![manifestation des internes de médecine générale](/sites/default/files/styles/a_la_une/public/2025-01/DSC_0177-internes-une.jpg?itok=HsjQjpmw)
Les internes de médecine générale ont manifesté à Paris, mercredi 29 janvier, pour demander le report de la réforme de la quatrième année. Photo : Louise Claereboudt
"On a l'impression d'être des bouche-trous" : dans la rue aux côtés des futurs docteurs juniors de médecine générale, victimes d'une "réforme bâclée"
Ce mercredi, plus de 200 internes de médecine générale ont défilé dans les rues de Paris pour réclamer le report de la mise en œuvre de la quatrième année du DES de la spécialité. Egora s'est glissé dans le cortège pour recueillir les témoignages de ces futurs généralistes, inquiets pour leur avenir.
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Les internes de médecine générale ont manifesté à Paris, mercredi 29 janvier, pour demander le report de la réforme de la quatrième année. Photo : Louise Claereboudt
"Neuder si t'es champion, reporte, reporte. Neuder, si t'es champion, respecte notre formation." Sous une pluie battante, près de 200 internes de médecine générale ont battu le pavé ce mercredi après-midi, à l'appel de l'Isnar-IMG*, pour réclamer le report de la quatrième année de médecine générale.
Adoptée par 49.3 dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2022, cette réforme doit entrer en application en novembre 2026. Mais pour les principaux concernés, elle demeure inaboutie. Les textes réglementaires devant définir le nouveau statut du docteur junior ambulatoire ne sont en effet pas encore sortis. Et plusieurs zones d'ombre subsistent. "Il manque beaucoup de choses pour qu'elle se déroule correctement", constate Coline, 26 ans, venue de Dijon pour manifester dans les rues de la capitale.
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Jean-Stéphane Houot
Oui
j'ai eu dans mes études et mon internat d'excellents collègues libanais, algériens et syriens qui m'ont appris et je n'aime pas ... Lire plus
Au cœur du cortège, qui s'est élancé de la station de RER Port-Royal à 14 heures pour se diriger vers le ministère de la Santé, la préoccupation majeure porte sur le manque "criant" de maîtres de stage universitaire (MSU), censés encadrer ces docteurs juniors. "Actuellement, on a un nombre de maîtres de stage universitaire qui est très limité. Ils doivent déjà accueillir des stagiaires de niveau 1, de niveau 2 [Saspas, NDLR]. On voit difficilement dans quel contexte et dans quelles conditions ils pourraient accueillir en plus des docteurs juniors ; aussi bien en termes d'effectifs que de locaux", s'inquiète ainsi Théo, 24 ans, interne à la faculté du Kremlin-Bicêtre.
En déplacement dans une maison de santé pluriprofessionnelle, ce lundi, le ministre de la Santé et de l'Accès aux soins s'est voulu rassurant, insistant sur la "multiplicité des terrains de stage" qu'il souhaite voir se développer. Il a par ailleurs souhaité garder le cap d'une mise en œuvre de la réforme l'an prochain, promettant une publication des décrets au printemps. Mais pour la première vice-présidente de l'Isnar-IMG, Ariane Roubi, "ça nous semble déjà assez tardif". "De plus, nos revendications portaient surtout sur le matériel. Nous n'avons ni les locaux ni les maîtres de stage suffisants parce que les textes ont mis trop de temps à venir. Ça nous semble très ambitieux en moins d'un an de construire les terrains de stage, de recruter tous les MSU."
"Dans mon université (Paris Cité), ils ont embauché une personne pour recruter des MSU ; elle vient d'arriver. C'est encourageant et c'est une bonne initiative, mais ça intervient très (trop) tard", explique Théo, 27 ans, une pancarte mouillée à la main. À Dijon, "il y a seulement 50% des MSU nécessaires" qui ont été trouvés, "en ayant bien ratissé", avance Coline. Même proportion à Paris, selon le président de l'Isnar-IMG, Bastien Bailleul, qui explique que c'est cette question de l'encadrement qui a été "l'étincelle" et a provoqué le mouvement de grève.
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"A Paris, plus de la moitié des internes de 4e année se retrouveront à l'hôpital"
Conséquence de cette pénurie de maîtres de stage, les internes craignent de devoir faire leur année de docteur junior à l'hôpital. "C'est ma crainte principale", confie Yves, 34 ans, interne de 2e année à la faculté de Paris Cité et secrétaire général du SRP-IMG**. "A Paris, plus de la moitié des internes de 4e année se retrouveront à l'hôpital. On va briser l'idée même de la [quatrième année de] médecine générale qui est de faire notre internat en cabinet… au plus près des patients." Sous son parapluie, le jeune homme craint que des futurs médecins soient "sacrifiés" du fait du manque de maîtres de stage en ville.
