Médecin, je suis devenue maraîchère : "Il y a aussi une désertification chez les agriculteurs"

20/10/2023 Par Louise Claereboudt
Témoignage
C’est une reconversion pour le moins radicale. A 33 ans, Aëlle Le Gall s’est lancé le pari fou d’ouvrir une ferme maraîchère en Mayenne, après avoir fait 11 années d’études de médecine à Paris. Alors qu'elle rêvait de plus de responsabilités, la jeune femme a très vite déchanté une fois arrivée en internat. "Je n’étais pas bien dans mon métier, je ne pouvais pas continuer à l’exercer." Une fois sa thèse en poche, elle s’est résolue à changer de carrière. Trois semaines après l’ouverture de son exploitation, début septembre, cette amoureuse "du vivant sous toutes ses formes" ne regrette pas son choix malgré quelques réprobations qu’elle a dû essuyer.  

 

Les mains dans la terre, Aëlle Le Gall cultive avec amour et passion carottes, navets, potimarrons, choux, et autres légumes de saison dans sa ferme maraîchère, située à Saint-Denis de Gastines, un petit village au fin fond de la Mayenne. La jeune trentenaire a ouvert début septembre les portes de son "Jardin Ouroboros", du nom de la figure mythologique représentant les cycles de la vie. Un projet qu’elle construit depuis trois ans avec son mari, Guillaume, 33 ans également. Tous deux ont lâché leur boulot respectif – lui ingénieur informatique, elle médecin – et leur vie dans la capitale pour démarrer cette nouvelle aventure paysanne. 

Rien ne prédestinait l’apprentie maraîchère à s’engager dans l’agriculture. "Bonne élève", la jeune bachelière qui a grandi dans le Val-de-Marne a naturellement rejoint la fac de médecine Paris 6 en 2008. "Ça paraissait évident pour tout le monde que je ferais de longues études", raconte Aëlle Le Gall à Egora. Passionnée par la biologie et les sciences du vivant, elle s’engage tête baissée dans cette voie sans se poser trop de questions sur sa motivation ou sa vocation. "Ça collait avec mon tempérament." Les premières années se passent comme sur des roulettes, l’étudiante a soif d’apprendre et de faire. "Pendant l’externat, je voulais avoir plus de responsabilités, faire plus de choix moi-même." 

Quand arrivent les épreuves classantes nationales (ECN), en 2014, elle choisit médecine interne. "Aucune spécialité d’organe ne m’intéressait vraiment. Je ne connaissais pas l’exercice libéral que je n’ai pas du tout côtoyé pendant l’externat donc je n’étais pas attirée par la médecine générale. Je trouvais l’aspect ‘holistique’ de la médecine interne très intéressant et cela m’a décidée." Débutent alors cinq années de stages dans les différents CHU parisiens. Arrivée avec la ferme intention de faire ses preuves, l’interne déchante rapidement. "Petit à petit je ne me sentais pas bien, confie-t-elle. Au début, je mettais ça sur le dos de mes stages. ‘Là ça ne va pas parce que je ne m’entends pas avec l’équipe ou parce que la logistique ne tourne pas bien ou à cause des trop gros horaires’", se disait-elle. 

 

Crédit : Le jardin ouroboros

 

"Portes de sortie" 

Au bout de 10 stages, Aëlle Le Gall se sent de moins en moins à sa place dans ce milieu médical – malgré "beaucoup de moments joyeux". Elle réalise finalement que "ce n’est pas l’hôpital, le problème." Les responsabilités qu’elle avait tant rêvé d’acquérir ne l’intéressent plus. "Je sentais que je ne ferai pas ça toute ma vie, que ça pouvait tenir encore quelques années mais que j’aurais besoin de changer d’air au bout d’un moment." Elle cherche alors "des portes de sortie". "Quand les gens me demandaient ce que je voudrais faire plus tard, dans quel service je souhaiterais exercer, je bottais en touche, je disais que je ne savais pas trop." 

