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"On va dans le mur" : un an après la réforme, la 4e année d'internat de médecine générale coince encore

Cette année, 2 963 postes d'internat ont été ouverts en médecine générale. Un an après la réforme du DES, de nombreuses questions persistent autour de la quatrième année. Absence de certains textes, manque de maîtres de stage… "On est inquiets de savoir quand les discussions vont reprendre sur la quatrième année, car elle n'est pas prête", insiste Bastien Bailleul, nouveau président de l'Intersyndicale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). A quelques jours de la fin de la procédure d'affectation des futurs internes, Egora fait le point sur la rentrée mouvementée des futurs généralistes.

03/09/2024 Par Chloé Subileau
Internat 4ème année de MG
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Egora : Il y a un an, les internes pointaient du doigt l'absence de certains textes encadrant la quatrième année d'internat de médecine générale. A quelques semaines de la rentrée de ces futurs médecins, où sont ces textes ? Y a-t-il eu des avancées ? 

Bastien Bailleul : Ces textes devaient être publiés au courant du mois de juin. Mais avec la dissolution de l'Assemblée nationale, ils ont été annulés et aucune procédure de travail n'a été reprise pour le moment. En tout cas, à notre connaissance. Le contexte politique actuel ne met pas la formation des futurs généralistes en priorité. On est donc inquiets et inquiètes de savoir quand les discussions vont reprendre sur la quatrième année, car elle n'est pas prête.  

On a notamment mené une enquête interne, au sein de l'Isnar-IMG, qui a montré que les premiers stages couplés santé de la femme et de l'enfant ne sont pas prêts dans toutes les subdivisions, alors qu'ils doivent commencer dès novembre 2024 pour pouvoir correspondre à la maquette [publiée l'été dernier, NDLR]. Et en ce qui concerne l'année de docteur junior ambulatoire, c'est une catastrophe car on n'a rien. Ce n'est pas prêt, et c'est pourquoi on a pris la décision de s'opposer à cette quatrième année. On demande son report tant qu'elle n'est pas prête. 

 

Concrètement, quels textes manquent encore ?  

Il manque tout ce qui permet d'encadrer la formation des docteurs juniors ambulatoires, comme la convention entre le maître de stage universitaire (MSU) et le docteur junior ambulatoire. Au niveau pédagogique aussi, le contenu de cette quatrième année doit sortir dans les textes, mais on ne l'a pas non plus. Et d'un point de vue plus local, il manque toutes les aides et toutes les mises à disposition de locaux pour les docteurs juniors ; ils vont avoir besoin de cabinets. Mais ce n'est pas prêt, et c'est donc actuellement impossible pour un docteur junior d'exercer en ambulatoire.  

Il va manquer aussi les réponses aux questions qu'on posait, notamment sur les thèses. Avec la réforme de la quatrième année, les thèses doivent être passées avant la fin de la phase d'approfondissement - donc avant la fin de la troisième année -, pour que les internes soient thésés avant de devenir docteurs juniors ambulatoires. Mais en raison du faible nombre d'enseignants en médecine générale en France et des difficultés à trouver des directeurs de thèse, ce sera compliqué pour les internes d'être prêts [avant cette échéance].  

Actuellement, à l'entrée de l'internat, on a six ans pour passer la thèse. Pour la promotion qui a démarré l'internat de médecine générale en quatre ans, on leur a divisé par deux cette durée, mais on n'a pas augmenté le nombre de directeurs de thèse et d'enseignants pour encadrer et aider les internes.  

"On marche sur la tête" 

Concernant l'encadrement de ces internes, des inquiétudes portaient déjà l'an dernier sur un manque potentiel de MSU. Y a-t-il toujours des raisons de s'inquiéter ?  

Oui et tout ça, il faut l'anticiper. On est déjà en manque de MSU pour encadrer les trois premières années de l'internat de médecine générale. D'ici deux ans maintenant, on va devoir avoir des MSU pour encadrer l'année de Docteur junior. Ces MSU capables d'encadrer un Docteur junior doivent avoir de l'expérience, avoir déjà encadré d'autres internes… 

Ces maîtres de stage, il va falloir les recruter, les former et leur mettre à disposition des locaux ou qu'ils puissent en mettre à disposition. Tout ça, ça prend du temps et actuellement, on nous dit : "Ça doit démarrer dans deux ans, tout va bien, c'est comme ça… " Ce n'est pas possible ! On va arriver dans un mur, et ce sont les internes qui vont se retrouver à ne pas pouvoir faire leurs stages et être bloqués dans leur cursus, alors qu'on manque de médecins généralistes. On marche sur la tête.  

 

Un autre point de tension est celui de la rémunération des Docteurs juniors. En juin 2023, François Braun, alors ministre de la Santé, avait plaidé en faveur d'une partie de rémunération à l'acte. La Conférence des doyens de médecine a, elle, rappelé son opposition à cette rémunération début 2024. Qu'en est-il aujourd'hui ?  

