Egora : Quelles pourraient être les indications des inhibiteurs de Janus kinase (JAK) en dermatologie ? Pr Julien Seneschal : Actuellement, quatre maladies inflammatoires chroniques cutanées sont principalement concernées par cette classe thérapeutique : le psoriasis, la dermatite atopique, le vitiligo et la pelade. Des études sont également conduites pour traiter la composante cutanée d’affections à composante systémique comme le lupus. Quel est le mécanisme d’action des inhibiteurs de JAK dans ces affections ? Les inhibiteurs de JAK sont des petites molécules, qui ciblent la famille des JAK, soit les protéines JAK 1, 2, 3 et la protéine Tyk2. Ces JAK sont de petites molécules intracellulaires liées à des récepteurs membranaires, notamment ceux des cytokines inflammatoires. En bloquant les voies de signalisation intracellulaires, ces thérapies ciblées inhibent une ou plusieurs voies de l’inflammation associées à la fixation des cytokines sur leurs récepteurs. Dans la dermatite atopique, elles agissent sur la voie des interleukines 4 ou 13, qui est préférentiellement impliquée dans cette affection ; dans le psoriasis sur celle de l’interleukine 17 qui joue un rôle important dans cette maladie cutanée. Dans le cas de la pelade en plaques ou diffuse et du vitiligo, comme dans le lupus cutané, c’est la voie de l’interféron gamma qui est principalement associée au développement de ces pathologies. En s’opposant aux effets de l’interféron gamma, les inhibiteurs de JAK ont montré des résultats prometteurs dans la pelade et le vitiligo, alors que des essais avec des biothérapies actuellement disponibles sur le marché, notamment pour le psoriasis, n’avaient pas montré de résultats significatifs. Qu’ont montré les études cliniques ? Dans le psoriasis en plaques, un inhibiteur de Tyk2 (BMS-986165) a mis en évidence par voie orale des résultats intéressants contre placebo, avec dans une étude de phase II menée chez 200 patients une amélioration significative à douze semaines du score Pasi 75. Des essais de phase III sont en cours pour confirmer ces résultats sur un plus grand nombre de patients. Faute d’étude comparative, on évalue mal la place de cette nouvelle classe thérapeutique par rapport aux autres biothérapies actuellement disponibles ou en développement dans cette maladie (anti-TNF, anti-IL-17, anti-IL-23...). Mais l’approche thérapeutique pourrait être un peu différente avec les inhibiteurs de JAK, qui ont l’avantage de pouvoir être pris par voie orale. Dans la dermatite atopique, on dispose actuellement, comme traitements systémiques, de la ciclosporine et plus récemment d’une biothérapie anti-IL-4 et anti-IL-13, le dupilumab, qui peut être utilisée en deuxième intention après échec, intolérance ou contre-indication de la ciclosporine, et est remboursée depuis début 2019 pour le traitement de l’adulte et disponible sous forme d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) chez l’adolescent. Plusieurs inhibiteurs de JAK sont développés dans cette maladie cutanée, en version topique ou systémique. Les études de phase III réalisées contre placebo avec le baricitinib, un inhibiteur de JAK 1 et 2, déjà employé dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, sont terminées. Une efficacité très intéressante a également été observée avec deux autres inhibiteurs sélectifs de JAK 1, l’upadacitinib et l’abrocitinib, près d’un patient sur deux voyant ses lésions s’améliorer de 90 %. Par ailleurs, la voie topique est développée, avec une certaine efficacité, notamment avec le ruxolitinib, un inhibiteur de JAK 1 et 2...
Qu’en est-il de la tolérance de ces médicaments ? Pour le moment, elle semble assez bonne au vu des quelques études cliniques entreprises. Il sera cependant très important de le vérifier, notamment sur le long terme, car ces médicaments plus ou moins sélectifs ciblent des protéines importantes pour le système immunitaire mais aussi pour d’autres fonctions. Certains effets secondaires sont ainsi surveillés, comme dans la dermatite atopique, le risque de réactivation du virus varicelle-zona auxquels les patients sont spontanément plus sensibles. Le risque tumoral est aussi évalué comme pour toute biothérapie, même si les données sont pour l’instant rassurantes. D’autres effets secondaires ont été décrits, avec les inhibiteurs de JAK, comme le développement de réactions acnéiformes, qui reste mal compris. Le risque d’événements thrombotiques, qui a été rapporté avec le baricitinib, est également vérifié, même si ce risque semble faible. La voie topique pourrait-elle permettre de s’affranchir des problèmes de tolérance ? Les inhibiteurs de JAK peuvent être administrés sous forme topique car ils traversent assez bien la barrière cutanée. Cette voie est effectivement intéressante en dermatologie pour réduire les effets secondaires. Elle pourrait également permettre de traiter un plus large nombre de patients avec une maladie plus légère ne nécessitant pas un traitement général. Mais son utilisation risque d’être difficile lorsque la zone cutanée à traiter dépasse 10 à 15 % de la surface corporelle. Où en est-on dans la pelade et le vitiligo ? Les inhibiteurs de JAK ont été développés en premier dans la pelade. Des études ouvertes ont été entreprises avec le ruxolitinib ou le tofacitinib. Puis des études de phase II contre placebo avec différents inhibiteurs de JAK (JAK 3 ou JAK 1/Tyk2), qui ont montré des résultats significatifs : réduction de 50 % du score initial à la 24e semaine. Les derniers résultats obtenus contre placebo avec le ruxolitinib topique ont en revanche été décevants. Ce qui peut se comprendre, car les infiltrats inflammatoires se situent en profondeur autour du follicule pileux, et il est probablement difficile que l’inhibiteur de JAK puisse bien y accéder. Dans le vitiligo, c’est un peu différent. Le ruxolitinib topique a été évalué dans une étude de phase II aux États-Unis. Les résultats à 52 semaines ont montré que la moitié des patients ont une amélioration de plus de 75 % pour l’atteinte du visage et 30 % une amélioration de 90 %. Les études de phase III ont débuté. Une étude est en cours avec la voie systémique, mais le recrutement des patients n’est pas terminé. On peut espérer la mise à disposition d’une AMM en 2022 -2023 avec cette classe thérapeutique. Les inhibiteurs de JAK représentent, sous confirmation d’une tolérance topique ou systémique acceptable, une grande innovation thérapeutique dans la pelade ou le vitiligo, où nous n’avions pour l’instant pas grand-chose à proposer aux patients. Il est important de prendre en charge ces malades atteints d’affections cutanées qui, certes, ne grèvent pas le pronostic vital, mais ont un impact majeur sur la qualité de vie, et peuvent être responsables de retrait social, de perte d’emploi...
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