 

 

Parallèlement, elle commence à s’intéresser de plus près à l’alimentation, portée par sa "très forte conscience environnementale et écologique". Si elle avait une alimentation "catastrophique" au début de son internat, elle se met à manger de plus en plus de légumes bio, et essaie de "réduire les produits transformés". "Quand on s’intéresse à l’alimentation et à l’environnement, fatalement, on se renseigne sur comment on produit la nourriture", explique-t-elle. L’interne veut en savoir plus, et  en se renseignant, elle tombe sur une formation – un brevet professionnel responsable d'entreprise agricole (BPREA) – qui l’intrigue.  

Elle termine son internat en 2019 et, après avoir réfléchi, s’inscrit dans un établissement parisien qui prépare à ce brevet. Sans savoir vraiment ce qu’elle va faire de ce diplôme, Aëlle Le Gall fait sa rentrée début 2020 avant que ne frappe l’épidémie de Covid-19. Le pays sous cloche, elle est forcée de suivre ses cours en distanciel, dans son appartement qu’elle partage avec son compagnon, Guillaume, en télétravail. Tous deux travaillent dans le même bureau, et, rapidement, Guillaume se prend d’intérêt pour les cours que suis Aëlle. Entre les périodes de confinement, celle-ci réalise des stages, et ensemble, ils partent faire du woofing – du volontariat dans des fermes bio en échange du gîte et du couvert. C’est une révélation. "Je réalise que ça peut être un vrai métier et surtout, que je peux le faire même si je ne suis pas fille de paysans", raconte la trentenaire. 

 

"Pas une mince affaire" 

Un projet germe dans son esprit : repartir de zéro et créer une ferme maraîchère biologique. Son conjoint "avait un peu fait le tour de son travail" et s’engage lui aussi. "Ça s’est finalement construit comme un projet commun même si ce n’était pas l’idée première." Aëlle Le Gall soutient tout de même sa thèse de médecine interne en 2021 – avec un peu de retard du fait de l’épidémie – mais une fois le serment prêté, elle se replonge dans son idée. Première étape : trouver un terrain agricole. "Pas une mince affaire quand on n’est pas fille ou fils d’agriculteur. Les terres agricoles sont chères et très prisées." Il leur aura fallu près de deux ans pour trouver une ferme en Mayenne. Le couple ne connaissait personne là-bas mais le climat et les paysages de ce territoire les attiraient.  

Avant d’y déménager, en mars 2022, Aëlle Le Gall et son mari construisent leur projet de vie depuis leur appartement parisien : "une bonne année de démarches administratives, plein d’autorisations à demander partout… Quand on est nouveau dans le domaine agricole, on ne soupçonne pas la complexité des instances. Je pensais en avoir une idée avec l’administration de l’hôpital mais ce n’est rien à côté des différentes entités : banque des territoires, chambres d’agriculture…" Puis une fois les clés de la ferme en main, il a fallu mettre en place les infrastructures : les serres, l’irrigation, etc. Mais surtout, "continuer de se former" car "le BPREA ne suffit pas du tout pour se lancer dans une production", explique la maraîchère, qui a enchaîné les stages.  

Le couple de néo-maraîchers s’inspire de la permaculture mais ne revendique pas cette conception de l’agriculture car "cela demande beaucoup d’expérience". "A vouloir faire trop parfait on perd trop de temps. Il faut parfois être plus rationnels et avoir une approche plus classique de l’agriculture", reconnaît Aëlle Le Gall. Aucun produit chimique n’est en revanche utilisé. "Même si j’ai arrêté la médecine, je sais bien quels dégâts peuvent faire les produits chimiques utilisés dans certaines fermes." Ouverte depuis début septembre, la ferme propose une trentaine de variétés de légumes de saison à la vente – directement sur place le vendredi soir. Mais le couple ambitionne de monter à 40 voire 50 variétés dans les années à venir. "Tout ce qu’on est capable de faire pousser dans l’ouest de la France, on essaiera de la faire." Un verger doit aussi être planté et occupera la quasi-totalité des 7 hectares de terrain (seul 1 hectare est dédié au maraîchage).   

