"Penser qu'on peut mourir à domicile sans un accompagnement serré du médecin est un leurre" : le Dr Méheut se confie [EXCLU]

28/02/2020 Par Dr Jean Méheut-Ferron
Poursuivi pour administration du midazolam à des patients en fin de vie, le Dr Jean Méheut-Ferron, frappé d’une interdiction d’exercice depuis novembre dernier, devrait reprendre son exercice le 6 mars prochain si l’audience du 4 mars à la chambre d’instruction de Rouen l’y autorise. Une reprise qu’il envisage, pour sa part, pour la semaine suivante ; la perspective, et l’enjeu, de l’audience l’empêchant de « passer à autre chose ».
 

« Sous contrôle judiciaire et toujours interdit d’exercer, je dédie ces lignes, ainsi que mes efforts, à mes patients exhumés et à leurs proches, et à mes confrères : non seulement leur générosité à mon égard m’encourage à intervenir ici, par le biais d’egora, mais, dès la garde à vue, j’ai éprouvé de la joie en pensant, qu’enfin, on allait remettre, au centre, la médecine générale. Cet écrit fait suite aux rapports de l’Haute Autorisé de santé (HAS) sur l’antalgie et les pratiques sédatives chez les personnes en situation palliative jusqu’en fin de vie, et de l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) qui dit, en résumant, que les choses vont dans le bon sens mais pas assez vite. Un communiqué du ministère de la Santé a précisé, le 10 février, que la dispensation du midazolam injectable serait permise d’ici 4 mois aux médecins qui prennent en charge des patients en fin de vie à leur domicile. J’ai accompagné le mouvement des soins palliatifs depuis 1990, date du premier congrès de l’European Association for Palliative Care (EAPC), congrès fondateur de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) à laquelle j’ai adhéré plus tard. En trente ans, j’ai pris en charge peut-être une centaine de patients. Sans jamais de recours à une sédation profonde et continue ni à quelque pratique « lytique ». Quelle contribution puis-je apporter ?

Quel but recherchons-nous ? Préserver l’autonomie du patient, sachant que la grande majorité des usagers de santé souhaiterait mourir à domicile. Quelle a été la question posée ? Celle de la dispensation du midazolam en ville par le médecin traitant. Le problème vient-il du midazolam, ou du médecin généraliste qui serait a priori défaillant ? Le midazolam est un produit à marge thérapeutique large...

alors que les ampoules font 5 mg, la DL50 per os, extrapolée du rat et de la souris, est estimée (source OCLAESP) à 80 grammes pour un homme de 50 kilos, 2,5 grammes à 3,75 grammes par voie IV… Il ne faut cependant pas le banaliser : si le risque de dépression respiratoire est très faible pour quelques milligrammes, ce médicament présente une tachyphylaxie, et ces qualités en font une possible drogue de soumission chimique. Du reste, c’est le laboratoire Roche qui avait préféré, en 1990, restreindre son usage à l’hôpital pour éviter des procès pour mésusage. L’utilisation du midazolam doit donc être sûre et encadrée, mais pas parce qu’il est un produit intrinsèquement dangereux. Sa rapidité de diffusion et sa glycuroconjugaison en un seul passage hépatique en font la benzodiazépine de choix, quand le seul autre injectable à disposition est le diazépam, qui diffuse moins vite et dont le métabolisme est autrement démultiplié. La cinétique du midazolam permet une titration sûre. Il faut limiter son usage à la fin de vie (quelques jours, voire peu de semaines) du fait de la tachyphylaxie et de l’encadrement de sa pratique nécessaire à éviter le mésusage. De plus, il génère beaucoup moins de confusion chez la personne âgée que les autres somnifères et anxiolytiques, il est moins dépresseur respiratoire que la morphine, inadéquate pour la sédation, il ne donne pas d’indifférence affective (effet d’emmurement), contrairement aux neuroleptiques aux effets secondaires pléthoriques… C’est le sédatif qui préserve le mieux l’autonomie du patient.

"Le problème vient-il du midazolam, ou du médecin généraliste qui serait ‘a priori’ défaillant ?"

Sa titration très rapide et sa marge thérapeutique lui donnent une courbe d’apprentissage courte. Qui dira que les médecins généralistes ne sauront pas s’en servir ? Je pense que ce produit m’a permis d’éviter ou d’alléger nombre de situations de détresse au domicile, en écrêtant des périodes de confusion, en permettant des sommeils nocturnes, même si sa cinétique oblige la reprise d’une dose après quelques heures. Je l’ai essentiellement utilisé per os, délivré par les proches, en expliquant quelle dose donner, et l’ai choisi quand les autres somnifères présentaient des effets indésirables, ce qui est fréquent. En préservant au moins un peu le cycle nycthéméral, le midazolam aide à diminuer le stress de l’entourage qui veut se mobiliser pour garder un proche à la maison.

Les demandes d’euthanasie sont très rares et correspondent plus à des demandes de « changement de vie », l’agitation terminale est encore plus exceptionnelle, la douleur, dans ma modeste expérience, quasiment jamais au premier plan. Faut-il une collégialité et une hospitalisation à domicile (HAD) pour administrer un somnifère ? En revanche, les ampoules...

doivent être comptées, la personne du domicile qui va administrer le midazolam si nécessaire doit savoir quelle dose donner (la préparer dans une seringue pour faciliter l’administration per os), et le produit, qui dispose maintenant d’une large publicité, doit être sous clé. Nous soignons à domicile des patients sans directives anticipées. Dans ce cadre, cela ne pose pas de problème : nous marchons au même pas. Quelles sont les difficultés rencontrées au domicile pour la pratique du soin palliatif ? La durée surtout, qui semble abandonner le terrain à la maladie, peut être vécue comme une souffrance, indépendamment de la souffrance du patient. Mais le domicile est le lieu de vie de tous, donc un lieu où, par définition, on devrait pouvoir y mourir. Ce lieu doit être visité.

