Mission flash sur les urgences : quel impact pour la médecine libérale ?

29/11/2022 Par Louise Claereboudt
Urgences
Le rapport issu de l’évaluation des mesures "dites flash" prises cet été, menée par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), a été rendu public ce lundi 28 novembre. Voici ce qu'il contient.
 

Les conclusions de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la mission flash mise en œuvre cet été se faisaient attendre. Elles ont finalement été publiées ce lundi. Confiée à François Braun, alors patron du Samu-Urgences de France, cette mission visait à déployer une "boîte à outils" en vue de soulager l’hôpital, et en particulier les urgences, en proie à des pénuries de personnels, faisant craindre une situation dramatique en pleine période estivale. De mi-juillet à la fin septembre 2022, ce sont ainsi une quarantaine de recommandations qui ont été mises en œuvre par les agences régionales de santé, chargées de les déployer sur le terrain. Objectif : actionner tous les leviers possibles pour "garantir une réponse adaptée aux besoins de santé des Français", indiquait François Braun, promu ministre de la Santé et de la Prévention, en juillet dernier. Le nouveau ministre avait d’emblée précisé que ces mesures – validées à titre dérogatoire pour trois mois – allaient faire l’objet d’une évaluation précise. Celle-ci avait été confiée à l’Igas, et a été réalisée en août et en septembre. "Elle devait apprécier l’intérêt d’une potentielle pérennisation ou généralisation de tout ou partie de ces mesures." Dans son rapport de 192 pages, l’Igas préconise une pérennisation "pour la plupart des mesures concernant la réponse aux urgences vitales et graves, et la fluidification des parcours d’aval". A commencer par la majoration de l’indemnité de sujétion de nuit et des heures de nuit pour les personnels médicaux et non médicaux, même s’il est "difficile d’évaluer l’impact de mesure sur le soutien des effectifs durant l’été". Elle considère par ailleurs la mise en place d’une gestion territoriale des lits d’aval sous la responsabilité de l’ARS comme étant une "priorité absolue".   Limiter les passages aux urgences Selon les inspecteurs, les mesures de régulation à l’accès aux services d’urgences sont "une réponse de bon sens à l’afflux de patients et aux tensions de fonctionnements qu’il génère", mais demeurent "très éloignées du droit commun en France et des habitudes des patients", nuancent-ils dans la première partie de leur rapport fleuve. En effet, les experts ont relevé que les changements culturels étaient "longs". La régulation préalable par le 15 a été mise en œuvre par 14% des services d’urgences répertoriés dans l’enquête, celle à l’entrée des urgences par un infirmier organisateur de l’accueil (IOA) a été mise en place par 12% des SAU. En revanche, "les modalités concrètes de mise en œuvre de ces dispositifs" ont été extrêmement "variables", "en termes de durée" ou encore "d’horaires", pointe le rapport. Soulignant un "manque de recul", les inspecteurs avancent néanmoins que les données issues de l’analyse "paraissent bien corroborer les attendus logiques de ces mesures" : augmentations des appels au 15, baisse des passages aux urgences, ou encore diminution des situations les moins graves. Par ailleurs, durant l’été, le nombre de fermetures a finalement été très faible et "les tensions de fonctionnement paraissent avoir diminué".

L’Igas préconise néanmoins de ne pas "précipiter sa généralisation" qui "conduirait à prendre des risques élevés", identifiant plusieurs points de vigilance, tels que "la nécessité d’une communication adaptée et récurrente", la nécessité d’une "surveillance des reports d’activité sur des SAU voisins non régulés", ou encore de disposer de "textes garantissant la sécurité juridique" de ces mesures. Les inspecteurs jugent ainsi plus judicieux de "parfaire l’évaluation des résultats" en permettant aux expérimentations de se poursuivre et aux ARS de continuer à autoriser le recours à la régulation à l’accès aux SAU à titre dérogatoire. Cela va dans le sens de ce que souhaite le Gouvernement. Le 8 novembre, le ministre de la Santé, invité de l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), avait indiqué que cette régulation avait permis "pour la première fois depuis dix ans de diminuer la fréquentation des SAU, entre 5 et 6%", et que toutes les mesures dites flash seraient "prolongées", - une instruction a par ailleurs été transmises mi-novembre aux directeurs des ARS – à l’exception de l’ouverture des maisons médicales de garde le samedi matin.   Holà sur l’ouverture des maisons médicales de garde le samedi matin Sur ce point, l’Igas conclut elle aussi que cette mesure "n’a pas prouvé son utilité". "Il n’est pas prouvé à ce jour que la demande de soins non programmés le samedi matin soit si forte que cela", indiquent les inspecteurs qui craignent qu’une telle mesure ne "dissuade" les médecins libéraux d’ouvrir leur cabinet le samedi matin. Cette mesure "alimente par ailleurs la revendication consistant à mettre en œuvre la PDSA dès le samedi matin", soulève l’Igas, qui considère qu’à ce jour "les conditions d’une telle extension ne sont pas réunies". "Il faudrait a minima, au préalable, s’assurer que...

