"Je voulais qu'on m'autorise à devenir généraliste" : la croisade d'un jeune médecin pour changer de spécialité
Il a bataillé cinq ans pour devenir généraliste "coûte que coûte". À 30 ans, Cyril, jeune praticien diplômé en médecine du travail, se résigne, peu à peu, à prendre un poste de titulaire dans sa spécialité. Après les ECNi, il a écouté son père, généraliste, qui lui a déconseillé de suivre sa voie… Mais très vite, il a regretté son choix et a dû faire face à de nombreux obstacles législatifs qui l’ont empêché de faire un droit au remords vers la MG et le bloquent au moins trois ans avant de pouvoir se relancer dans un nouvel internat. Après avoir tout tenté, jusqu’à partir étudier en Suisse, il craint que sa motivation à se réorienter ne s’amenuise avec le temps. Il raconte sa lente désillusion à Egora.
“N’est pas généraliste qui veut. C’est la vie !”, a répondu un coordonnateur de département de médecine générale du Sud de la France à Cyril*, il y a quelques mois. À 30 ans, le jeune praticien, diplômé en médecine du travail en 2022, se bat depuis plus de cinq ans pour devenir généraliste. Prêt à tout, même à se lancer dans un nouvel internat de médecine générale, il se heurte à des blocages institutionnels et législatifs. Il a pourtant tout essayé : le droit au remords en France, partir en Suisse, écrire aux Ordres, aux ARS, aux ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé… “Tous les jours, je vois des articles sur le manque de médecins, la pénurie médicale, et je mets ça en parallèle avec ma situation. Je me dis que c’est bête”, soupire-t-il. “La réponse de cet universitaire est peut-être sévère, mais au moins, lui m’a répondu.”
Cyril a passé les ECNi en 2017. À la fin de son externat, son père, généraliste, lui déconseille de s’orienter vers sa spécialité. “À vrai dire, quand je suis parti en médecine, je m’imaginais médecin de montagne. J’avais demandé un stage en ce sens à Chamonix, mais ça m’a été refusé par manque d’intérêt pédagogique”, se souvient-il. Une décision de la faculté qui met fin à son ambition. Sportif de haut niveau, il se blesse de plus gravement au genou l’année du concours et doit assumer une intense rééducation en parallèle de ses révisions des ECNi. “Ça ne m’a pas aidé pour le classement, j’étais dans la deuxième moitié”, poursuit le médecin. “Si ma famille ne m’avait pas déconseillé la médecine générale, je pense que je serais parti sur ça dès le début de mon internat. Mais c’est facile de le dire a posteriori”, avoue-t-il aujourd’hui.
Curieux et volontaire, le jeune homme se lance donc dans un internat de santé publique. “Je m’imaginais faire de la clinique et de l’épidémiologie. Ça m'intéressait, il y avait un côté sympa de pouvoir varier les pratiques… en tout cas dans l’idée que je m’en faisais au moment de choisir la spé, car on a très peu de santé publique pendant l’externat.” Prudent, il se réserve la possibilité de faire un droit au remords vers la médecine générale si sa pratique ne lui plaît pas, “mon classement me le permettait”.
“Mon projet était peut-être un peu utopique mais j’avais trouvé des sujets de recherche que j’allais pouvoir appliquer en épidémio”, se souvient Cyril. Son premier stage ne l’enchante pas, mais il rempile pour un second afin de confirmer son impression. À ce moment, il découvre que les stages cliniques de sa spécialité ont été supprimés par la réforme du troisième cycle des études de médecine. “Pour moi, quand nous avons fait nos choix après les ECNi, ce n’était pas très clair. Maintenant, la santé publique est très spécialisée. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais moi ça ne m’arrangeait pas.”
À cela s’ajoute une autre complication : la suppression des diplômes d’études spécialisées complémentaires (DESC), qui permettaient d’ajouter à sa spécialité principale une seconde de son choix. “Ça aurait pu me sauver”, grince-t-il, songeant notamment à la gériatrie ou à la médecine d’urgence. “Ces DESC ont été transformés en spécialités à part entière, rien ne me permettait donc d’avoir une pratique clinique avec la santé publique telle qu’elle a été conçue par la réforme”, poursuit-il. Déçu, il décide de passer au plan B en exerçant son droit au remords… Mais à la fin de l’année, il découvre une mauvaise surprise : “J’avais en tête que le dernier classé en MG était derrière moi. Mais en fait, le dernier classé était CESP”, souffle-t-il.
Les candidats qui effectuent un contrat d’engagement de service public (CESP) bénéficient en effet d’un classement différent et ne font pas partie des quotas des candidats “classiques” des ECN. Or, le droit au remords n’est valable qu’à condition que le rang de classement à l’ECN du demandeur soit meilleur que celui ayant pris le dernier poste de cette discipline la même année, dans sa subdivision. “Donc je ne pouvais pas faire de médecine générale, en gros. Chez moi, le dernier classé était… 20 places au-dessus. Il y avait des places vacantes à Paris ou dans d’autres villes à deux heures de chez moi, mais on n’a pas le droit de changer de subdivision… c’était mort”, se désole Cyril.
