Homéopathie à la fac : "Il est de notre responsabilité que nos étudiants découvrent ces autres mondes", plaide le doyen des doyens

18/07/2019 Par Yvan Pandelé

Le Pr Jean Sibilia (université de Strasbourg), président de la conférence des doyens de facultés de médecine, s’est jusqu’à présent toujours refusé à choisir un camp dans le débat sur l’homéopathie, qu’il trouve clivant et mal posé. En juin, la HAS a fait connaître son avis sur l’intérêt des spécialités homéopathiques (pas d’efficacité propre, intérêt de santé publique non démontré) et la ministre de la Santé a acté le principe d’un déremboursement en 2021. La position des universités a-t-elle évolué en fonction ? Entretien.   Egora.fr : L’avis de la HAS est connu, le déremboursement est acté. Tous les regards se portent désormais vers l’université. Pr Jean Sibilia : On a "fait le ménage" et on "fait le ménage", avec une méthodologie rigoureuse pour tous les enseignements de médecines intégratives et/ou complémentaires. Actuellement le sujet est surtout celui de l’homéopathie, parce que c’est l’actualité, mais c’est un travail de fond beaucoup plus large. Un groupe de la conférence travaille sur le sujet depuis un an, avec sérénité. Se développe l’idée de mettre en place un observatoire des "médecines intégratives" dans chacune des UFR. Il aura pour fonction de mettre de la rigueur dans ces enseignements. Pour nous c’est très important : il n’est pas question d’enseigner des choses sans fondement. Les formations qui n’auront pas la qualité requise seront fermées, comme cette année à Angers ou à Lille (voir encadré). Qu’y aura-t-il dans cette charte ? Le travail est en cours. C’est un travail de fond qui ne doit pas se faire dans l’urgence mais avec sagesse et rigueur. L’homéopathie est enseignée depuis des décennies… Nous devons traiter le sujet, mais il faut aussi assumer que ce n’est pas un problème de santé publique qui menace nos populations. Nous souhaitons donc avoir une charte d’enseignement commune à nos UFR pour construire les enseignements de médecines intégratives et complémentaires avec la rigueur nécessaire tout en encourageant une forme d’ouverture d’esprit. L’université continuera donc à enseigner l’homéopathie via des DU/DIU ? Notre responsabilité est de synthétiser et "digérer" toutes les connaissances sur le sujet. Or l’homéopathie est un sujet qui mérite qu’on s’y intéresse. Près de 80 % des patients atteints de cancer prennent de l’homéopathie et 75 % des citoyens de notre pays trouvent que cela  "apporte quelque chose". Donc il y a un sujet. On ne peut pas, parce que la HAS dérembourse, dire que... tout enseignement doit instantanément s’arrêter. Plus la connaissance évolue et plus elle est controverse, plus il faut que l’enseignement universitaire s’y intéresse. Aujourd’hui l’homéopathie est controverse, ce qui pose de vraies questions que l’université doit enseigner à ses étudiants. Quand on regarde certaines plaquettes de DU d’homéopathie, on constate encore des enseignements structurés par spécialité et indication. N’est-ce pas l’indice qu’on enseigne quelque chose de non scientifique ? C’est le sujet de fond pédagogique. La vraie question n’est pas de savoir s’il faut enseigner mais comment construire ces enseignements. Est-ce que c’est par spécialité et indication ? Je ne crois pas. On peut enseigner les concepts d’une médecine dite homéopathique, mais en précisant bien les éléments de preuve scientifique. Il est important aussi d’étudier et donc d’enseigner les déterminants sociologiques de son succès dans de nombreux pays. Il faut bien déterminer les limites et les questions que suscitent l’homéopathie et les autres médecines intégratives et/ou complémentaires. Par exemple, faire une prévention efficace de la grippe par des granules homéopathiques alors qu’on a un vaccin antigrippal est aberrant. En revanche, en cas de symptômes sans stratégie thérapeutique efficace connue, est-il aberrant d’utiliser une prise en charge intégrative homéopathique ? Notamment pour éviter la prise de médicaments plus toxiques, indépendamment du mécanisme d’action présumé. C’est intéressant pour nos jeunes médecins de comprendre comment l’homéopathie ou d’autres stratégies répondent à ces questions difficiles qui sont de véritables zones d’incertitude médicale. Dans ce cas, pourquoi ne pas aller au bout de la logique et rapatrier l’homéopathie dans la formation initiale, afin de s’affranchir des éléments fantaisistes ? C’est une idée à laquelle nous réfléchissons. Il y a déjà, notamment en 1er cycle, des enseignements sur les médecines intégratives et complémentaires. Il faut être cohérent. Nous souhaitons... sensibiliser nos étudiants à une vision humaniste de la médecine, par exemple en leur décrivant aussi d’autres pratiques comme la médecine ayurvédique et la médecine chinoise. Il est de notre responsabilité que nos étudiants découvrent ces autres mondes, tout en leur expliquant ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. Et surtout en définissant bien les limites, en s’appuyant sur une analyse rigoureuse par les preuves. Beaucoup déplorent que l’université légitime l’homéopathie en l’enseignant. On ne légitime rien, on enseigne pour transmettre de la connaissance et des compétences. L’exercice professionnel n’est pas de la responsabilité de l’université. Un DU n’est pas un DES (diplôme d’études spécialisées), mais un enseignement universitaire actualisé et critique… ce n’est donc pas une légitimation d’un exercice professionnel. Ce qu’il faut entendre par là, c’est sans doute la crainte de voir jetés aux orties les principes de l’evidence-based medicine (EBM) dans certains enseignements. L’EBM est un fondement de la médecine. C’est une fondation solide de l’exercice médical, mais il existe aussi un immense domaine hors EBM qui est celui de l’incertitude médicale. N’enseigner que l’EBM est insuffisant. Nos étudiants, quand ils vont exercer, vont découvrir tout un abyme d’incertitudes médicales dans de nombreux domaines. Notre responsabilité est de bien les préparer à cela. Et l’un n’empêche pas l’autre… Il faut former par l’EBM mais aussi savoir se préparer à l’incertitude de la décision quotidienne.  

Formations d’homéopathie : où en est-on ?

Avant la décision de la HAS, le président de la conférence des doyens Jean Sibilia (Strasbourg) avait pris position en faveur du maintien des DU d'homéopathie, afin de maintenir la discipline dans le giron de l’université. Il maintient sa position dans cet entretien. D'autres universités font figure de bastions, telles que Lyon-Sud (et son amphithéâtre "Boiron"). A l'inverse, la fac de Lille avait suspendu sa formation en attendant l'avis de la HAS, et Angers l'avait supprimée. Tours a suivi le même chemin depuis, et le président de Paris Descartes a appelé à suivre le mouvement. Quant à Bordeaux, elle ne propose plus de formation depuis 2009. À noter, cependant : la plupart des formations d’homéopathie ne dépendent pas des facultés de médecine mais des facultés de pharmacie. Une cartographie plus précise devrait être connue d’ici la rentrée. Retourner au début de l'article

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