“Catastrophique”, “dangereux”, “sécurité méprisée”... Les mots pour qualifier le terrain de stage des urgences de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) ne sont pas assez nombreux pour le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP). Alerté au mois de mai sur la situation extrêmement critique dans laquelle se trouvaient les internes en médecine générale et médecine d’urgence de l’hôpital, ce dernier est monté au créneau, demandant une réévaluation urgente de l’agrément du terrain du stage. Une décision qu’ils ont prise à la fois pour les internes, mais aussi pour les patients, craignant leur “mise en danger”.
Fait rare : au cœur de l’été, l’ARS Île-de-France a décidé de leur donner raison et a ainsi suspendu l’agrément à compter du nouveau semestre, ayant débuté le 1er novembre dernier. Un choix qui est venu conforter la promesse faite par les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé, de prendre les mesures conservatoires qui s’imposent “sans délai” en cas de “surmenage ou de souffrance des internes”.
Manque de coordination entre les soignants, délais importants de prise en charge, défaut de localisation des patients, examens dans les couloirs… Les témoignages des futurs médecins étaient, en effet, plus affligeants les uns que les autres. “En pratique, le service était tellement sous l’eau et désorganisé que les délais de prise en charge étaient longs… Certains patients restaient jusqu'à 12h sans être vus. Il est arrivé de fait que dans le service, ils passent à côté d’un infarctus, d’une infection grave… Avec à la clé, des morts”, témoigne Alexandre Brudon, interne en pneumologie et membre du pôle juridique du syndicat.
Comme c’est malheureusement souvent le cas, la situation est loin d’être nouvelle… Depuis plusieurs années, les paramédicaux du service d’urgence se plaignent de leurs conditions de travail et ont lancé plusieurs alertes à la direction. Des alertes qui sont restées lettres mortes. La situation a continué, au fil des années, à se dégrader tandis que le bassin de population du Kremlin-Bicêtre, lui, n’a cessé de croître. “Il y a plus de 650.000 passages aux urgences par an”, estime Alexandre Brudon, qui pointe le premier problème de l’hôpital : son dimensionnement. “Le dimensionnement de ces urgences date d’une époque où le Kremlin-Bicêtre n’était pas ce qu’il est aujourd'hui, c’est-à-dire le centre de référence de tout un département avec un bassin de population très important. De fait, tout est sous-dimensionné partout. Ça fait des années que la direction doit prendre des mesures mais il y a quelque chose de très concret qui les en empêche : on ne pousse pas les murs. Dans un bâtiment comme celui-ci, napoléonien, c’est compliqué… Alors ça a traîné. Les projets ont été très onéreux et n’ont pas abouti”, relate le représentant syndical.
12 médecins au lieu de… 24
Pendant que la situation s’enlise, le flux de patients aux urgences augmente de manière rapide et régulière. Or, l’inattractivité du service, elle, pénalise ses effectifs, car aucun jeune médecin ne souhaite rejoindre l’équipe. A titre indicatif, il faudrait selon les référentiels professionnels actuels, 24 équivalents temps plein de médecins seniors, urgentistes ou traumatologues. Il n’y en a en réalité...
que 12. “ Il y a un vrai problème de recrutement, qui n’est pas un défaut de volonté de l'administration mais d’un manque d’attractivité du service qui est désuet et dans lequel il y a un fond de climat social qui est très délétère”, éclaire Alexandre Brudon. Face à cette situation, la coordination pédagogique a décidé, en 2019 déjà, de fermer les postes pour ce stage. Aussi, les internes en médecine générale qui ont un stage aux urgences obligatoire, et les urgentistes, ne pouvaient plus être affectés dans ce service. Seuls les internes des autres spécialités, comme la pneumologie ou la cardiologie, y avaient des gardes. “Mais comme ce n’était qu’une fois par mois, ils considéraient que ce n’était pas très grave”, regrette le syndicaliste. Malgré cette décision, la situation empire encore. “Au bout d’un moment, ça devenait trop l'enfer et on a été alertés. Ils nous ont dit que ce n’était plus tenable ce qu’ils vivaient dans ce stage. Que c’était vraiment le paroxysme de la maltraitance de l’interne. Il y avait même des nuits où n’y avait pas de chef aux urgences…”, poursuit-il.
