail, ce qui marque une évolution notable par rapport à l’avant-Covid. Bien sûr, cela n’est pas sans conséquences sur le niveau d’engagement et de performance des salariés.
Mais tous ces sujets que vous évoquez restent peu abordés dans cette campagne présidentielle. Que faut-il en penser ?
L’Ifop a effectivement réalisé une enquête qui s’intéresse à ce décalage entre les préoccupations des Français et la teneur de la campagne. Cette enquête mesure un hiatus très important entre les deux et c’est un sujet d’inquiétude par rapport au risque d’un fort taux d’abstention. L’électeur, notamment le jeune électeur, peut s’interroger sur l’utilité de son vote dès lors que les sujets qui le préoccupent ne sont pas traités… Néanmoins, nous allons être confrontés à une campagne très courte, il reste donc possible que ces thèmes s’imposent dans la dernière ligne droite.
Pour terminer cet entretien, avez-vous des marqueurs concernant spécifiquement les professionnels de santé ?
J’en citerai deux : le niveau de satisfaction des soignants à l’hôpital et le niveau d’attractivité des métiers de la santé. Jamais ces marqueurs n’ont affiché des taux aussi bas. Cela témoigne d’un vrai mal-être au sein du monde de la santé.
Et je terminerai sur une statistique : 96% des Français sont préoccupés par l’avenir de l’hôpital public, dont 38% pensent qu’il devrait être un enjeu central de cette élection présidentielle.
Directeur Général Opinion Groupe Ifop, spécialiste en sociologie politique et en analyse des comportements électoraux.
Diplômé d’un DEA de Sciences Politique et d’un DESS de Communication Politique et Sociale, Frédéric Dabi a commencé sa carrière à l’Ifop, en 1996, puis à CSA entre 2000 et 2003 avant de revenir à l’Ifop en 2004 comme directeur du pôle opinion et stratégies d'entreprise. En 2011, il est nommé directeur général adjoint de cet institut. Depuis 2021, il est directeur général opinion du groupe Ifop. Spécialisé dans la sociologie politique et l’analyse des comportements électoraux, Frédéric Dabi intervient régulièrement dans de nombreux médias tels que Le Figaro, Le Monde, le JDD et Paris Match, LCI, Public Sénat et Europe1.
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