La boucle fermée tient ses promesses "en vie réelle"
Disponible depuis 2021 contre le diabète de type 1 (DT1), la boucle fermée améliore nettement le contrôle glycémique, d'après de premières données en vie réelle de l’Observatoire de la boucle fermée en France (OB2F). Ce dispositif pourrait aussi avoir un intérêt dans le diabète de type 2.
Surnommée "pancréas artificiel", la boucle fermée consiste en l’injection automatisée d’insuline, guidée par un système de mesure du glucose en continu (CGM) via un algorithme chargé d’analyser les besoins. Tout en allégeant le fardeau de la maladie et de son traitement, elle permet un dosage plus fin des besoins du patient, pour un meilleur contrôle glycémique. Pour les patients, il s’agit là d’une véritable "révolution", estime le Pr Jean-Pierre Riveline (service de diabétologie et endocrinologie, hôpital Lariboisière, Paris).
A une nuance près : à ce jour, ces dispositifs ne sont pas entièrement automatisés, et les patients doivent encore "annoncer manuellement" leur repas et leur activité physique au dispositif. Des algorithmes plus performants sont à l’étude afin de parvenir à une boucle entièrement fermée, et non plus "hybride". Alors que trois dispositifs sont commercialisés en France, les essais randomisés ont confirmé une nette amélioration pour l’ensemble des paramètres glycémiques analysés (taux de HbA1C, temps dans la cible, variabilité glycémique, etc.)(1).
Restait à démontrer que ces bénéfices persistaient en vie réelle, au-delà d’une population de patients sélectionnés lors des essais de l’industrie. C’est chose faite, grâce à l’Observatoire de la boucle fermée en France (OB2F), cohorte mise en place à l’initiative de la Société francophone du diabète (SFD), et regroupant 2 747 patients DT1 sous boucle fermée. D’un âge médian de 46 ans, les patients adultes, pour 57,4% des femmes, étaient diabétiques depuis une médiane de 23 ans. Avant la mise sous boucle fermée, 66% étaient sous pompe à insuline et CGM, 33% sous pompe mais sans CGM - le pourcent résiduel recourant aux multi-injections d’insuline.
Chute des complications aigües, meilleur contrôle glycémique
Premier constat, un excellent taux d’adhésion : à un an, 97% de patients sont encore sous boucle fermée. Les complications aiguës du diabète sont devenues moins fréquentes. Seulement 0,7% des patients ont présenté un épisode d’acidocétose au cours de la première année, contre 1,8% l’année précédente. De même pour les hypoglycémies sévères, dont le taux est passé de 4,7% à 1,1%.
Quant au taux médian de HbA1c, de 7,6% à l’inclusion, il avait baissé à 7% en un an. Le temps dans la cible glycémique (70-180 mg/dL), initialement de 60%, atteignait 70% un an plus tard. Toutefois, seuls 54,8% des patients (contre 23,8% à l’inclusion) ont dépassé l’objectif préconisé d’au moins 70% de temps dans la cible. Selon Jean-Pierre Riveline, "on doit faire mieux. L’éducation [thérapeutique] et le suivi structuré sont nécessaires, il faut continuer à suivre ces patients. Il y a des progrès à faire sur les algorithmes, sans ‘annonce’ de repas, notamment grâce à l’intelligence artificielle."
Idem dans la population pédiatrique : sous boucle fermée, les enfants et adolescents diabétiques ont vu leur taux médian de HbA1c passer de 7,5% à 7% en un an, leur temps dans la cible de 54% à 66,6%, tandis que les acidocétoses et les hypoglycémies sévères se sont raréfiées. Mais là aussi, seuls 38% ont atteint à un an l’objectif de 70% de temps dans la cible glycémique, contre 12,5% lors de la mise sous boucle fermée.
Par ailleurs, les participants de la cohorte OB2F, avec leur taux médian de 7,6% à l’inclusion, n’étaient pas si mal contrôlés avant d’adopter le ‘pancréas artificiel’. "Il s’agit d’une étude en vie réelle, ces patients n’ont pas été sélectionnés, mais il est vrai qu’en 2022 nous étions tous assez ‘conservateurs’ sur l’emploi de la boucle fermée. Nous le sommes moins maintenant, nous avons élargi nos indications", explique Jean-Pierre Riveline, qui évoque la possibilité d’un "observatoire OB2F2", ouvert à des patients initialement moins bien contrôlés.
Un bénéfice dans le DT2… mais pour quelle indication ?
