Interne, j'ai décidé d'arrêter après huit ans d'études de médecine : "J'avais atteint le pire état possible"
Quitter l’hôpital trois ans avant la fin de ses études de médecine : c’est le choix qu’a fait Laura. Cette Normande d’origine a peu à peu sombré dans la dépression jusqu’à envisager de mettre fin à ses jours au fil de ses stages à l’hôpital. Combattante, elle a tout tenté pour poursuivre son cursus et devenir médecin coûte que coûte… jusqu’à ce qu’elle réalise que c’est la manière dont on forme les carabins qui l’abîmait. Lucide, elle a décidé de se réorienter vers le marketing pour se protéger. Elle raconte son parcours à Egora.
“Enfin, je vais mieux.” 4 septembre 2023 : c’est la première rentrée depuis de nombreuses années que Laura*, 27 ans, ne va pas travailler à reculons. C’est aussi sa première rentrée, après huit ans d’études de médecine… hors de l’hôpital. En juin dernier, la jeune femme, interne en Bourgogne, a décidé de démissionner. “Votre décision est irrémédiable”, l’a-t-on prévenue. “Mais il fallait que ça s’arrête”, confie-t-elle aujourd’hui.
C’est en Normandie que Laura a fait ses premiers pas dans les études de médecine. Après une année d’architecture, elle décide de se réorienter vers des études plus scientifiques, plus “terre-à-terre”. Ses trois premières années se passent bien, “on fait pas mal la fête”, plaisante-t-elle. Mais, dès l’externat… elle déchante. “A ce moment-là, je me dis que ce que je fais ne m’intéresse pas tellement. J’ai mis ça sur le fait qu’il était ‘trop tôt’ dans le cursus, qu’on ne faisait pas encore grand-chose”, se souvient-elle.
“Ce sentiment est venu au fil des stages. Au début, j’étais volontaire. J’avais envie d’apprendre”, réfléchit-elle. C’est un passage dans un service de gastro-entérologie qui a fait naître ses premiers doutes. “Ça ne s’est pas bien passé, principalement à cause d’un manque d’encadrement que j’ai vraiment ressenti. Du coup, je me suis demandé ce que je foutais là”, raconte Laura. “Un jour, je devais faire une ponction d’ascite et l’interne m’a montré une première fois comment faire. La deuxième, elle m’a envoyée dans une chambre, toute seule, pour le faire sans encadrement. Elle m’a laissée comme ça, sans venir voir si ça allait. Moi, je ne m'en sortais pas du tout, je ne savais pas quoi faire de l’aiguille. J’étais avec mon patient, et sa femme à côté de lui qui me regardait.” Une “galère” qui dure 45 minutes, avant que l’interne ne revienne la voir. “Je lui ai dit devant le patient qu’elle m’avait mise en difficulté.”
“C’est sorti tout seul. Ça ne lui a pas plu. J’ai été tellement mise en difficulté que je n’ai pas réfléchi. Elle, elle m’a dit de ne plus jamais parler comme ça à son interne. Et puis, après, elle a insisté sur le fait que l’autre co-externe y arrivait et donc que moi ce n’était pas normal. Ce jour-là, je suis partie en pleurant.”
Un autre épisode marque une véritable cassure à ses yeux. “En cinquième année, j’étais en stage de pneumo. On était en 2019. Je devais faire du remplissage d’échelles pour des études, j’étais chargée de poser les questions aux patients. Un jour, ils m’ont mise devant une dame atteinte de la maladie de Charcot. Elle ne parlait plus. Et moi, il fallait que je remplisse mon échelle car ils voulaient absolument qu’elle rentre dans l’étude. La dame ne verbalisait plus, c’était compliqué pour elle. Elle était obligée de taper les réponses tant bien que mal sur son téléphone. C’était très pénible”, se remémore-t-elle, encore émue.
En parallèle, l’alternance entre les semaines de cours et les stages la fatigue. “Chez nous, les stages étaient à temps plein, par bloc de huit semaines. Mais, quand on sortait de l’hôpital, on devait encore aller réviser à la bibliothèque. Parfois, les examens étaient juste après les stages, c’était compliqué à gérer”, regrette-t-elle.
“Je pleurais en quittant l’hôpital”
En quittant le service de pneumologie, elle craque. “Je me suis mise en arrêt. Je me suis posé la question de comment arrêter mes études de médecine.” Mais l’épidémie de Covid s’étend en France et elle rejoint un service de psychiatrie pour un nouveau stage “qui se passe bien”. “L’équipe était bienveillante, le stage super intéressant. Ca m’a redonné goût à ce que je faisais.” Et puis, à nouveau un stage en chirurgie pédiatrique, “difficile”.