Les internes se mettent en grève
Dès le mois de mai, le SIHP demande donc le retrait de l’agrément et commence à travailler, avec la direction, sur des solutions pour permettre au service de fonctionner correctement. Les internes ont aussi décidé de poser un préavis de grève, déterminés à faire bouger les choses. “Parallèlement, la direction venait d’installer un nouveau chef de service, ce qui nous a permis de travailler, avec lui, sur les remarques et plaintes des internes de ces dernières années. Nous avons pris point par point les difficultés pour trouver, à chaque fois, des solutions et des améliorations.” “Je dois dire que ça a été fait avec beaucoup de sérieux par la direction, qui avait tout intérêt à ce que ça fonctionne bien et par le chef de service”, tient aussi à souligner Alexandre Brudon.
Le SIHP a d’abord exigé des mesures pour répondre à l’insécurité des internes. Pour solutionner le problème, la direction de l’hôpital avait demandé aux médecins spécialistes de venir faire des gardes aux urgences, sans avoir recruté d’équivalent temps plein. “Ca posait des questions de soutenabilité à moyen terme”, relève l’interne. "La grève a porté là-dessus : les efforts ont été faits mais cela nous paraissait extrêmement surprenant qu’ils puissent être pérennisés. Nous, on souhaitait de vrais engagements solides qui puissent être ancrés dans le service.” Le syndicat avait une autre préoccupation sur laquelle... ils ont demandé des comptes à la direction : la question de l’encadrement juridique des internes. En effet, le service n’ayant pas d’agrément officiel, les internes venant en garde aux urgences risquaient de ne pas être protégés. “L’interne n’étant pas docteur, il exerce son métier uniquement par délégation du chef de service. Cette délégation ne peut avoir lieu évidemment, s’il n’y a pas d’agrément. Le risque pour les internes, c’était l'exercice illégal de la médecine”, indique Alexandre Brudon.
A l’issue de discussions, le syndicat a donc obtenu plusieurs garanties, à commencer par la mise en place d’un comité de suivi entre les représentants d’internes, l’ARS et la direction. L’objectif de ce dernier est d’avoir un “retour quasi-instantané” sur ce qu’il se passe dans le service. Le SIHP sera notamment vigilant sur le nombre de seniors présents la nuit, l’état de la chambre de garde, le ressenti des internes. Ils ont également obtenu une “structuration juridique” de leur participation aux gardes. “On a vu avec nos avocats, nous avons créé un cadre juridique ad hoc qui permet aux internes d’exercer en toute sécurité sans risque d’engager leur propre responsabilité aux urgences”, se satisfait le représentant du SIHP. Enfin, la direction du Kremlin-Bicêtre s’est engagée à faire des recrutements d’équivalents temps-plein d’ici six mois et à encadrer la participation des chefs des autres spécialités, participants aux gardes aux urgences. Afin de pallier cette situation difficile, l’hôpital avait par ailleurs décidé de faire recours aux faisant fonction d’internes (FFI). Mais, là aussi, le cadre juridique a dû être redéfini. Un contrat particulier leur est ainsi dédié afin qu’ils puissent exercer sans problèmes. Des mesures qui ont permis la levée de la grève au bout de quelques jours.
Les agréments de stage étant évalués tous les ans. L’hôpital du Kremlin-Bicêtre pourra faire une demande exceptionnelle, à condition que le comité de surveillance qui a été mis en place valide une sortie définitive de la crise. “On ne peut pas mettre la population ou les internes en danger en redonnant un agrément qui n’a pas lieu d’exister”, rappelle Alexandre Brudon.
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