 

"Train de vie modeste" 

Trois semaines après l’ouverture de la ferme, Aëlle Le Gall se montre confiante. "On a fait des erreurs techniques, de débutants, mais qui sont attendues et normales je pense pour une première saison. On est quand même contents du début de saison qu’on a fait : il y a des clients, on a des retours positifs, c’est encourageant pour la suite mais il va falloir qu’on améliore pas mal de choses. Sur les infrastructures notamment, on n’est pas encore très bien équipés pour gagner du temps et optimiser un peu notre travail", explique la maraîchère. Ces outils coûtent cher mais heureusement le couple a réussi à faire "sans prêt (bancaire)" jusqu’ici, et a été aidé par l’Etat et l’Europe, dont les "aides sont assez conséquentes"

Aëlle Le Gall sait toutefois qu’il y aura des jours difficiles, compte tenu de la différence "énorme" de revenus entre son métier de médecin et celui de maraîchère. "La baisse de salaires, on y est prêts", affirme-t-elle. Selon des prévisions qu’ils ont dû fournir à la chambre d’agriculture, "on se tirerait chacun un Smic au bout de quatre ans. Avant ça, on toucherait un salaire bien inférieur voire pas du tout de salaire pour la première année."  "On a la chance d’avoir des économies de côté, pas d’emprunt, pas d’annuités, pas d’enfant. Nos frais du quotidien sont assez faibles. C’est un train de vie modeste qui nous va. Même quand on avait un plus gros salaire, on ne le dépensait pas."  

 

Crédit : Le jardin ouroboros

 

"Décevoir des gens qu’on ne connaît pas" 

Comme pour tout choix radical, la jeune femme a toutefois essuyé quelques reproches. D’abord de sa mère, "qui a été pas mal déçue, surtout parce qu’elle craignait que je ne passe pas ma thèse". Mais surtout, par des habitants de la Mayenne. "Il y a un généraliste dans la commune mais pas dans celles aux alentours. Comme les gens ne savent pas ce qu’est la médecine interne, ils pensent que j’aurais pu reprendre un cabinet de médecine générale. Mais je n’en ai pas du tout les compétences ! J’essaie de leur expliquer mais ils ont du mal à faire le lien", déplore la trentenaire, qui regrette d’avoir "déçu des personnes que je ne connaissais mêmes pas. Ce n’est pas agréable." 

"Après je comprends, si on n’a pas de généraliste depuis plusieurs années on se dit ‘bah les médecins viennent faire agriculteurs alors que des agriculteurs, ici, y en a plein !’ mais ils ne se rendent pas compte qu’il y a aussi une désertification chez les agriculteurs – je pense encore plus importante, poursuit la maraîchère. On ne se rend pas compte parce que les champs sont moissonnés et qu’on n’a pas l’impression qu’ils sont à l’abandon, mais la plupart des agriculteurs qui partent à la retraite n’ont pas de remplaçants… Comme les généralistes…", assure-t-elle. 

29 commentaires
4 débatteurs en ligne4 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Je comprends parfaitement ce choix. Travailler à l'air libre. Le contact de la nature. Vivre en couple tout au long de la journée. Travailler à son rythme. La satisfaction viscérale de faire pousser d
Photo de profil de Chabot Agnes
585 points
Débatteur Renommé
Rhumatologie
il y a 1 an
La fille d'amis a fait le même chemin (couple juriste/Arts et métiers). Que c'est difficile ! Ce sont des heures et des heures d'un travail ingrat, il faut semer, planter, récolter puis vendre, avec u
Photo de profil de Alain Joseph
1,5 k points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 an
La nourriture est notre premier médicament préventif (plus important qu'un vaccin) qui entretient et stimule notre système immunitaire. Son choix reste donc un acte médical vis à vis de la population
 
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