“Je rentrais chez moi, je pleurais. Je me suis mise à pleurer au boulot, c’est là qu’ils ont vu que ça n’allait pas bien”, souffle Laura. Elle passe alors une “commission d’aide” dans sa faculté au début de sa sixième année. “Un grand moment, raille-t-elle. C’est une commission organisée à la demande du chef de service, en l'occurrence celle de chir-pédiatrie quand elle m’a vue partir en pleurant. C’est une commission qui réunit le vice-doyen, le psychiatre, le référent de la fac. Vous êtes au milieu de tout le monde et on vous dit que ce n’est pas la médecine le problème, mais vous”, précise-t-elle, toujours en colère.
Malgré tout, Laura valide ses ECN. “J’avoue que je ne les ai pas travaillées, j’en avais ras-le-bol. Mais dans ma tête, une fois que le concours était passé, on me fouterait la paix”, dit-elle. Elle décide alors de profiter de son internat pour déménager, pensant que sa ville d’origine était une partie du problème. Elle choisit la santé publique et intègre un service d’hygiène hospitalière.
“Le problème, c’est qu’on ne peut pas faire de pause entre les ECN et la première année d’internat. On n’a pas le droit à une année de césure, on doit enchaîner… et moi, je sentais que j’avais besoin d’un break”, reconnaît-elle. Alors, elle entame son troisième cycle comme elle a terminé son deuxième : “à bout”. “Je n’allais pas bien, je passais mon temps à pleurer en rentrant chez moi. En fait j’ai eu une désillusion sur le fait que l’internat, c’est pas vraiment le monde du travail. Il y avait en plus énormément d’obligations universitaires.”
Elle évoque un autre épisode qui l’a marquée lors d’un stage. “Je suis tombée sur une charmante personne en pharmacovigilance qui, un jour, m’a pourrie parce que je ne connaissais pas un médicament spécifique d’oncologie. Cette médecin m’a dit qu’il fallait que je me remette en question et que je n’avais pas ma place ici. Ça faisait six mois que je n’avais pas prescrit...”
Timidement, Laura confie qu’elle a été arrêtée “quasiment un an”. Mais elle s'accroche. “Je pensais que c’était le choix de spécialité qui n’allait pas”, indique-t-elle. Alors, pour avoir le choix de changer de ville et de spécialité, elle décide de repasser les ECN au lieu de faire un droit au remords. “Je n’ai pas trop pu les préparer, j’ai donc fait un bas de classement. J’ai opté pour médecine du travail, car je voulais une spécialité qui me permette d’avoir du temps à côté. J’hésitais déjà avec ça lors de mes premières ECN”, précise Laura, qui décide aussi finalement de rester en Bourgogne, après avoir un temps pensé se rapprocher de sa famille.
“Est-ce que je me vois faire ça toute ma vie ?”
Seule interne de sa subdivision en médecine du travail, Laura se retrouve affectée à 180 kilomètres de chez elle. “Il n’y avait pas de formateur, où j’étais…”, grince-t-elle. Sa référente, elle, est à 250 kilomètres… “Elle faisait ce qu’elle pouvait. Mais ce n’est pas idéal”, juge Laura.
A cette première difficulté s’ajoute celle bien connue des étudiants en médecine : le logement. “J’ai dû prendre un appartement car je n’avais pas le droit à l’internat puisque j’étais en stage dans un CHU auquel je n’étais pas rattachée.” Après plusieurs galères d’appartement, elle décide de faire tous les jours les 180 kilomètres qui séparent son domicile personnel de l’hôpital, “malgré la fatigue routière qui en découle”. En plus, elle doit suivre des journées de formation à ses frais dans toute la région. “J’avais un salaire net de 1727 euros. C’était super lourd financièrement tout ça”, confie-t-elle.
Dans le cadre d’un stage clinique, prévu dans sa maquette de formation, Laura atterrit aux urgences psychiatriques. “Je venais de rompre avec mon copain, je n’étais pas super bien. Et quand je suis arrivée dans ce service, on m’a dit que j’allais faire des gardes et prescrire… C’était trop, ça faisait longtemps.”
