"C'est un mythe de penser que les sociétés de téléconsultation gagnent beaucoup d'argent sur le dos des médecins"
Egora.fr : Les entreprises de télémédecine n'ont pas bonne presse. Les syndicats de médecins, l'Ordre ou encore l'Assurance maladie sont prudents voire méfiants vis-à-vis de ces sociétés. Comment redorer le blason de ces entreprises accusées de profiter des faiblesses du système de santé ?
Jean-Pascal Piermé : C'est la route que nous sommes en train de prendre au niveau du LET. Cette année par exemple, nous avons négocié avec les parties prenantes que vous venez d'évoquer un cahier des charges autour de la téléconsultation. Cela comprend beaucoup d'aspects autour des bonnes pratiques médicales, des bons contrats ou encore des bons éléments ethnologiques. Nous allons devoir nous soumettre à un agrément autour de la téléconsultation avec plus de 200 points validés par l'Agence du numérique en santé (ANS). Nous sommes garants, en tant que sociétés, de l'organisation et de la qualité de ce qui est délivré lors d'une téléconsultation, en termes de bonnes pratiques.
Vous aviez besoin de cet agrément pour asseoir votre légitimité ?
Oui complétement. Pour que cela fonctionne, on bricolait avec les éléments juridiques qui existaient. Beaucoup ont, par exemple, utilisé les centres de santé pour pouvoir facturer des prestations à l'Assurance maladie. Nous étions obligés de créer ces centres pour pouvoir salarier des médecins et facturer à l'Assurance maladie. Evidemment, ça n'était pas la bonne méthode. Les centres de santé ne sont pas faits pour faire de la télésanté mais pour porter un projet médical dans un territoire. En termes d'arsenal juridique, nous n'avions que ça. De ce fait, cela ne rendait pas lisible notre activité et cela ne permettait pas d'encadrer la collaboration avec les médecins.
Nous avions besoin de cet agrément qui nous donne un statut et un cahier des charges clairs et qui permet de donner toutes les garanties de qualité. Et si on ne respecte pas nos strictes obligations, on peut nous retirer l'autorisation d'exercer en matière de télésanté. Ce statut clair, nous aimerions le porter pour l'ensemble des actes de télésanté et pas que pour la téléconsultation. Les sociétés qui promeuvent d'autres types d'actes - qu'il s'agisse de télésurveillance, télésoin ou télérégulation - sont toujours confrontées au même problème qui est qu'il ne suffit pas d'amener une technologie sur le marché, mais de savoir encadrer les équipes qui l'utilisent. Il faut un modèle économique résilient qui permette d'enchainer les activités tous les jours et que ces dernières soient pleinement sécurisées.
Au LET, nous voulons donc un statut clair d'"opérateur numérique", toutes activités confondues, pour lequel nous devrons respecter un cahier des charges spécifique et qui permettra de faire l'articulation avec les acteurs dans les territoires dans le cadre du parcours de soin.
Comment comptez-vous mettre en place cette coopération avec les autres acteurs de santé sur le terrain ?
Sur la base de notre statut, il faut réfléchir avec l'Assurance maladie et l'ensemble des régulateurs (Ordre, DGOS, HAS…) à un parcours. Une grande partie de notre activité est liée aux patients qui ne peuvent pas accéder à leur médecin traitant parce que ce dernier n'est pas disponible. Nous voudrions donc qu'autour de ce parcours spécifique, on puisse se mettre d'accord sur les conditions de partage d'informations. Quelles sont celles à communiquer au médecin traitant ou à l'infirmière sur le territoire. Si on arrive à protocoliser ce parcours, la prise en charge pourra être plus fluide. Aujourd'hui, sans protocole, chacun fait comme il l'entend. Les professionnels de terrain ne savent pas ce qu'ils peuvent attendre des acteurs de téléconsultations et vice-versa, un peu comme entre la ville et l'hôpital. A force, une mauvaise ambiance se développe.
Dans ses récentes propositions, la HAS estime justement que les sociétés de téléconsultation doivent s'inclure dans le parcours de soins…
Nous sommes complétement d'accord. On est sorti d'une position un peu dogmatique sur l'interdiction des télécabines dans les surfaces commerciales vers des propositions qui nuancent tout cela. Ce n'est pas le lieu qui est important, mais la collaboration dans une équipe de soins et la continuité entre le territoire et les personnes qui vont prendre en charge le patient en télésanté.
Les négociations conventionnelles, auxquelles vous n'avez pas le droit d'assister, sont en cours. Syndicats et Assurance maladie semblent unanimes pour ne pas augmenter le tarif des actes de télémédecine, à la différence de ceux en cabinet. Ne craignez-vous pas une fuite de vos médecins vers les cabinets de ville ?
On verra, seul le terrain nous le dira. Je vois surtout que les médecins aujourd'hui prennent en compte le tarif mais aussi les conditions d'exercice qui jouent beaucoup. Les médecins veulent souvent travailler deux ou trois journées en présentiel et une ou deux journées en télémédecine. Ils ne sont plus...
dans un mono exercice. Ils exercent dans différents types d'activité, et c'est ce qui les intéresse.