le besoin de prise en charge des soins non programmés le samedi matin est bien réel, à travers une évaluation précise", avance-t-elle, précisant que les MSP et les centres de soins non programmés "offrent déjà des créneaux" le samedi matin.   Régulation par le SAS L’Igas avance que les mesures flash de cet été "ont levé les freins identifiés à une mobilisation" des médecins régulateurs généralistes "pour une régulation en journée dans l’objectif d’une généralisation des SAS [Service d’accès aux soins, ndlr] et d’une régulation H24". Parmi les mesures dérogatoires en question, certaines visaient à permettre aux médecins régulateurs libéraux en journée de bénéficier de la couverture assurantielle de l'établissement de santé pour réaliser une activité de régulation ; et à les rémunérer au taux horaire de 100 euros avec prise en charge des cotisations sociales. Grâce aux données de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), l’Igas rapporte une montée en charge du forfait régulateurs SAS pour juillet avec 659 médecins généralistes ayant réalisé au moins une heure de régulation, pour un coût total de près de 1,2 million d’euros. Sur la période, les médecins régulateurs généralistes (MRG) ont réalisé en moyenne 18h de régulation sur le mois ; et le paiement du forfait régulation MG a concerné 36 départements dont 29 avec un SAS pilote ou en projet. En août, 52 départements ont assuré une régulation MG 24h/24, 8 de plus qu’en janvier 2022.

Selon une enquête du Samu-Urgences de France, 52% des Samu ont pu bénéficier de renforts de MRG, "renforts jugés toutefois encore insuffisants pour 40% d’entre eux". "Ces mesures dérogatoires sont reconnues comme globalement efficaces par les ARS et par les associations départementales de MG", même si "les résultats sont variables selon les mesures", indique l’Igas, qui note toutefois que "dans certaines régions, la différence de tarif entre le forfait national régulation SAS et le forfait régional PDSA a été à l'origine de revendications des associations départementales de permanence des soins pour obtenir un alignement des tarifs", obligeant les ARS à compléter le financement assurance maladie avec le fonds d’intervention régional (FIR). "La pérennisation de ces mesures juridiques, financières et déontologiques se justifie en attendant d’être intégrée dans le droit commun qu’il soit législatif (couverture assurantielle), conventionnel (rémunération horaire de la régulation), ou ordinal (règles de l’adjuvat des médecins et des infirmiers)", notent les inspecteurs. Sur le cumul emploi-retraite, l’Igas estime que la simplification des démarches d'affiliation "pourrait être pérennisée, car les démarches administratives sont dissuasives à une reprise d'activité". En revanche, "il pourrait être mis fin à l’assouplissement au plafonnement" du cumul emploi-retraite, qui peut "conduire à des effets d’aubaine pour l’activité de régulation exercée par des médecins qui n’ont plus de charges de cabinet, sans que ses effets soient avérés sur le nombre de régulateurs". Enfin, les inspecteurs avancent que l’alignement des conditions juridiques et financières entre la régulation diurne et en horaire de PDSA "ne permet pas de reconnaitre la sujétion de travail de nuit et de week-end et pourrait inciter certains médecins régulateurs à privilégier la régulation diurne" ; et préconisent donc que "les négociations tarifaires de la régulation diurne et de la PDSA soient nationales".   Majoration de 15 euros de l’acte Dans le cadre du déploiement des SAS sur les territoires, les inspecteurs ont relevé de "nombreuses réserves" de la part du terrain sur la décision nationale d’aller vers un modèle unique de plateforme numérique. Ils estiment que l’"échéance d’octobre" fixée par le ministère pour une utilisation obligatoire de la plateforme paraît "trop contrainte". Et recommandent une obligation pour les SAS qui "se mettent en place", et un accompagnement au changement pour les autres, avec l’appui des groupements régionaux d’appui au développement de la e-santé.