“C’était mon seul choix”
Décidé à retrouver une pratique clinique, le jeune interne opte donc pour la médecine du travail. “C’était pas la folie, mais c’était mon seul choix, je ne voulais pas retourner en santé publique.” En stage, il intègre le service de pathologies professionnelles d’un gros CHU, “mais ce n’était pas le meilleur endroit pour commencer. C’était un service en difficulté et puis, on voyait aussi beaucoup les difficultés de l’hôpital”. Il enchaîne ensuite avec un stage de médecine physique et de réadaptation : “Ça s’est super bien passé et je pouvais avoir des gardes aux urgences”. Puis en pneumologie : “C’était intéressant, je trouvais un intérêt à ce que je faisais, mais j’avais un petit manque car on ne prescrit pas.”
Peu à peu, Cyril comprend qu’il est véritablement fait pour la médecine générale. Alors, en 2019, il lance les démarches pour partir étudier en Suisse à la fin du semestre d’été. “Je ne pouvais pas le faire en France, ce n’était pas autorisé et moi, j’ai réalisé que c’était mon projet.” Constituer son dossier a été “simple et pas simple à la fois”, l’essentiel étant d’obtenir une reconnaissance de diplôme sur le plan européen. “Du côté de la Suisse, c’était facile. En France, il a fallu que je me batte avec ma fac pour obtenir certains documents. On m’a dit que si on ne me facilitait pas la tâche, c’est parce qu’on ne voulait pas que je parte. Ça m'a fait partir en vrille car moi je voulais rester et qu’on me permette de devenir MG, alors qu’on en cherchait partout !” Il pose une disponibilité et, avant de partir, s’assure qu’une nouvelle disposition de la réforme du troisième cycle est toujours valable : la possibilité pour un médecin français diplômé de se réorienter en repostulant à un nouvel internat.
Le système suisse est différent de celui qu’il a toujours connu. Là-bas, les étudiants deviennent médecins après la sixième année. Charge ensuite aux néo-praticiens de postuler, selon la spécialité qu’ils ambitionnent de faire, dans des établissements qui proposent des services “validants” pour leur projet, conformément à des critères nationaux. Cyril, lui, trouve un contrat de médecine polyvalente dans une clinique en tant que médecin assistant, pour trois ans, avec une possibilité de poste à la clé. “Pour moi, c’était la solution la plus simple pour arriver à être diplômé dans ce qui me plaisait.” À la fin de ses trois mois de période d’essai, il fait...
finalement le choix de rentrer en France. “C’est un ensemble de choses. Ma conjointe, interne également, en avait encore pour trois ans. Mon poste ne me passionnait pas, j’étais loin, dans un coin un peu perdu, je suis devenu papa. Et puis, même si les conditions d’exercice sont bien meilleures en Suisse, c’est beaucoup plus long d’être diplômé. Je me suis résigné”, résume-t-il.
Prêt à “assumer son mauvais choix”, Cyril reprend son internat de médecine du travail, en novembre 2019, qui se “passe bien”. Mais un an et demi plus tard, c’est la douche froide : les décrets d’application de la réforme sortent, “avec retard” et l’un d’eux précise qu’il faudra minimum trois ans d’exercice en équivalent temps plein (ETP) à un médecin pour espérer postuler à un nouvel internat et se réorienter. Une condition imposée par l’Ordre des médecins, contre laquelle les syndicats se sont battus, sans succès. “Le fait d’avoir une durée minimale d’exercice à temps plein va de facto écarter et rendre la tâche difficile à un certain nombre de jeunes médecins ou internes en fin de cursus qui avaient prévu une réorientation. Soit le médecin arrête tout exercice, et c’est dommage quand on manque de professionnels de santé. Soit il travaillera trois ans frustré et finira par faire des erreurs, une dépression. Ou alors, il ‘perdra’ trois ans et s'accrochera”, analysait le Dr Gaetan Casanova, ancien président de l’Intersyndicale nationale des internes pour Egora, dans un article sur le sujet.
“Bien résumé”, grince Cyril qui se retrouve donc à nouveau coincé. “Et puis attention, il faut trois ans d’exercice ETP, pour espérer postuler. Mais par exemple, cette année il y avait… huit postes pour de la médecine générale sur toute la France. Et un seul à côté de là où j’habite”, désespère-t-il. “J’ai tout tenté, pensé à toutes les solutions : postuler à un CESP, mais ce n’était pas possible car j’étais déjà diplômé ; une formation spécialisée transversale ? Pas possible non plus car rien ne me permettait vraiment d’avoir une pratique intéressante avec la médecine du travail. En fait, j’aurais dû demander à redoubler dans les six mois qui ont suivi les ECN”, rapporte-t-il, agacé.
