Carcinome hépatocellulaire : de nouvelles données épidémiologiques et thérapeutiques

12/04/2023 Par Alexandra Verbecq
Hépato-gastro-entérologie
[JFHOD 2023] En constante augmentation, les carcinomes hépatocellulaires (CHC) représentent 9 cancers primitifs du foie sur 10. De nouvelles études et l’arrivée des immunothérapies dans le CHC ont conduit à revoir la classification des patients et leur éligibilité aux différents traitements.
 

Avec environ 10 000 nouveaux cas par an et le même nombre de décès, le pronostic du CHC reste sévère. Il est la 3ème cause de mortalité par cancer et la 2ème chez l’homme. Les projections en 2040 (Globocan 2020) prévoient, en France, des augmentations importantes de l’incidence (+ 26%) et de la mortalité (+33%). De nombreuses questions non résolues en termes de prévention, surveillance universelle, diagnostic précoce (biopsies liquides), séquences systémiques…, ont conduit à initier en 2019 la cohorte observationnelle prospective nationale CHIEF. Les 1640 premiers patients porteurs d’un CHC inclus dans 31 centres ont été analysés. Ils étaient âgés de 68 ans en moyenne et composés à 86 % d’hommes. Pour le Pr Eric Nguyen-Khac (CHU Amiens) : « il est intéressant de noter que les comorbidités associées, également facteurs de risque, étaient le surpoids (64,5%), le diabète (42,7%), l’HTA (55,1%) ». Les étiologies des maladies du foie étaient « au moins l’alcool » (58%), « au moins le métabolique » (39%), « au moins les virus » (VHB et VHC) (23,3%). « L’alcool en France reste très prévalent. Le « métabolique » est passé devant les virus qui arrivaient en 2ème position avant », souligne le spécialiste. Les patients, en bon état général, étaient porteurs d'une cirrhose dans 71 % des cas. « C’est une évolution par rapport aux anciennes études qui affichaient 90%. Cela veut dire que dans le « foie métabolique », le CHC arrive avant la cirrhose », précise le médecin. À l’inclusion, les patients n’avaient pas d'insuffisance hépatique. De 30 à 40% avaient une hypertension portale. « C'est important car ce critère limite l'accès à certains traitements », rappelle-t-il. Le CHC était diagnostiqué par un dépistage dans 35% des cas; dans ce cas, il était associé à une meilleure survie (84,7% à 1 an) par rapport aux diagnostics lors de complications. Le mode diagnostique était soit une biopsie hépatique (46,3%), soit une radiologie (53,7%). Environ 45% des patients avaient un score d’alpha foetoprotéine (AFP) < 2 et 32,8% étaient dans les critères de Milan. Dans la classification BCLC (Barcelona Clinic Liver Cancer), prenant en compte l'état général, la fonction hépatique et les caractéristiques de la tumeur, la répartition des stades était : BCLC 0 (très précoce) 6,1%, A (précoce) 29,8%, B (intermédiaire) 28,8%, C (avancé) 32,1% et D (terminal) 3,2%. L’accès thérapeutique de première ligne s’est réparti entre les traitements curatifs (résection, transplantation, traitement per cutané) (40,5%), locorégionaux (36,2%), systémiques (19,2%) et palliatifs (4 %). Le suivi médian était de 18 mois, au cours duquel 1/3 des patients de la cohorte sont décédés. Le taux de survie globale à 1 an était de 76%. Selon les stades, les taux de survie à 1 an étaient de 95,6% (BCLC 0), 89,7% (A), 81,7% (B), 54,9% (C) et 40% (D). Les médianes de survie étaient de 14,6 mois (C) et 6,1 mois (D). Selon les traitements, les taux de survie à 1 an étaient de 92,9% (curatifs), 82,2% (locorégionaux) et 57,8% (systémiques). Parmi les traitements systémiques de L1, les inhibiteurs de la tyrosine kinase (TKI) et l’association atezolizumab-bevacizumab, utilisés à hauteur de 18,8% chacun, ont conduit à une survie médiane respective de 9 mois vs 17,05 mois. « L’efficacité de l’immunothérapie, qui est maintenant la référence, est vraiment confirmée », pointe le Pr Nguyen-Khac.   