Sur le plan financier, l’Igas recommande de pérenniser la majoration de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation Samu/SAS pour un patient hors patientèle médecin traitant, dans la limite d’un plafond hebdomadaire. Le ministre de la Santé s’était déjà dit "satisfait" par la mesure, annonçant sa prolongation. Celle-ci devrait par ailleurs être un sujet central des négociations conventionnelles en cours entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux, à travers l’examen des dispositions de l’avenant 9. Avant l’entrée en vigueur de la future convention, la mission considère "qu’il sera politiquement très compliqué de...

revenir sur les conditions actuelles de rémunération prévues" par la mission flash. Elle ajoute que les négos devront permettre de déterminer quels sont les actes qui peuvent être majorés pour des soins non programmés : "tous les actes régulés par le SAMU/SAS ou les seuls actes régulés réalisés en surnuméraire". Et devront "trancher sur la possibilité de cumuler une rémunération forfaitaire (indicateur 8) et une rémunération à l’acte". Les inspecteurs avancent toutefois deux garde-fous : "l’obligation préalable de passer par la régulation du SAS ou du Samu pour bénéficier d’une majoration pour des soins non programmés" ainsi que "la fixation d’un seuil hebdomadaire d’actes en soins non programmés régulés par médecin". "Il faut veiller impérativement à préserver un équilibre entre prise en charge des soins non programmés et prise en charge des soins primaires, les premiers ne devant pas devenir prioritaires sur les seconds", estiment-ils.   Non au remboursement à 100% des téléconsultations Tout un pan du rapport s’est par ailleurs intéressé à l’usage de la télémédecine dans la prise en charge des soins non programmés. Si l’Igas souligne les "atouts" d’une prise en charge à 100% des téléconsultations, elle ne recommande pas sa pérennisation au-delà de l’été 2022. "Il s’agit donc désormais de recadrer la pratique et d’encourager son développement dans le cadre du droit commun." En revanche, il peut être "envisageable" de maintenir une prise en charge à 100% pour les téléconsultations régulées par le Samu ou le SAS. Par ailleurs, elle plaide pour le maintien de la règle consistant à limiter à 20% le volume global annuel d’activité consacré à la télémédecine, "même si ce point n’est pas consensuel".

Enfin, l’Igas conseille d’être "prudent" dans la pérennisation de la mesure visant à favoriser et à financer le déploiement des unités mobiles de télémédecine intervenant sur demande du Samu ou du SAS, notant des "aménagements indispensables". Notamment, il "importe […] de mettre en adéquation le rôle de l’infirmier embarqué à bord du véhicule de l’unité mobile avec le champ de compétences de la profession" ; le rôle de celui-ci dans ces unités mobiles étant aujourd’hui "limité à la prise des constantes, à la réalisation d’un éventuel électrocardiogramme et à l’assistance du médecin qui réalise la téléconsultation". "Un premier aménagement utile de la mesure réside donc dans le fait d’autoriser l’IDE de l’unité mobile à réaliser les actes nécessaires prescrits par le médecin", comme le pansement, "impliquant d’embarquer une pharmacie dans le véhicule", imaginent les inspecteurs. Ces derniers souhaitent par ailleurs pérenniser la mobilisation des infirmières libérales (IDE) volontaires pour assurer une réponse aux soins non programmés à la demande de la régulation Samu/SAS, bien que la mise en place "encore très progressive" de la mesure "ne permet pas à ce jour de réaliser une évaluation solide". "Cette complémentarité ville-hôpital et médecins-IDE contribuera d’ailleurs au renforcement de la technicité des pratiques infirmières", indique l’Igas, qui appelle à "dépasser les réticences médicales pouvant parfois s’exprimer à ce sujet". Globalement, la mission se positionne également en faveur de la poursuite de la simplification de l’application des protocoles de coopération entre les professionnels de santé, sous coordination médicale, et plaide pour le développement des CPTS.   Smur paramédical… Parmi les autres mesures qui ont reçu le feu vert des inspecteurs, on peut citer la mise en place d’équipes paramédicales de médecine d’urgence, l’autorisation pour les étudiants en 3e cycle d’études de médecine d’effectuer des remplacements de praticiens à l’hôpital public "dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues pour les remplacements en libéral", la favorisation du recrutement de soignants libéraux à l’hôpital…

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