Rats morts, violences, pillages : les médecins de Saint-Martin racontent l'horreur

12/09/2017 Par Sandy Berrebi-Bonin
Témoignage

Alors que le Président de la République et la ministre de la Santé se sont rendus hier dans les zones dévastées par l'ouragan Irma, la situation est toujours aussi critique, notamment à Saint-Martin où 95% de l'île a été dévastée. Sur place les médecins généralistes essaient tant bien que mal de travailler alors que certains n'ont plus de cabinet, qu'il n'y a pas d'électricité ni d'eau potable et que les pharmacies ont été pillées. Nous avons pu en interroger deux. Pour Egora, ils font le point sur la situation.

 

"On va tous mourir dans une épidémie de choléra"

Dr Jimmy Lam, médecin généraliste à Saint-Martin J'attends que les militaires arrivent pour sécuriser le périmètre. Nous sommes en zone de guerre ici. Heureusement mon cabinet n'a pas été dévasté mais il est quand même très difficile de faire des consultations. On ne sait pas à quoi s'attendre. J'ai dit à l'ARS que pour poursuivre mon activité, je voulais un militaire pour sécuriser le cabinet, sinon je ne fais rien. Je laisse crever les gens, comme le fait le gouvernement. Il y a une très forte insécurité ici, nous sommes réellement en zone de guerre. Il n'y a pas d'eau, pas d'électricité. Heureusement moi j'ai de l'électricité parce que j'habite à côté de l'hôpital qui est complétement dévasté. Quand certains de mes patients viennent me demander des consultations, je les donne gratuitement. La ministre de la Santé doit rapidement faire bouger les choses. Elle vient sur Saint Martin avec le Président mais ça ne sert à rien. L'urgence est de donner des médicaments aux gens et pas de faire de la publicité. Il n'y a plus de médicaments dans les pharmacies. Elles ont été pillées. Je viens également d'apprendre que le fournisseur avait aussi été pillé. Je suis vraiment écœuré par ce qu'il se passe et la prise en charge. Nous ne sommes pas du tout soutenus. Je ne peux pas sortir, je ne peux rien faire. C'est la guerre. On va aider les syriens mais personne ne nous aide. Dans quelque temps il va y avoir une épidémie de choléra et on va tous mourir. Ou alors on sera tué par les voyous qui ont volé des armes. Ils braquent tout le monde. Voilà la réalité. Ça n'est pas de la fiction. La ministre dit que nous ne craignons pas d'épidémie mais c'est des bêtises. Il y a des rats morts devant chez moi. Je vais arrêter de polémiquer, j'imagine que le gouvernement fait ce qu'il peut. Mais il y a vraiment urgence. Ils sont très très lents. Le gouvernement français a agi plus lentement que le gouvernement hollandais. Les seules choses qui sont faites c'est la distribution de bouteilles d'eau. Et encore, il y a trois jours je suis allé faire la queue pour avoir de l'eau, mais je n'étais pas là à la bonne heure donc je n'ai rien eu. Il va aussi nous manquer de l'essence. Nous sommes la 5ème puissance du monde, nous attendons des actes.  

"J'ai été piller les pharmacies pour distribuer des médicaments"

Dr Pierre-Yves Merlet, médecin généraliste à Saint-Martin Mon cabinet a été détruit à 100%. Pendant la tempête j'étais confiné chez moi avec ma femme et mes enfants. Ma maison n'a eu qu'une porte arrachée. J'ai quatre murs en béton. Pendant la tempête, les murs vibraient. C'était effarant. Depuis Irma, j'ai un cabinet ambulant, dans ma voiture. J'ai dû partir à la recherche d'essence. Je suis aussi allé dans les pharmacies déjà pillées pour retrouver des médicaments et remplir mon coffre. Cela m'a permis de faire des arrêts pour distribuer les médicaments de première nécessité, notamment pour les diabétiques ou les hyper-tendu cardiaques. J'ai aussi pu faire plusieurs sutures de plaies. Je m'occupe d'un quartier très sensible. Je fais des visites à domicile le soir, la nuit. Du coup malgré la violence, je n'ai aucun problème pour me rendre dans ce quartier dans lequel il y a des décombres partout. Personne ne m'embête parce qu'ils me connaissent pratiquement tous. J'aimerai bien ne pas avoir à faire de porte à porte et pouvoir concentrer mon action sur une structure. C'est déjà en discussion avec les pompiers et les secouristes. Cela permettrait de drainer deux quartiers et demi. Les gens pourraient venir et cela permettrait de centraliser les demandes. Dans le quartier d'Orléans, il y a de nombreux cas de diarrhées. Il y a des rats. Il faut mettre au plus vite une structure de soins dans cette vaste zone dans laquelle il n'y a qu'un seul médecin généraliste. Je vois aussi de mon côté pas mal de cas de diarrhées mais j'ai très peu de médicaments à distribuer. Nous avons vraiment besoin de médicaments. D'autant qu'il y a beaucoup de patients multi-pathologiques sur l'île. A l'heure actuelle les médicaments sont dans mon coffre mais il fait plus de 30 degrés… Il y a des armes sur l'île. Pas mal de gens ont des petits revolvers. C'est difficile à contrôler. Il y aurait des braquages. Beaucoup d'histoires possiblement vraies circulent sur plusieurs cas de braquages.  

Buzyn "inquiète" face au risque d'épidemie

Selon le Parisien qui a pu assister à une réunion entre Agnès Buzyn et les soignants de l'hôpital de Marigot à Saint-Martin, la ministre et le personnel hospitalier craignent le développement de maladies de l'insalubrité comme le choléra ou la typhoïde. Deux cas de morsures de rats ont été traités lundi à l'hôpital de Marigot. Trois enfants de moins de cinq ans ont par ailleurs été évacués immédiatement vers la Martinique, souffrant de fortes fièvres et diarrhées. Ils ont bu de l'eau de citerne, plutôt qu'en bouteille. "J'ai vu des enfants malades dans le quartier d'Orléans, qui vomissaient depuis trois jours, prévient Agnès Buzyn. Il faut absolument communiquer sur cette question de la potabilité. Je pensais que ce point était réglé."
Les priorités évoquées par la ministre sont la mise en place d'un dispensaire, pour les premiers soins, et soulager le centre hospitalier, où près de 500 personnes ont été prises en charge lundi. Onze généralistes exerçaient à Saint-Martin côté français avant l'ouragan. Trois seulement peuvent être opérationnels. Deux légionnaires seront affectés à chacun afin qu'ils soient sécurisés.
Emmanuel Macron a promis la mise en place "de mesures d’urgence" pour les habitants des îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. "Saint Martin renaitra, je m'y engage" a-t-il promis. Le "retour à la vie normale" est "la priorité absolue", a-t-il dit. Les priorités du Président de la République sont le retour de l’eau, de l’électricité et l’accès à l’école. S’agissant des critiques visant la gestion de la catastrophe par le gouvernement, le président français a assuré que celui-ci avait "répondu plusieurs jours avant" l’ouragan Irma. "L’anticipation a été complète." "Il n’était pas possible d’avoir une anticipation supérieure", a-t-il dit.

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