La transplantation hépatique : pour les CHC précoces ou intermédiaires à risque faible de récidive Pour le Pr Christophe Duvoux (Hôpital Henri Mondor) : « la transplantation hépatique (TH) est considérée comme le traitement idéal du CHC, puisque l’hépatectomie totale est carcinologiquement satisfaisante et traite chirurgicalement un CHC non résécable du fait, par exemple, d'une hypertension portale. Également, l’hépatectomie retire le foie cirrhotique adjacent, lésion pré-néoplasique ». Selon l'Agence de la biomédecine (ABM), la survie des patients transplantés pour CHC est de 71 % à 5 ans et de 62 % à 10 ans. « Ce sont des résultats exceptionnels en termes oncologiques. La TH a néanmoins deux limites : la récidive et la pénurie d'organes. Dans notre série de 130 récidives, la médiane de survie est de 6 mois après TH. À 2 ans, nous avions 8% de survie résiduelle en post-transplantation. Cela impose de sélectionner les indications de la TH sur un risque faible de récidive », analyse le médecin. Les facteurs de récidive sont la taille et le nombre de lésions, la mauvaise différenciation tumorale, la micro ou la macro invasion vasculaire. Concernant la pénurie d’organes, le taux de prélèvement a chuté à 20,4 par million d'habitants par an. « me si la transplantation d’organes est entrée en routine, elle reste exceptionnelle », poursuit-il. Le CHC représente 30 à 40 % des indications de TH, mais ne concerne que 5 à 6 % des CHC. Les indications actuelles de TH sont : les patients de moins de 70 ans ayant un CHC précoce (T2 Milan) ou un CHC intermédiaire, identifiés en France par un score composite incluant l’AFP ≤ 2. Les tumeurs hors critères (score AFP >2) peuvent accéder à la TH après un down-staging efficace (score AFP ≤ 2) confirmé par une période d'observation de 3 à 6 mois. Les tumeurs uniques < 2 cm n'ont pas d'accès à la TH, sauf en cas de score MELD élevé, et sont traités de façon conservatrice en première intention. Et les patients avec tumeurs uniques < 2 cm bénéficiant d'un traitement curateur ne sont transplantés qu'en cas de récidive, selon une stratégie de retard d'accès proposée depuis 2014 par l'ABM, sans impact négatif sur les résultats.   La chimioembolisation : pour les CHC intermédiaires ayant certaines caractéristiques tumorales La chimioembolisation (CE) est le traitement de référence des patients classés BCLC-B. Cependant cette catégorie de patients est hétérogène en termes de caractéristiques tumorales et de fonction hépatique. Les dernières recommandations (Reig et al., J Hepatol. 2022) préconisent de sélectionner les tumeurs les plus à même de bien répondre à la CE et de ne pas engendrer de décompensation hépatique. « Il s’agit de tumeurs nodulaires ayant un pourtour bien défini, avec un bon flux portal et un accès hyper sélectif. Les formes diffuses, infiltratives, extensives, bilobaires pour lesquelles l'effet oncologique sera probablement mineur et la détérioration du parenchyme hépatique majeure ne sont pas éligibles théoriquement à la chimioembolisation (CE) », indique le Pr Philippe Merle (Hôpital de la Croix-Rousse - Lyon). Une publication récente (Thierry de Baere et al. Cardiovasc. Intervent. Radiol 2022) a tenté de définir le profil de patients bénéficiant le plus d’une CE hyper sélective en termes d’efficacité sur la tumeur et de toxicité minimale sur le parenchyme hépatique sain : ce sont des CHC < 5 nodules, ne touchant qu'un à deux segments hépatiques et à condition que chaque nodule soit < 5 cm. Les traitements systémiques sont prescrits aux patients BCLC-B soit d’emblée lorsque la CE est contre-indiquée (métastases, invasion vasculaire, CHC massif), soit après une 1ère ou 2ème séance de CE en cas de progression intra ou extrahépatique, invasion macro vasculaire ou décompensation hépatique, ou encore soit en échec de la CE. Les séances de CE peuvent détériorer les fonctions hépatiques dans près d’1/4 des cas lorsqu’elles ne sont plus efficaces. L’ajout de traitements systémiques peut améliorer l'efficacité de la CE. Les anti-angiogéniques peuvent potentialiser son effet anti-tumoral. L’inhibition de la voie du VEGF bloque la survie des cellules cancéreuses en hypoxie partielle et la progression du CHC après la CE. La nécrose-apoptose des cellules cancéreuses liée aux séances de CE « permet un relargage d'antigènes tumoraux pouvant booster la réponse immunitaire anti-tumorale mais cela reste à démontrer dans des essais ». « Les combinaisons d’immunothérapies peuvent également synergiser avec la CE. Les perspectives sont surtout de mieux sélectionner les patients les plus à même de bénéficier de la CE en termes d'efficacité oncologique et d'absence de décompensation hépatique. Des essais randomisés sont en cours. Ils testent la CE vs l’immuno-oncologie ou ajoutent l’immuno-oncologie à la CE en monothérapie ou avec des combinaisons », pointe le médecin.   