Là encore, ce n'est pas officiel. On a donc pas de données claires à mettre sur le débat. Globalement, ce qui était demandé - et on allait dans ce sens -, c'était que le Docteur junior ambulatoire ait une part de rémunération de par son statut de Docteur junior et qu'ensuite, il ait une part de rétrocession à l'acte de par son activité clinique. On demandait à ce que ce soit au moins supérieur à 20% de rétrocession sur les gains générés par le Docteur junior.  

Si on cumule cela à la paye de Docteur junior telle quelle, cela permettrait de ne pas dépasser le salaire d'un praticien hospitalier. Mais cela rentrerait dans une rémunération qui serait valorisante pour l'interne qui travaillerait et qui ferait plus d'actes. C'est donc en rapport avec la politique actuelle, qui demande à ce qu'on fasse des actes en ambulatoire, et c'est un moyen d'encourager l'interne en formation.  

 

Si elle privilégiée par le Gouvernement, cette rémunération peut encore évoluer…   

À tout moment, vu qu'il n'y a pas de texte. Pour l'instant, nous n'avons pas été sollicités pour discuter de [ce sujet] à nouveau, que ce soit par les députés ou par une instance gouvernementale.

 

Ces derniers mois, les représentants des pédiatres et des généralistes se sont déchirés autour de la réduction de la durée de six à trois mois des stages en pédiatrie et en santé de la femme. Pourquoi une telle opposition ?  

Dans la formation avant la réforme, il y avait six mois de stage en pédiatrie et six mois de stage en gynécologie et santé de la femme. La réforme apporte quelque chose – pour lequel nous sommes très favorables -, qui est la mise en commun de ces deux stages. Au lieu de faire deux stages de six mois, les internes vont en faire un couplé en santé de la femme et de l'enfant ; donc trois mois en santé de l'enfant et trois mois en santé de la femme.  

Mais cela pose problème pour les pédiatres qui ont besoin d'internes et s'opposent à ce qu'on reste dans leurs services pour trois mois seulement. Pendant ce temps [plus court], il faut quand même former l'interne pour qu'il puisse avoir ses marques et soit très efficace dans son stage. Cela demande une charge de [travail] supplémentaire pour les pédiatres, qui voudraient que les internes fassent tourner leurs services.  

De notre côté, on juge que la formation de trois mois en pédiatrie et trois mois en gynécologie pour tous les internes est suffisante. Cela nous permet de libérer dans la maquette un stage libre. Grâce à lui, si notre volonté professionnelle est de s'orienter vers la pédiatrie, on peut le faire en pédiatrie. Durant ce stage, les internes pourront aussi aller en gynécologie ou dans d'autres spécialités, comme la psychiatrie […] En fait, cela va permettre à l'interne de se former selon son projet professionnel pendant ces six mois de stage libre pour aller parfaire ses compétences.  

"On a peur de retourner en arrière" 

L'été dernier, les internes en médecine générale craignaient une baisse de l'attrait pour leur spécialité en raison de l'entrée en vigueur de la réforme de la quatrième année. Ces craintes se sont-elles confirmées ?  

Il y avait une tendance depuis 2020-2021 où tous les postes d'internat de médecine générale étaient pris après les ECN. C'était, pour nous, une super avancée parce que la spécialité devenait attractive. L'année dernière, il y a eu l'annonce de la quatrième année : tous les postes de médecine générale ont quand même été pris, mais les derniers sont partis beaucoup plus tard que les années précédentes. C'est comme si la dynamique était changeante.

Notre inquiétude, elle est donc cette année. La procédure définitive de choix pour les néo-internes commence cette semaine [et se termine le 10 septembre, NDLR]. On saura très vite dans quelle proportion les postes d'internes en médecine générale seront pris. Alors que la spécialité devenait attractive, on a peur de retourner en arrière et que des postes restent vacants. Ça irait à l'encontre de toutes les politiques publiques qui voudraient qu'il y ait de plus en plus d'internes de médecine générale pour pouvoir avoir des médecins généralistes.  

 

Lors de votre nomination à la tête de l'Isnar-IMG en juillet, vous avez tenu à rappeler votre opposition à la coercition. Pourquoi mettre autant en avant ce sujet ?  

Depuis quelques années, la coercition des médecins généralistes revient dans le débat. On entend tout et son contraire à la télé, dans les médias ou même au sein des hôpitaux... On aimerait revenir sur la réalité de ce qu'implique cette mesure, et sur l'efficacité qu'elle pourrait avoir. La coercition, telle qu'elle est présentée actuellement par nos politiques, viserait à répondre au besoin de médecins qu'expriment les Françaises et les Français. Ce serait un peu leur dire : "Regardez, dans les villages, il n'y a pas de médecins. On va les forcer à s'installer ici, et donc il y [en] aura." C'est la réponse simple.  

La réalité est beaucoup plus complexe, et c'est compliqué à exprimer dans les médias ou au niveau politique. Ce qui se passe, c'est que de manière numérique, il y a de moins en moins de médecins […] Cette tendance va continuer dans les prochaines années. On attend un changement de dynamique dans la décennie 2030. En attendant, il y a un manque de médecins qui est généralisé en France : on n'a pas d'endroit qui sont surdotés en médecins. Et, on a aussi cette problématique d'une population qui vieillit, qui présente plus de maladies. Sur les dernières décennies, on se retrouve donc avec de moins en moins de médecins et une demande de soins qui est de plus en plus grande. Ça crée une inadéquation. 