De généraliste à artisan
“Franchement, quand j’ai terminé mon internat de médecine du travail, j’avais les boules. Mais j’ai toujours été clair avec moi-même : il me fallait un diplôme. J’avais en tête que plus rien n’était possible et je n’avais pas envie d’enchaîner avec un contrat immédiatement après la fin de mes études.” Alors, son projet de devenir médecin généraliste se transforme en un projet… autour de de l’artisanat ! “J’ai fait un CAP dans un métier de l’artisanat, en alternance en tant qu’ouvrier de base”, sourit Cyril. “Ça répondait à une envie sur le plan personnel”, précise-t-il. “Je faisais deux semaines en tant qu’ouvrier dans une boîte et deux semaines dans le centre de formation avec des gamins de 14 ans. C’était dur mais c’était cool ! L’idée était d’apprendre un métier en lien avec ma passion pour le vélo”. “Mais encore une fois je n’ai pas eu de chance.” Son entreprise ferme après cinq mois d’alternance. “Dans mon malheur, la formation a été super. Ils m’ont permis de faire deux semaines de remplacements en médecine du travail sur le temps que je devais normalement passer en entreprise et deux semaines de formation sur place. Je suis conscient d’avoir eu une chance énorme”, reconnaît-il.
À la fin de l’année scolaire, une fois son CAP en poche, son envie d’exercer en tant que généraliste le ronge toujours. Alors, avec l’aide de sa femme, il décide d’écrire aux institutionnels. “Les Ordres départementaux ont été sympas, ils ont transmis ma demande à l’Ordre national. Mais ça ne changeait rien, on m’a dit que je devais faire mes trois ans à temps plein et basta.” Le 31 mai, le ministère de l’Enseignement supérieur lui répond enfin :“Je vous confirme que pouvoir candidater à une formation conduisant à la délivrance d’un diplôme d’études spécialisées d’une spécialité différente de celle dans laquelle il est qualifié, le médecin doit avoir exercé sur le territoire national pendant au moins trois ans (...) Seules les dérogations pour raison médicale ou en cas de motif impérieux dûment justifiés sont prévues à la durée d’exercice de trois ans. Or la situation décrite dans votre courrier ne semble pas répondre à cette dérogation”, peut-on lire dans le courrier, qu’Egora a pu consulter.
“C’était déjà bien d’avoir des retours, même si ce n’était pas ceux espérés, car souvent je me suis confronté à des murs”, poursuit Cyril, qui ajoute qu’il ne comprend toutefois “pas vraiment” la réponse des institutionnels. “Bien sûr, ce n’est pas contre moi, mais l’histoire des trois ans en équivalent temps plein, c’est pour éviter que ce soit un ‘droit au remords tardif’ comme ils disent. Moi, ça me parait étrange qu’on puisse penser ça, car nous faisons des internats de quatre, cinq ans et quand on est prêts à repartir sur autre chose dans la foulée, c’est quand même qu’il y a une motivation. Je ne vois pas pourquoi on devrait se justifier en plus, surtout s’il y a des besoins.”
Installé dans une commune de moins de 10 000 habitants, située dans une zone sous-dotée, il était pourtant prêt à ouvrir son cabinet libéral. En attendant, il a décidé, après plusieurs mois de remplacements, de prendre un poste de titulaire, à temps partiel seulement. “C’est mon choix, je pourrais bien sûr travailler plus, ce ne sont pas les opportunités qui manquent. J’ai deux enfants, ma femme est médecin et elle a des gardes”, indique-t-il. “J’arrive à me plaire en médecine du travail malgré quelques petites frustrations. Il faut un peu de temps pour appréhender cette spécialité, on aide les patients d’une manière différente, on est souvent les premiers à les écouter dans des situations de difficultés, tient-il aussi à préciser.
“J’en ai un peu marre !”
Pour avoir ses trois ans d’exercice à temps plein, il lui faudra donc quatre, peut-être cinq ans, calcule le jeune médecin. Et après ? “Je ne sais pas si je me lancerai dans un nouvel internat, la question se posera au moment où j’aurai le droit. Parce que bon, j’en ai un peu marre quand même ! J’y ai laissé beaucoup d’énergie. J’ai eu beaucoup de refus, j’ai beaucoup espéré. En plus, ce n’est même pas garanti que des postes de ‘reconversion’ seront ouverts vers chez moi. Je pense que ma motivation pour la MG va s'amenuiser peu à peu par la force des choses, regrette-t-il. Naïvement je pensais qu’avec 20 petites places d’écart dans ma subdivision et compte tenu des besoins partout, ça finirait par se réaliser.” S’estimant malgré tout heureux, il déplore que “l’étudiant en médecine qui cherche son projet professionnel ne soit pas vraiment aidé par le système”.
*Le prénom a été modifié.
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