"Si on va à l'hôpital, on n'en sortira pas, car les besoins y sont aussi importants ; il y a peu de chances que les jeunes médecins retournent en ville", met également en garde Maïssa Boukerrou, présidente du SRP-IMG. "On aimerait utiliser cette quatrième année, qui nous a été imposée, pour qu'elle soit incitative et nous donne des clés pour l'installation. En trois ans, sur le plan médical, on a appris ce qu'on avait à apprendre, mais il y a plein de choses qu'on ne sait pas faire sur la gestion du cabinet, la coordination des soins…" Un avis que partage Bastien Bailleul, président de l'Isnar : "Ce qui détermine l'installation d'un généraliste, c'est son exposition dans les territoires, certainement pas dans un service hospitalier."
"On a la sensation d'être instrumentalisés"
Malgré la bonne humeur ambiante, l'amertume se fait ressentir chez les grévistes présents ce mercredi dans les rues de la capitale. "Qu'il y ait une quatrième année, pourquoi pas, mais il faut qu'il y ait un projet derrière. Là il n'y a aucun projet derrière, à part pallier le manque de médecins en exercice grâce aux internes, tout en les payant moins cher", dénonce Amélie, 26 ans, interne à Saint-Quentin-en-Yvelines, marchant vers le ministère. "On a l'impression d'être les bouche-trous de notre système de santé. Ce n'est pas le rôle d'un docteur junior que de combler les déficits qui perdurent depuis plusieurs années", regrette aussi Théo, interne au Kremlin-Bicêtre.
"On a la sensation d'être instrumentalisés", fustige également Ariane Roubi, vice-présidente de l'Isnar-IMG. "Le problème de l'accès aux soins, c'est surtout qu'il y a des années [les politiques] ont fermé les vannes avec le numerus clausus pour faire des économies. Et nous maintenant on en paie les pots cassés. On ne peut pas faire notre métier comme on aimerait l'exercer et on met parfois les patients en danger parce qu'on n'est pas assez nombreux. Et là, les politiques essaient de nous utiliser pour faire passer des discours politiciens auprès du public…", poursuit l'étudiante toulousaine.
De son côté, Elisabeth, "la cinquantaine", juge "incompréhensible" d'ajouter une 10e année aux études de médecine alors qu'on manque de médecins sur le territoire. "Quand j'ai commencé mes études, elles devaient durer neuf ans. Je trouve que ce n'est pas normal que, pour des personnes qui se sont engagées sur neuf ans, l'on rajoute au dernier moment une année en plus", a ajouté cette ancienne ingénieure, qui a souhaité se reconvertir il y a peu.
"On ne se laissera pas faire, on va faire valoir nos droits !"
En même temps que le cortège s'élançait, trois représentants de l'Isnar, dont son président, ont été reçus par le cabinet de Yannick Neuder. "Nous avons pu réaborder tous les points de litige qu'on a sur cette quatrième année de médecine générale", a expliqué Bastien Bailleul à Egora, après son rendez-vous. "À ce jour, nous n'avons aucune garantie quant au report de la quatrième année de médecine générale si nous n'avons pas les capacités de formation. Nous avons un peu l'impression que l'on met en place cette année sans penser aux intérêts des internes. Mais on ne se laissera plus faire."
"Nous allons continuer les négociations, nous allons faire en sorte d'obtenir un calendrier précis, une date à partir de laquelle on pourra acter le report de la quatrième année de médecine générale faute de maîtres de stage. Ensuite, nous allons continuer à négocier sur tous les autres points qui forment cette quatrième année : la rémunération, le logement des internes, leurs transports, leur participation à la permanence des soins ambulatoires", a-t-il ajouté, heureux de voir que plusieurs centaines d'internes ont fait le déplacement à Paris, mais aussi dans d'autres villes, comme Lyon ou Bordeaux. "Des centaines d'étudiants sont venus de partout en France pour dire que ça fait trop longtemps qu'on fait n'importe quoi de la médecine générale. On va reprendre la médecine générale en main !"
Pour rappel, l'Isni et l'Anemf avaient suspendu leur participation à la grève, expliquant avoir négocié des "avancées majeures" auprès du ministre de la Santé Yannick Neuder. À savoir : une "campagne de recrutement spécifique pour les subdivisions où il manque des maîtres de stage universitaire", une participation à la PDSA "sur la base du volontariat", une "dérogation pour le passage de thèse après l'entrée en phase de consolidation" et le lancement d'un comité de suivi de la réforme. "Ce sont certes des avancées car cela montre que le ministre comprend qu'il faut se mettre sur ce sujet, ce qui n'était pas le cas des précédents ministères qui ont à chaque fois repoussé le sujet, mais nous ne sommes pas satisfaits des promesses. Nous attendons des écrits, des textes, et surtout des garanties qu'ils s'appliquent bien", a lancé Ariane Roubi, de l'Isnar. À bon entendeur.
*Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale
**Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale
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