La radioembolisation : pour les CHC intermédiaires, avancés et désormais précoces La radioembolisation (RE) permet de faire une irradiation interne de la tumeur en limitant l’exposition aux radiations du parenchyme hépatique sain. Elle se réalise en deux temps. « Le work-up est la phase durant laquelle un cathéter est introduit dans les artères vascularisant la tumeur. Nous injectons une molécule nous permettant de calculer l'activité radioactive à commander pour un patient donné qui lui sera injectée à une date précise. Quelques jours plus tard, nous réalisons le même cathétérisme pour injecter ces particules commandées spécifiquement. Le work-up est un biomarqueur prédictif d’efficacité », assure le Pr Boris Guiu, radiologue (CHU Montpelier). Proposée aux patients BCLC-B et BCLC-C, la RE est étendue aux BCLC-A (CHC précoce) dans les recommandations BCLC 2022. « La dosimétrie personnalisée garantie le ciblage complet de la tumeur et de son thrombus tumoral lorsqu'il existe. La dose d’irradiation tumoricide doit être supérieure à un seuil d’efficacité et préserver une réserve hépatique > 30 %. Il faut penser à la RE particulièrement lorsque la maladie est unilobaire. Dans ces conditions, nous trouvons un taux de réponse objective de 71 % en ré-analysant a posteriori les essais Garin et al. (Lancet Gastro.Hépato. 2021) », précise le spécialiste qui poursuit : « enfin, la RE a des effets « 3-en-1 » (downstaging, hypertrophie controlatérale et « test of time ») donnant du temps pour sélectionner les bons candidats à la chirurgie. Je suis convaincu qu'après la RE, il faut réséquer tous les patients réséquables et essayer de transplanter les autres ».   Les traitements systémiques : pour les CHC avancés mais aussi les intermédiaires contre-indiqués ou en échec de la CE et de la RE « Les patients BCLC-C sont éligibles à un traitement systémique mais aussi les BCLC-B qui sont soit contre-indiqués, soit en échec des traitements de chimioembolisation ou de radioembolisation. L'indication concerne les patients en bon état général (PS : 0-1 et éventuellement PS : 2) avec une cirrhose bien compensée et une bonne fonction hépatocellulaire, Child-P A (Child-P B à discuter), ayant une extension extrahépatique ou intrahépatique trop importante, donc une maladie très diffuse, très infiltrante, bilobaire avec une invasion macrovasculaire », explique le Pr Jean-Marc Phelip (CHU Saint Etienne). Avec l’arrivée de l’immunothérapie, les nouveaux algorithmes de décision, dont celui de l’EMA, préconisent en première ligne les combinaisons : Atezolizumab (anti-PD-L1) + Bevacizumab (anti-VEGF) ou Durvalumab (anti-PD-L1) + Tremelimumab 300 (anti-CTLA-4). Un choix qui ira préférentiellement vers le Durvalumab + Tremelimumab 300 lorsqu'il existe une contre-indication aux antiangiogéniques. Enfin, pour les patients contre-indiqués à l’immunothérapie, les inhibiteurs de la tyrosine kinase (TKI) : Sorafenib ou Lenvatinib. « En deuxième ligne, les recommandations nationales ou internationales indiquent qu’après l’immunothérapie, les TKI (Sorafenib, Cabozantinib, Regorafenib, Lenvatinib) et le Ramucirumab (VEGF-i) peuvent être utilisés. Cela concerne environ 20% des patients. Deux études importantes sont actuellement en cours. CheckMate 9DW teste la combinaison (Nivolumab + Ipilimumab) et Triplet-HCC (Atezolizumab + Bevacizumab + Ipilimumab). Nous attendons beaucoup de cette dernière combinaison », conclut le Pr Phelip.  

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