Ce jour-là, elle fait une crise d’angoisse, quitte l’hôpital en pleurs et se fait arrêter par son médecin une semaine. “Il faut savoir en plus que moi j’avais demandé à être en addictologie, mais l’ARS m’avait refusé un poste car il y avait soi-disant… trop d’internes au CHU”, soupire-t-elle. A cette période, elle doit réfléchir au stage suivant. “On m’a dit que ça serait difficile de me trouver quelque chose là où j’habitais, il y avait bien un service de médecine du travail dans ma ville mais il n’y avait pas de poste d’internat ouvert…”.
Essorée par ces “dysfonctionnements”, Laura plonge. “J’ai atteint le pire état possible. J’en étais à faire des crises d’angoisse en allant au boulot, dans ma voiture. Des fois, je devais faire demi-tour. Moralement, ce qui était dur, c’était d’être coincée dans cette subdivision qui ne convenait pas pendant trois ans.”
"Faut-il que je me pende pour être entendue?"
Avec le soutien de sa mère, elle fait une demande auprès de l’ARS pour changer de subdivision. “C’est possible en cas de motif impérieux”, indique-t-elle. Elle leur explique sa situation, ses antécédents de dépression, avoue qu’elle a des idées suicidaires. “Je leur ai dit qu’il fallait faire quelque chose.” La réponse ne se fait pas attendre “On m’a dit que le rapprochement familial n’était pas un motif impérieux”, lâche Laura. Alors moi aussi je leur ai aussi répondu : “Faut-il que je me pende pour être entendue ?”
L’ARS lui demande finalement de fournir un certificat médical. “J’ai tout transmis, la médecine du travail, ma généraliste… Mais à l’époque, comme je n’étais pas en rang utile l’année où j’ai passé mes ECN et que j’ai choisi de déménager, ils ont à nouveau considéré que ce n’était pas possible car pas un motif impérieux.” Elle s’énerve : “Je leur ai dit que j’allais me foutre en l’air, que j’étais suicidaire”... Mais elle ne trouve aucun écho du côté de l’institution.
“Je rentrais chez moi, je réfléchissais à comment laisser ma chienne, à comment me foutre en l’air, à laisser la porte ouverte et mettre un mot pour que mes voisins me trouvent. J’avais rédigé mes lettres d’adieu”, murmure Laura, qui confie aussi qu’elle s’est sentie “seule contre l’ARS”. “Ma mère leur a écrit, elle était inquiète pour moi.” Laura a même proposé qu'on la change de spécialité, prête à tout pour rejoindre sa région natale. En face, l’institution est restée impassible.
Et puis, la prise de conscience. “En juin, je suis rentrée un soir et j’ai dit à ma mère ‘c’est bon, c’est fini, j’arrête’.” Elle postule dans une école de marketing et est acceptée. “J’ai mis un mois à trouver une alternance.”
“Je n’arrivais plus à me projeter”
Après huit ans de médecine, Laura a donc raccroché la blouse et démissionné. “C’est la première fois que je me sens comme ça, je vais bien, je ne vais pas au travail à reculons. J’ai commencé début septembre, j’avais déjà un badge, mon matériel. On m’attendait, on connaissait mon prénom… Quand j’étais interne, parfois en stage on ne savait même pas qui j’étais !”
Maintenant qu’elle peut prendre du recul, Laura regrette le fonctionnement actuel des études de médecine. “J’ai réalisé à la rentrée que ce qui me dégoûtait, ce n’était pas la médecine mais la manière dont on enseigne la médecine, qui ne va pas”, explique-t-elle. Au-delà du manque de personnel, de la faiblesse des moyens accordés à la formation, elle insiste aussi sur le fait que les internes ont, pour beaucoup, la sensation de “stagner”. “A côté de vous, vos amis en dehors de la médecine évoluent, ont de la reconnaissance dans leur métier. Ils gagnent bien leur vie, construisent des choses… Quand tu es interne, c’est compliqué. Moi, je n’arrivais plus à me projeter”, poursuit-elle.
En s’éloignant de la médecine, Laura a enfin réalisé qu’elle n’excluait pas d’y revenir un jour. “Dans mon travail actuel, je me confronte aux référentiels, donc je n’ai pas tout quitté. Je travaille avec des personnes qui sont dans la santé. Je me dis que je peux finir cette formation et pourquoi pas partir à l’étranger pour faire un internat, quand je serai plus forte. Dans certains pays, les internes sont considérés comme des médecins juniors, c’est une approche différente qui me conviendra peut-être mieux.”
Cette formation en alternance, pour la jeune femme, c’est le break dont elle aurait “eu besoin après les ECN”. “On verra la suite à la fin de l’année”, assure-t-elle, sereine.
*Le prénom a été modifié
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