Réquisitionnée alors qu'elle n'a personne pour garder sa fille, une généraliste menace de déplaquer
"J'ai 33 ans et je suis installée depuis 2019. Après ma thèse, passée en 2017, j'ai remplacé pendant deux ans avant de m'installer seule dans une zone commerciale à Roquebrune-sur-Argens dans le Var, qui est une zone semi-rurale sous-dotée. La première année a été un peu difficile parce que je n'ai pas repris de patientèle mais désormais j'ai plutôt trop de monde !
Je suis séparée de mon conjoint et nous avons une petite fille de trois ans que nous élevons en garde alternée la semaine. Je m'occupe d'elle les trois premiers jours de la semaine et son papa les jeudis et vendredis. Puis nous alternons les week-ends.
Vendredi 17 décembre, j'étais au cabinet en consultation lorsque le facteur a sonné à la porte pour me déposer une lettre recommandée. Intriguée, j'ai ouvert et en découvrant le contenu de la lettre je crois qu'un "putain" m'a échappé. La lettre émanait de l'ARS et m'informait par arrêté préfectoral de ma réquisition pour la garde de 20h à minuit du 26 décembre 2021. J'ai rapidement fait le calcul. C'était dans neuf jours et pendant mes jours de garde de ma fille.
"Les médecins de l'hôpital sont fatigués"... et moi?
Sans attendre, j'ai composé le numéro de téléphone qui figurait en bas du courrier. Je suis tombée, je pense, sur une secrétaire de l'ARS, à qui j'ai expliqué ma situation. Ici il n'y a pas de périscolaire pendant les fêtes, je dois garder ma fille et ma famille n'habite pas à proximité. Je n'ai donc aucun mode de garde pour me libérer et pouvoir travailler le 26 au soir. Après m'avoir écoutée, elle m'a répondu : "vous savez, les médecins de l'hôpital sont fatigués". C'est sûr que moi médecin généraliste en libéral, je joue au golf tous les après-midis donc je suis en pleine forme ! C'est n'importe quoi et surtout je n'ai pas besoin d'elle pour me décrire la situation hospitalière, je pense être au courant.
Elle m'a toutefois conseillé d'écrire un mail à l'ARS et à l'Ordre en leur expliquant que je ne pouvais pas effectuer cette garde, ce que j'ai immédiatement fait. Je n'ai pas eu de réponse.
Désemparée et inquiète de cette situation qui tournait en boucle dans ma tête, le dimanche, je me suis confiée sur un groupe Facebook composé de mamans médecins. J'ai reçu beaucoup de messages de soutien et le contact d'un médecin de la FMF, qui pouvait peut-être m'aider. Il m'a donné d'autres coordonnées de praticiens dans la région et nous avons cherché un médecin qui aurait pu me remplacer pour cette garde.
Lit parapluie dans un coin
Sans réponse à mes mails le mardi matin, j'ai décidé de téléphoner au conseil de l'Ordre. Mon interlocutrice était au courant de la situation, elle avait été contactée par un médecin de la FMF. Elle m'a expliqué que les réquisitions ne dépendaient pas de l'Ordre mais de l'ARS. Moi qui pensais que l'Ordre était là pour venir en aide aux médecins… Je lui dis alors : "Bon très bien, je vais faire ma garde avec ma fille dans un lit parapluie dans un coin de la pièce". Elle me répond très sérieusement : "Bonne idée, faites ça".
Il en est évidemment hors de question. Je lui ai alors demandé ce que je risquais à ne pas faire cette garde. Elle m'a répondu que les gendarmes sonneraient à la porte pour venir me chercher et que je risquais plus de 3000 euros d'amende. J'ai imaginé la situation et je me suis mise à pleurer.
"Si les gendarmes sonnent je déplaque"
Je suis une jeune généraliste. J'ai accepté de m'installer dans une zone sous-dotée, je suis allée bosser en centre Covid lors du premier confinement alors qu'on manquait de masques et de gels hydroalcooliques, avec un bébé d'un an et je suis traitée comme une délinquante. J'étais atterrée.
En larmes, j'ai expliqué à mon interlocutrice que si je voyais les gendarmes sonner à ma porte et que je devais payer une amende je déplaquais en indiquant sur ma plaque les coordonnées du conseil de l'Ordre pour qu'ils expliquent la situation à mes 1500 patients. Quinze minutes plus tard, je recevais un mail de l'ARS pour m'indiquer que la garde était annulée.
Manque de reconnaissance
Si on veut donner envie aux jeunes de s'installer, il va falloir s'y prendre autrement. C'est aberrant d'être obligée de menacer pour se faire respecter et qu'il y ait si peu d'empathie face aux difficultés. J'ai le sentiment d'être un pion que l'on déplace. Le lundi 27 décembre j'avais 30 patients à voir. Que moi aussi je sois fatiguée, j'ai l'impression que ça n'intéresse personne.
J'ai le sentiment qu'on n'a pas de respect pour les médecins généralistes. Nous avons bossé avec courage dès le début de la pandémie pour n'avoir ni un merci ni cent balles. Ça n'est pas pour cela que nous le faisons et à refaire je recommencerais mais j'en ai assez de ce manque de reconnaissance. Cette réquisition a été la goutte d'eau. D'autant que sur le courrier aucune rémunération n'était mentionnée. En payant une nounou au moins 50 euros pour garder ma fille, j'aurais gagné quoi au final ? 30 euros ? J'ai l'impression qu'on oublie que les médecins libéraux sont aussi des chefs d'entreprise, avec des charges, un loyer… Nous ne travaillons pas pour la gloire."
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