Si le message est "on vous paye un peu plus pour faire du présentiel", mais que cela les oblige à faire 100 heures par semaine au cabinet, je ne suis pas sûr que les médecins soient sensibles à l'argument du prix. Ils sont nombreux à privilégier la qualité de vie. 100% de nos médecins ont une fatigue du présentiel.
La pratique en télésanté est nouvelle dans l'arsenal thérapeutique du médecin. Il faut en faire régulièrement pour en connaitre les limites. Beaucoup de médecins critiquent la télésanté mais ne la pratiquent pas. Certains praticiens qui, au départ, en avaient peur se sont rendu compte que suivre un patient chronique en télésanté est intéressant. Le médecin arrive dans le domicile du patient et se rend compte de ce qu'il s'y passe.
Quelles sont vos attentes de ces négociations conventionnelles ?
La télémédecine a beaucoup été vue dans une forme palliative ou une sous-médecine. A court terme, c'est vrai cela a été palliatif. Mais bon nombre d'acteurs sont en train de se rendre compte que dans des parcours de santé, en médecine générale et dans plein de spécialités, on va pouvoir mixer présentiel et télémédecine. Nous disons donc, ayons dans le cadre de la convention médicale, la possibilité de développer cette logique de parcours de santé avec les opérateurs de santé numérique pour ne pas être bloqués par des éléments conventionnels ou de PLFSS. Nous sommes obligés de bricoler avec ce qui existe et qui n'est pas fait pour faire de la télésanté. Nous demandons donc un vrai cadre, ce qui nous permettra de trouver un modèle économique.
Notre frustration par rapport à la convention est que l'on nous dit "vous êtes de la sous-médecine donc on va moins bien rembourser. Et comme la vraie médecine a besoin d'argent, on va la revaloriser." Avec cela, on aura la mort des sociétés de téléconsultation.
Les médecins de secteur 1 ont une prise en charge de la moitié de leurs charges sociales. Nous, demain, nous serons obligés de facturer en secteur 1 mais avec aucune subvention. On met plein de cailloux sur notre chemin. On ferait la même chose aux libéraux, ils diraient que ça ne va pas.
L'alternative à la téléconsultation, c'est souvent les urgences, et cela ne coûte plus 25 mais 220 euros et des heures d'attente pour le patient. Il faut donc rentrer dans des parcours de manière concrète et avoir des modalités de prise en charge claires et intéressantes pour tout le monde. C'est ce que nous demandons à la convention médicale.
Vous pratiquez des frais de service en plus du prix de l'acte ?
Certains actes de télémédecine sont remboursés à 100% par les complémentaires. Si l'Assurance maladie promeut la téléconsultation, elle sera facturée 25 euros, sans frais supplémentaires pour le patient. Mais nous pouvons imaginer des services supplémentaires qui seront optionnels mais qui seront facturés au patient.
Quel type de service ?
Si, par exemple, le patient veut être accéder à un avis de spécialiste au sortir d'une consultation de médecine générale, dans un délai imparti. Il s'agira d'un acte optionnel.
Une étude de l'Assurance maladie d'Ile-de-France a révélé qu'un quart des sociétés de téléconsultation, via les plateformes, facturent des majorations. De quoi s'agit-il ?
Cette étude n'est jamais sortie officiellement. Nous avons eu accès à une version qui été présentée par l'Assurance maladie comme une étude dont les résultats sont encore partiels et incomplets. MG France a utilisé cette étude pour démontrer que la téléconsultation génère des coûts supplémentaires à l'Assurance maladie. Cette étude démontre aussi qu'il y a beaucoup moins de prescriptions en télémédecine qu'en présentiel. Il y a donc des éléments à charge pour les sociétés de téléconsultation, mais aussi des éléments positifs.
Les plateformes de téléconsultation sont-elles rentables ?
Non. Aujourd'hui, les sociétés de téléconsultation, pour la plupart, consacrent encore beaucoup d'argent à l'investissement. Les solutions qui ont des cabines ont deux sources de revenus, de la location et de l'acte médical. Cela aide. D'autres sociétés sont payées à la fois par les complémentaire santé et l'Assurance maladie. Pour les entreprises qui n'ont qu'une source de revenus, via l'Assurance maladie, c'est compliqué. Ceux qui disent que les sociétés de téléconsultation gagnent beaucoup d'argent ne sont pas en phase avec la réalité. La plupart des entreprises ne sont pas à l'équilibre financier. C'est un mythe de penser que ces sociétés gagnent beaucoup d'argent sur le dos des médecins.
La sélection de la rédaction
Un médecin devrait-il être autorisé à exercer majoritairement en télémédecine ?
Pierre Rimbaud
Non
La télémédecine est à la médecine ce que la téléréalité est à la réalité. Pour un médecin en exercice, ce ne peut être qu'un servi... Lire plus