Si la boucle fermée n’est à ce jour proposée qu’aux patients atteints de DT1, pourra-t-elle un jour être étendue aux diabétiques de type 2 sous insulinothérapie ? Quelques études exploratoires se sont d’ores et déjà penchées sur cette population, avec des résultats favorables(2). Dernière en date, l’étude présentée par la Pre Anne-Laure Borel (service d’endocrinologie-diabétologie-nutrition, CHU Grenoble Alpes), suggère l’intérêt de la boucle fermée dans le DT2, avec des résultats similaires à ceux obtenus dans le DT1.
Menée sur 20 patients initialement équipés d’une pompe à insuline et d’un CGM (population assez restreinte dans le DT2), elle révèle une hausse de 15% du temps dans la cible avec la boucle fermée. Un résultat d’autant plus marquant que ces patients présentaient déjà, avant le lancement de l’étude, un contrôle glycémique jugé satisfaisant sous traitement "maximaliste". Bien que les participants estiment que leur qualité de vie n’ait guère été modifiée sous boucle fermée, leur sommeil s’est amélioré, du fait d’un moindre besoin d’uriner au cours de la nuit.
Au-delà de ces résultats encourageants, reste à savoir quelle pourrait être l’indication dans le DT2 - inéluctablement plus restreinte que dans le DT1. "Faudra-t-il réserver la boucle fermée aux situations aigües, par exemple lorsque le patient est hospitalisé suite à un accident cardiovasculaire, et qu’il a temporairement besoin d’insuline ? Ou bien, pourra-t-on l’utiliser dès l’instant où le patient doit être mis sous insulinothérapie, afin d’aller au plus vite vers un meilleur équilibre glycémique ? Cette question de l’indication potentielle nécessite réflexion", estime Anne-Laure Borel. Outre l’intérêt glycémique, la boucle fermée pourrait, chez les patients dépendants sous multi-injections, réduire le recours aux soins : "Au lieu de trois passages par jour, l’infirmière ne passerait qu’une fois tous les trois jours", avance-t-elle.
Des patients "moins technophiles"
Autre écueil, l’âge plus avancé des patients vivant avec un DT2, "moins technophiles" que ceux atteints d’un DT1, rappelle Anne-Laure Borel. Pourtant, la boucle fermée vise justement à alléger la charge mentale liée à l’équilibrage glycémique, désormais assuré par un algorithme. Cette simplicité d’emploi n’est que de façade : "Lorsque vous équipez un patient avec un dispositif très perfectionné, il faut qu’il soit capable de gérer les étapes d’avant. Car si les automatismes dysfonctionnent, il doit pouvoir reprendre le contrôle. Ces dispositifs demandent donc un niveau de compréhension technique important."
Au-delà du meilleur équilibre glycémique, qu’il s’agit de confirmer à plus long terme, d’autres études seront nécessaires pour évaluer les bénéfices de la boucle fermée dans le DT2, dans l’objectif ultime de démontrer un effet en termes de mortalité, d’évènements cardiovasculaires et de complications rénales. Ce qui nécessiterait de larges effectifs de patients, suivis durant plusieurs années. A ce jour, rien n’est prévu en ce sens, d’autant que les priorités de recherche sur le DT2 sont ailleurs. Selon Anne-Laure Borel : "Plusieurs traitements [médicamenteux] sont en cours de développement dans le DT2. La boucle fermée constitue une niche, il n’est pas certain que le choix stratégique des industriels se porte, pour l’instant, sur des études coûteuses dans cette indication".
Au sommaire du congrès :
- Boucle fermée, greffe d’îlots, sujet âgé… Que faut-il retenir du congrès de la Société francophone du diabète ?
- Avec le Covid-19, le diabète de type 2 est reparti à la hausse
- Diabète du sujet âgé : traiter sans surtraiter
- Ménopause du diabète : les effets bénéfiques du traitement hormonal
- La thérapie cellulaire, nouvel horizon de la greffe d’îlots
(1) Jiao X et al., BMJ Open Diabetes Research & Care, 21 avril 2022
(2) Amer BE et al., Diabetic Medicine, 18 août 2023
Références :
Congrès de la Société francophone du diabète (Toulouse, 19-22 mars). D’après les présentations des Prs Jean-Pierre Riveline (hôpital Lariboisière, Paris) et Anne-Laure Borel (CHU Grenoble Alpes), et de la Dre Elisabeth Bonnemaison (pédiatre spécialisée dans le DT1, Saint-Jean-de-Védas, Hérault), lors de la session "Technologies innovantes et IA" ; et la conférence de presse de la SFD (13 mars).
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