"La douleur doit emprunter des circuits courts"

J’ai rapidement compris que les proches du malades avaient « le pilote automatique verrouillé sur la catastrophe » et qu’attendre un éventuel appel était immanquablement s’exposer à découvrir une situation très évoluée et ingérable hors hospitalisation. J’ai donc pris le parti de passer au moins soir et matin – si ce n’est trois fois par jour –, et le dimanche quand cela me semble nécessaire. C’est un choix sans compromis, que mon exercice libéral me permet. Nous craignons la durée, devant laquelle nous nous sentons facilement démunis. Ce n’est certes pas une fin en soi mais elle est nécessaire aussi à l’accompagnement comme au deuil. Dans cette époque où tout se presse et se chahute, elle peut être un moment rare. Il faut un peu de temps pour que les proches changent leur tempo quand ils ne sont pas obligés de retravailler, et un assouplissement des règles serait bienvenu. Eux-mêmes doivent pouvoir être épaulés pour accompagner, ce qui les aidera dans leur deuil.

Les interlocuteurs importants et pertinents pour le médecin sont les proches, l’infirmière, et l’aide-soignante dont la place mériterait d’être mentionnée en tant que telle dans les recos, ainsi que l’auxiliaire de vie. L’aide-soignante devrait pouvoir appeler le médecin en direct : la douleur doit emprunter des circuits courts. L’aide-soignante qui côtoie et entend la douleur du patient qu’elle mobilise, tout en étant en dehors du soin médical, doit être aidée spécifiquement et faire partie du circuit de parole. Dans toute la mesure du possible...

un des passages quotidiens du médecin doit permettre de rencontrer les autres professionnels, à moins de bien se connaître et de communiquer facilement. Chaque intervenant va s’exprimer à sa façon. De bonne heure le matin, les proches peuvent dire si la nuit a été bonne ou mauvaise, c’est important ; un passage de milieu de journée permet souvent de revoir le traitement, et le soir de prendre un peu de recul. Penser que l’on peut mourir à domicile sans un accompagnement serré du médecin est un leurre. On ne construit pas un bâtiment sans une maîtrise d’ouvrage très présente. L’exercice libéral, et son paiement à l’acte, y conviennent assez bien.

"Dans quelle mesure la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès n’est-elle pas médecin dépendante, équipe dépendante ?"

Si le domicile est un lieu de vie, l’hôpital est un lieu de survie. Ce qui ne remet pas en cause la qualité des soins. Nous n’avons pas besoin de récupérer la chambre de nos patients à domicile ; l’hôpital, toujours plein, doit gérer ses sorties. Dans quelle mesure la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) n’est-elle pas médecin dépendante, équipe dépendante, service dépendante, voire période dépendante, selon les taux de remplissage et malgré la collégialité ? Vu le nombre de décès aujourd’hui à l’hôpital, et la tension liée à la charge de travail, comment pourrait-il en être autrement ? Le midazolam a presque toujours été associé (exception faite du rapport récent de l’HAS) à la SPCMD : je m’interroge, moi qui n’ai jamais eu recours à cette pratique. Dans leur grande majorité, les patients souhaitent mourir chez eux, et les proches se sentent démunis. Nous pouvons, et devons, les aider. Le domicile est un lieu de vie, donc un lieu où l’on doit pouvoir mourir avec simplicité. Dans la préservation du rythme nycthéméral en fin de vie, et l’écrêtement des périodes confusionnelles (dont les causes doivent bien sûr être recherchées), le midazolam est une petite aide mais qui peut être déterminante. La présence, l’investissement et la disponibilité du médecin traitant sont absolument essentiels. Les jeunes médecins doivent, bien sûr, se faire aider...

 c’est à dire que leur formation doit se poursuivre sur le terrain en vue de leur autonomisation pour les cas qu’ils peuvent gérer. Se faire aider certes dans l’usage de médicaments qui ne leur seraient pas familiers, mais surtout dans la pratique du soin palliatif en général : il s’agit moins d’apprendre à se servir du midazolam et de quelques autres médications que de rassurer une famille par une présence attentive et une bonne disponibilité. Irréaliste aujourd’hui ? Nous verrons… Encore faut-il énoncer le problème. Les sources de formations validées existent. La possibilité d’une aide au domicile, par des praticiens compétents en soins palliatifs et en douleur se déplaçant au domicile et restant disponibles et joignables par leur confrère, serait, à mon avis, plus utile que la construction de nouveaux services.

De tels confrères – éventuellement accompagnés d’une aide-soignante pouvant donner son avis quant au confort du patient – venant épauler des praticiens moins expérimentés, devraient pouvoir participer à des réunions rassemblant au moins le médecin traitant, l’infirmière libérale, une aide-soignante, les proches, une psychologue…

"Les jeunes médecins doivent se faire aider : leur formation doit se poursuivre sur le terrain "

Des services d’appoint compétents sont éventuellement bienvenus, les aides-soignantes sont très souvent nécessaires, les aides de nuit trop peu nombreuses… Et pourquoi ne pas envisager un assouplissement de la réglementation du travail pour les proches impliqués ?"

 
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