Alors que les 25 000 gènes qui composent notre génome peuvent désormais être séquencés, et que l’avancée rapide des technologies – et en particulier le séquençage à haut débit (ou next generation sequencing, NGS) permet l’analyse simultanée de centaines de gènes, à des prix très abordables (quelques centaines d’euros), la médecine génomique est désormais une réalité. « Plus de 8 000 de nos 25 000 gènes sont déjà connus pour causer une ou plusieurs maladies » a ainsi rappelé le Pr Arnold Munnich (Institut Imagine, Hôpital Necker Enfants –Malades, Paris) lors de la session plénière qui a ouvert les journées nationales de médecine générale (JNMG) qui se sont déroulées à Paris-La Défense, les 3 et 4 octobre 2019. Cette discipline représente une avancée majeure à bien des égards, a souligné ce spécialiste. Les tests génétiques, qui constituent une sorte de « zoom » qui permet de grossir fortement une zone précise de notre génome pour en analyser un gène, sont ainsi d’une utilité majeure lorsqu’il s’agit de poser le diagnostic d’une maladie déclarée (cancers, maladies neurologiques, …). Des panels de gènes, bien précis sont ainsi testés dans des domaines tels que l’épilepsie, l’autisme, la surdité… , pour confirmer une hypothèse diagnostique. Le diagnostic prénatal et préimplantatoire est aussi fondamental et autorisé pour dépister une maladie au stade de fœtus ou d’embryon, ou sélectionner les embryons indemnes de la maladie, dans une famille à risque. Les tests génétiques peuvent aussi... être utilisés au stade présymptomatique chez des personnes encore bien portante pour prédire la survenue de la maladie. La nécessité d’un temps long de dialogue et d’explication Cette dernière situation illustre parfaitement la nécessité de l’information et de l’accompagnement dans cette démarche d’analyse génétique. Le fait de savoir que l’on va développer une maladie à une échéance plus ou moins longue est en effet à double tranchant, surtout en l’absence de mesure préventive ou curative. Une étude menée sur des sujets venus pour des tests présymptomatiques pour la maladie de Huntington a ainsi mis en évidence qu’après avoir été informés des doutes qui entourent l’âge de début et l’allure évolutive de la maladie, près de 90% des candidats abandonnent leur demande. Cela souligne l’importance pour le patient de pouvoir bénéficier d’une consultation spécialisée, dans laquelle le praticien formé prend le temps d’expliquer les tests, et leurs conséquences. Des tests prédictifs sont proposés aussi aux apparentés d’un sujet présentant une forme héréditaire de cancer. Un autre risque pour l’individu est celui lié aux variations de l’ADN qui sont actuellement de signification inconnue. Ainsi, en cas de présence de variants de cancer du sein, nombreuses sont les femmes américaines à opter pour une mastectomie bilatérale, et ce même si l’on est pas sure de l’imputabilité des variants détectés : « 50% des mastectomies bilatérales aux USA sont pratiquées sur la base de variations de l’ADN de signification inconnue (« Vous») ! » s’alarme le Pr Munnich. « Non expliqués, non encadrés, ces Vous pourraient conduire à des erreurs d’interprétation, même à un désastre sanitaire, qui n’aura rien à envier à ceux qui l’ont précédé » affirme A. Munnich. Le spécialiste insiste : « ces avancées ne réduiront pas l’exigence de dialogue singulier : elles vont l’accroitre. Toujours plus de technicité, toujours plus d’humanité ! ». Une simplicité qui ouvre la voie aux dérives Tout récemment, la loi française a ouvert la voie à la pratique du diagnostic prénatal non invasif de quelques anomalies génétiques (DPNI), réalisés sur l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel, par une simple prise de sang de la femme enceinte en début de grossesse ; ce qui dispense de la biopsie de chorion ou de la ponction de liquide amniotique. Le DPNI est utilisé pour le dépistage des trisomies 13, 21 et 18, certaines affections liées au chromosome X et le groupe Rhésus fœtal chez les femmes Rhésus-négatif. A l’avenir, celui de la mucoviscidose ou du nanisme (achondroplasie) pourrait en faire partie. Mais, du fait de sa simplicité, ce test inquiète les agences internationales qui redoutent qu’il permette indirectement d’avoir accès au sexe du bébé, dans des délais autorisés pour un avortement, et ainsi être utilisé comme méthode pour « choisir » le du sexe de l’enfant. Autre application, les tests génétiques peuvent permettre...
