En octobre 1944, les forces d'occupation allemandes imposent un embargo aux Amstellodammois pour réprimer les actions résistantes locales. Les rations alimentaires s’amenuisent rapidement à 1 000 puis 500kCal par jour. Le blocus prend fin près de huit mois plus tard, en mai 1945. Les enfants nés de mères enceintes pendant cet "hiver de la faim" ont eu un plus petit poids de naissance ; devenus adultes, ils ont eu un risque de diabète de type 2 et d’obésité supérieur aux autres. Ce dramatique épisode offre l’une des démonstrations les plus flagrantes de l’importance des tout premiers temps de la vie pour l’état de santé ultérieur. Le mécanisme est ici de nature épigénétique : l’organisme s’adapte à l’ensemble des facteurs nutritionnels, mais aussi environnementaux et psychosociaux -l’exposome- en modifiant l’expression de ses gènes en y greffant des groupements chimiques. Et ces caractéristiques sont transmissibles d’une génération à l’autre. Depuis, beaucoup d’études scientifiques ont confirmé la relation entre le petit poids de naissance et les maladies cardiovasculaires ou neurodéveloppementales, ainsi que les troubles du comportement alimentaire, des fonctions de reproduction ou le risque de cancer. La qualité et la quantité des apports nutritionnels au cours des toutes premières années de vie n’a donc pas que des conséquences immédiates sur la croissance et le développement du nouveau-né. "Ces 1 000 premiers jours qui commencent dès la conception et s’achèvent autour des deux ans de l’enfant, sont en lien direct avec le concept d’origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD). Leurs conséquences sur l’épigénome, le microbiote ou les messagers neurohormonaux ont un impact déterminant dans l’épidémiologie de nombreuses maladies chroniques non transmissibles – cardiométaboliques, neurocognitives ou immuno-allergiques. Ils ne doivent donc pas être l’apanage des pédiatres, des néonatologistes et des nutritionnistes mais intéresser tout le champ médical", insiste le Dr Jean-Michel Lecerf (service nutrition et activité physique, Centre de prévention Santé Longévité, Institut Pasteur, Lille). "Les moins de 2 ans consomment souvent trop de protéines" Si cette première étape de la vie constitue une période de vulnérabilité, elle est aussi pleine d’opportunité pour la prévention. Via l'allaitement maternel en premier lieu : il est bénéfique pour la pression artérielle ou le bilan lipidique à l’adolescence, ou à la réduction du risque de maladies immunoallergiques ultérieures. Sa pratique exclusive pendant les six premiers mois de la vie doit être promu auprès des parents, la perception positive que le conjoint en a, favorisant sa pratique. "Les problèmes liés à l’absence d’allaitement peuvent souvent se superposer à ceux de la césarienne, qui conduit à une composition moins qualitative du microbiote de l’enfant", commente le nutritionniste. Ensuite, les pratiques et attitudes parentales permettant de proposer régulièrement des nouveaux aliments aident à la construction d'un large répertoire alimentaire au cours de la diversification. Attention toutefois : "les parents tendent à projeter les recommandations nutritionnelles adultes à l’enfant alors que leurs besoins sont spécifiques. Ainsi, les moins de 2 ans consomment souvent trop de protéines. Cet excès promeut la croissance des cellules adipocytaires et des cellules musculaires, conduisant souvent les enfants à être plus grands mais aussi plus gros. À l’inverse, l’apport en lipides est souvent contrôlé par les parents alors que la majorité d’entre eux leurs sont utiles, dans le cadre d’une alimentation variée riche en nutriments essentiels". Et pendant la grossesse? La grossesse est aussi une fenêtre d’opportunités importante : "il faut déconseiller les régimes restrictifs et d’exclusion, la cuisson excessive des aliments, les aliments ultratransformés, les perturbateurs endocriniens et édulcorants. Il faut conserver une alimentation variée, sans alcool, riche en vitamine B9, légumes et fruits, et les oméga 3." Ces derniers ont un rôle neurodéveloppemental déterminant. L’activité physique adaptée ne doit pas non plus être oubliée car elle améliore directement les capacités de mémorisation et d’apprentissage ainsi que la qualité du microbiote intestinal qui "sans que l’on ait de preuves formelles, pourrait être bénéfique pour l’enfant à naître". "Le père a aussi un rôle à jouer dans cette histoire", résume Jean-Michel Lecerf, par son influence sur les pratiques éducatives et nutritionnelles, mais pas uniquement : des études épidémiologiques confirment la transmission de caractéristiques épigénétiques du père à l’enfant. Ainsi, ceux ayant un régime riche en graisses ont plus souvent des enfants en surpoids ou obèses tandis qu’un régime carencé en protéines favoriserait des désordres lipidiques. Des études sur le tabagisme ou les périodes de famine vécues par le père vont dans le même sens. L’ampleur des enjeux introduits par l’épigénétique et le microbiote dans le DOHaD ne doit cependant pas être une source de stress pour les parents. "Si cette notion de prévention par le mode de vie d’un certain nombre de pathologies ultérieures est intéressant, il ne faut pas penser que tout se joue dans les premières années. Il n’est jamais trop tard pour agir. Mais il n’est jamais trop tôt non plus".
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?