 

Dans ce cas, quelles autres solutions peuvent pallier ce manque de praticiens ?  

La solution que l'on apporterait est multiple, avec plein de mesures mises ensemble. Il faudrait [d'abord] qu'on arrive à libérer du temps médical. On a plusieurs propositions, comme de permettre une auto-déclaration des arrêts de travail de courte durée. Ça évite des consultations pour un médecin qui, de toute façon, va le valider pour un arrêt de travail de trois jours. Plus largement, on pourrait retirer tous les certificats qui ne nécessitent pas de soins, dont ceux pour les enfants que l'on voit tous les ans. On pourrait aussi permettre à certains patients de renouveler leurs bons de transport automatiquement. Et, on pourrait faire en sorte que les patients en ALD n'aient pas besoin de revenir si régulièrement, en autorisant les auxiliaires médicaux à renouveler les soins.  

Ensuite, il faut encourager les étudiants à s'installer. Une étude menée par la revue Prescrire a montré que l'une des motivations pour un médecin à s'installer quelque part, c'est parce qu'il y a vécu ou étudié. Aujourd'hui, les formations en médecine générale et les cours sont centralisés dans les facultés. On propose de décentraliser les formations, d'ouvrir des antennes… Cela demande du temps et de l'investissement, mais ouvrir des antennes de formation à d'autres endroits - que ce soit dans les centres hospitaliers périphériques ou carrément créer des locaux dédiés à la formation - permettrait aux internes de s'ancrer dans les territoires. Et si on va plus loin, cela permettrait d'ouvrir la capacité totale de formation en étudiants en médecine, et donc d'augmenter leur nombre et d'attirer certains qui viennent de ces territoires.  

 

Au-delà de la quatrième année, quels sont les autres gros dossiers de cette rentrée ?  

Il y a toujours les risques psychosociaux. On a notamment lancé la troisième édition de l'enquête sur la santé mentale [des carabins]. Elle menée avec l'Isni et l'Anemf*, et on travaille avec l'Inserm pour étudier ses données. On a terminé le recueil pendant l'été et on est en train de travailler sur les résultats. Ils seront publiés d'ici un ou deux mois, mais je ne peux pas vous dire encore ce qu'il en résulte.  

Il y a aussi le sujet des violences sexistes et sexuelles (VSS), qui nous tient particulièrement à cœur. L'Isnar-IMG a publié un ensemble de propositions pour lutter contre ces violences. On aimerait [entre autres] qu'il y ait des cellules "VSS" au sein des CHU, animées par des professionnels de ce sujet, qui permettraient de recueillir les témoignages ou les victimes, de les accueillir, les aider… On veut aussi particulièrement former nos MSU sur cette thématique. On devrait finalement reparler de cette dernière à chaque agrément de stage et à chaque renouvellement d'agrément pour que les praticiens et praticiennes qui nous encadrent soient les plus bienveillants possibles.  

Par-dessus tout, on veut faciliter les procédures d'extraction de stage une fois qu'il y a un signalement qui est fait, pour que chaque interne qui signale un fait de VSS puisse être retiré du stage rapidement sans que ça le pénalise. On doit donc pouvoir être en lien étroit avec les ARS et les départements de médecine générale pour pouvoir replacer tout de suite l'interne sur un autre stage qui a la même valeur pour sa maquette.  

 

On attend dans les prochains jours la nomination d'un nouveau gouvernement. Qu'attendez-vous de ce nouvel exécutif ?  

Quel que soit le ou les interlocuteurs de ce nouveau gouvernement, on espère pouvoir discuter de tous les sujets que je viens d'aborder, et surtout qu'ils se saisissent de cette quatrième année qui est notre urgence. Elle n'est pas prête et on va avoir besoin d'une réponse, qu'elle soit parlementaire ou gouvernementale. On attend donc quelqu'un qui sera prêt à discuter avec nous, même s'il n'est pas forcément expert ou experte de ces sujets-là, mais avec lequel on pourrait donner nos apports et construire, peut-être ensemble, une meilleure formation pour les internes. 

 

*L'intersyndicale nationale des internes (Isni), Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). 

  

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Corinne Ohayon

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Oui

Intégration à quoi en fait? À celui qui est le plus alcoolisé et cruel Au non respect des humains entre eux alors que le centre ... Lire plus

2 commentaires
Photo de profil de Nicolas  Delestret
255 points
Psychiatrie
il y a 4 jours
Quelqu'un peut il me citer une seule réforme réalisée pendant ces deux derniers quinquennats, qui aura été en même temps utile et mise en place correctement ? ...Lire plus
Photo de profil de Henri Baspeyre
11,7 k points
Débatteur Passionné
Chirurgie générale
il y a 4 jours
on va dans le mur en klaxonnant pour que le mur se retire!...Lire plus
 
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