de dépister des porteurs sains de maladies génétiques (« carrier testing »). Très largement pratiqués à l’étranger dans les populations à risque de pathologies bien précises comme la maladie de Tays-Sachs chez les juifs ashkénazes aux USA, au Canada et en Israël, ou encore, ou encore la thalassémie en Sardaigne, ou en Sicile, ces tests visent à identifier les couples à risque. Le carrier screening ne se pratique pas en France pour le moment probablement en raison du risque de stigmatisation de certaines populations. Mais « l’opinion, elle, y est massivement favorable (>80% des jeunes couples) et appelle de ses vœux un screening plus large, qui irait au-delà des populations à risque et qui s’étendrait à l’ensemble des affections génétiques d’une particulière gravité, incurables, évitant le premier cas », affirme le Pr Munnich. Des enjeux sociétaux Plus largement, sur le plan sociétal, le potentiel commercial de ces tests, multiplié par les réseaux sociaux, les influenceurs et l’absence de contrôle, pourrait « faire beaucoup de dégâts et même devenir une arme de destruction massive » s’inquiète le Pr Munnich. Il rappelle ainsi que 14 000 caryotypes moléculaires sont réalisés chaque année, y compris sur signes d’appel échographiques et prénatal. En conséquence, des interruptions médicales de grossesse sont effectuées sur la présence de Vous, et donc au bénéfice du doute, sans que l’on sache combien. La sagesse voudrait donc de tester moins de variants pour ne considérer que ceux dont on est sûr plutôt que toujours davantage, de signification incertaine, considère le généticien. Autre menace sociétale, la médecine prédictive « à l’évidence survendue » affirme le Pr Munnich, car les grandes études d’associations ne sont pas assez fiables ni assez puissante pour être transférée en clinique. Et les variations observées peuvent être pertinentes sur une population mais pas à l’échelon individuel. L’avenir sera probablement à la combinaison de variants, permettant d’accroitre la valeur prédictive positive (VPP) des tests. Enfin, la menace la plus grave est constituée par le « flirt » entre génomique et eugénisme. « Avec l’afflux massif des big data, les différences génomiques entre groupes humains ne risquent-elles pas d’alimenter tout ou tard un néo-eugénisme 'scientifique' ? Ces différences contribueront-elles un jour à 'hiérarchiser' les humains? […] Dans l’actuel contexte de tension relative aux flux migratoires, notre science ne risque-t-elle pas d’être récupérée, exploitée à des fins politiques pour servir des causes identitaires ? » s’interroge Arnold Munnich. L’heure reste cependant à l’optimisme : les risques sociétaux attachés à la médecine génomique personnalisée ne devant pas gommer son extraordinaire contribution aux progrès en santé. « Considérer la catastrophe comme possible et même probable ne relève pas du pessimisme : c’est un mode d’accès à la connaissance. C’est en considérant cet événement comme inéluctable qu’il ne se produira peut-être pas » conclut le Pr Munnich.
« Les tests génétiques les plus spectaculaires, les moins discutables sont assurément ceux qui prédisent l’efficacité, les effets adverses et la toxicité de nouvelles drogues (« pharmacogénomique ») » considère le Pr Munnich. Une trentaine de tests sont déjà disponibles concernant des chimiothérapies, des antirétroviraux contre le virus HIV, ... On citera la mutation EGFR et le géfitinib, ou encore la prédisposition HLA et l’abacavir. C’est le concept de « test compagnon », une sorte de « package » comprenant un nouveau médicament et son test prédictif.
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