Un premier traitement du vitiligo bientôt disponible en France : "C'est une véritable innovation thérapeutique"

01/06/2023 Par Muriel Pulicani
Dermatologie
Le vitiligo, qui concerne entre 600 000 et un million de personnes en France, bénéficie enfin d’un traitement spécifique. Le ruxolitinib a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne et est en cours d’évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS).

   

Pr Julien Seneschal

Egora-Le Panorama du Médecin : Quels sont les symptômes du vitiligo ? Pr Julien Seneschal : C’est une maladie auto-immune chronique de la peau qui s’accompagne de dépigmentation. Le système immunitaire cutané, via des cytokines inflammatoires, fait disparaître les mélanocytes. Il existe le vitiligo segmentaire, chez 5 à 10% des patients, principalement les enfants ou les adolescents, qui touche un seul côté du corps, et le vitiligo généralisé, avec des lésions bilatérales et symétriques sur l’ensemble du corps. La maladie est liée à une prédisposition génétique, avec des facteurs déclenchants comme le stress ou des frottements sur les coudes, les genoux, la région lombaire... Elle se déclare avant l’âge de 12 ans dans 30% des cas, avant 20 ans dans 50% des cas, et avant 30 ans dans 70% des cas.   Outre les atteintes esthétiques et l’impact sur la vie sociale, les patients souffrent-ils d’autres symptômes ? Cette prédisposition génétique est commune à d’autres maladies. Aussi, les patients peuvent présenter d’autres comorbidités auto-immunes, comme les thyroïdites, assez fréquentes, d’autres maladies dermatologiques (pelade, psoriasis, dermatite atopique) ou des maladies articulaires inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde.  

  Quelle prise en charge médicale peut être proposée actuellement ? Il y a trois objectifs : stabiliser la maladie, repigmenter et maintenir la repigmentation (50% des patients dépigmentent au même endroit l’année suivant l’arrêt du traitement). Aujourd’hui, on associe des traitements anti-inflammatoires hors AMM : cortisone au niveau local sur le corps et tacrolimus pour le visage. Pour certains patients ayant des formes actives plus généralisées, on peut être amené à utiliser de la cortisone orale en mini bolus pendant trois à six mois, ce qui permet de stabiliser la maladie dans 80% des cas. Dans un second temps, on proposera une exposition solaire naturelle ou par photothérapie pour promouvoir la pigmentation.   Le médecin généraliste peut-il assurer le traitement des patients ou doit-il les orienter vers un dermatologue ? Pour le généraliste, l’important est de reconnaître la maladie. Le diagnostic clinique n’est pas toujours évident, puisque le délai entre l’apparition des premières taches et la pose du diagnostic est de cinq à dix ans. Le médecin généraliste a la possibilité de proposer des dermocorticoïdes mais on essaie d’en éviter l’usage au long cours sur le visage.   Quels sont les apports du ruxolitinib (Opzelura, laboratoire Incyte) ? C’est une véritable innovation thérapeutique. C’est un traitement ciblé, de la famille des inhibiteurs de la voie JAK (Janus kinase). Lorsqu’une cytokine inflammatoire se fixe sur une cellule, un récepteur va entraîner une cascade de signalisations inflammatoires, que le ruxolitinib vient bloquer. Le traitement a été évalué dans des études internationales auxquelles nous avons participé, menées sur plus de 600 patients, en monothérapie. Il a été montré qu’avec une application deux fois par jour pendant six mois, plus de 30% des patients ont plus de 75% d’amélioration au niveau du visage et plus de 50% pendant un an. Ainsi qu’une repigmentation significative des lésions sur le reste du corps, hormis les mains et les pieds.   Quels peuvent être les effets secondaires ? Les effets secondaires d’un traitement local sont souvent relativement modérés et principalement locaux : des sensations de picotement et des réactions acnéiformes, notamment sur le visage. Ces réactions peuvent être traitées simplement.  

  Y a-t-il d’autres traitements innovants ou des essais sur d’autres solutions thérapeutiques ? Des études sont menées à l’initiative de l’industrie pharmaceutique sur les inhibiteurs de JAK. Au CHU de Bordeaux, nous avons finalisé une étude combinant un traitement inhibiteur de JAK par voie orale et la photothérapie chez les patients ayant une forme très sévère et active. Nous aurons les résultats à la rentrée. Nous menons également des études de stratégie thérapeutique en collaboration avec le CHU de Nice, sur une prise en charge très précoce pour modifier l’évolution de la maladie et la bloquer plus longuement.   Des recherches sont-elles menées sur la maladie elle-même ? Avec Katia Boniface [professeur en innovations thérapeutiques à l’Université de Bordeaux, NDLR], je codirige une équipe qui s’intéresse aux mécanismes par lesquels le système immunitaire participe à la disparition des mélanocytes, pour développer de nouvelles stratégies ou cibles thérapeutiques. D’autres centres au niveau international participent également à des recherches sur ce sujet.   *Le Pr Seneschal déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Abbvie, Incyte, Leo-Pharma, et Pfizer

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