« Un Français sur trois a souffert, souffre ou souffrira d’une maladie mentale. L’alimentation peut contribuer à améliorer le pronostic et la prise en charge et agir en prévention », a souligné la Pre Marion Leboyer, directrice du département de psychiatrie de l’hôpital Henri Mondor (Créteil, AP-HP), professeure de psychiatrie à l’université Paris-Est Créteil, responsable du laboratoire de NeuroPsychiatrie translationnelle de l’Inserm, et directrice générale de la fondation FondaMental qui organisait le 28 juin une journée sur ce thème.
Une urgence alors que la santé mentale en population générale s’est dégradée à la suite de la crise du Covid : hausse des nouveaux cas de dépression (+30 %), troubles anxieux (+20 %), burn-out (+66 %), suicide (10 %) et addictions, particulièrement chez les femmes, les précaires et les jeunes. En parallèle, des changements de mode de vie (sédentarité…) et d’alimentation sont intervenus lors des dernières décennies : diminution de la consommation de fruits et légumes, augmentation des glucides, sucres, graisses saturées et trans, aliments ultra-transformés. « Le sucre est important pour l’apprentissage et la santé mentale, mais en excès, il cause des émotions négatives, des problèmes de mémoire, des problèmes de sommeil », a listé la Pre Felice Jacka, professeur de psychiatrie nutritionnelle à l’Université Deakin en Australie, codirectrice du Food & Mood Centre et présidente de l’International Society for Nutritional Psychiatry Research.
Un microbiote intestinal altéré
La nutrition, le mode de vie et surtout la prise d’antibiotiques ont un impact sur le microbiote intestinal. Celui-ci comprend quelque 50 000 milliards de bactéries et intervient dans « la digestion des fibres, la protection antimicrobienne, la stimulation de la barrière intestinale et du système immunitaire, la signalisation vis-à-vis de tous les organes », a décrit le Dr Joël Doré, directeur de recherche en écologie microbienne intestinale à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). « Nous assistons à une perte de 50 % de la richesse génétique du microbiote », a-t-il alerté. Avec pour conséquences notamment des risques accrus d’infection et d’inflammation. « Ce qui fait le lit de la dépression, c’est l’inflammation, le stress oxydatif, la dysfonction des mitochondries, la dégradation du microbiote intestinal, le métabolisme des tryptophanes [précurseurs de la sérotonine], la dysfonction de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, les changements épigénétiques et la neurogénèse », a rappelé la Pre Jacka.
Changements nutritionnels et greffe fécale
« Les connaissances sur l’axe intestin-cerveau ont évolué. Il y a un axe "haut-bas" (le stress joue sur le transit) mais aussi un axe "bas-haut" », a résumé le Dr Doré. Le régime méditerranéen est plébiscité. « Il diminue de 21 % le risque de développer des troubles cognitifs et de 40 à 50 % le risque de démence ou de maladie d’Alzheimer », selon la Pre Leboyer. L’essai randomisé Smiles, conduit par le Food & Mood Centre auprès de 67 adultes souffrant de dépression modérée à sévère, a conclu à une évolution positive de la santé psychique des participants ayant bénéficié de consultations nutritionnelles et d’un protocole de support social en plus de leur prise en charge habituelle.
La modification du régime peut être accompagnée par la prise de nutraceutiques : probiotiques, prébiotiques, parabiotiques, symbiotiques, postbiotiques et aliments fermentés. L’essai ProMood mené à Créteil, Besançon, Clermont-Ferrand et Bordeaux s’intéresse aux effets, chez des patients sous l’antidépresseur clomipramine (Anafranil), de la prise du composé GynMDD (société Gynov) associant L-glutamine, curcumine active et Lactobacillus rhamnosus GG.
Autre mode d’action exploré : la greffe fécale. « Un essai pilote randomisé contrôlé est mené sur quinze adultes pour le traitement de la dépression majeure », a indiqué la Pre Jacka. « Des patients bipolaires ont été guéris par transfert de microbiote. Un essai sur dix-huit enfants autistes a montré une amélioration de tous les symptômes », a rapporté le Dr Doré. Il est l’un des coordinateurs du projet "French Gut" visant à analyser le microbiote de 100 000 Français, et inclus dans le Million Microbiome of Humans Project. « De nombreuses études se sont terminées en 2022 et les résultats sont en cours de publication », a ajouté la Pre Jacka.
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