"Pour tous les soignants, je me souviens des serments trahis..." : lettre au Président de la République

02/11/2022 Par L'Interne de garde
Allongement de l'internat de médecine générale, menaces de coercition, coup de frein à l'intérim... Sur les réseaux sociaux, le désespoir exprimé par les étudiants et jeunes médecins français est à la hauteur des promesses tenues par Emmanuel Macron durant les premiers mois de la crise du Covid. "Monsieur le Président, presque trois ans après le début de la pandémie, nous nous sentons trahis par la Nation que nous avons servie", alerte L'Interne de garde. Dans une lettre au locataire de l'Elysée, qu'Egora reproduit en intégralité, ce jeune médecin urgentiste de province appelle à "redonner espoir" et à "protéger les soignants".

 

 

  "Je me souviens du 18 mars 2020 : « A nos personnels soignants : vous ne comptez pas vos heures face à cette crise inédite. Nous savons ce que nous vous devons et nous mettrons les moyens nécessaires pour vous aider. » Je me souviens du 25 mars 2020 à Mulhouse : « Il y a en première ligne l'ensemble de nos soignants, qu'ils interviennent à l'hôpital, en ville, (…) La Nation toute entière est derrière eux, reconnaissante. Elle rend hommage chaque jour. (…) L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la Nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons, c’est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. » Je me souviens du 13 avril 2020 : « Ces journées, ces semaines ont été et resteront l'honneur de nos soignants, en ville comme à l'hôpital. Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »

Je me souviens du 23 octobre 2020 : « C’est pour ça que je veux ici aujourd'hui rendre hommage, remercier l'ensemble de nos personnels soignants (…). Mais je veux aussi saluer l'ensemble des professionnels de santé dits de ville donc les libéraux, professions paramédicales et toutes celles et ceux qui sont aussi dans les établissements médico-sociaux, les structures paramédicales, que ce soit d'ailleurs des structures ou que ce soit du soin à domicile. (…) Je veux ici redire notre détermination à continuer de transformer en profondeur notre système de soin et notre système de santé français. C'est une fierté. » Je me souviens du 29 juin 2021 : « Je veux ici remercier à nouveau tous les soignants sur le terrain qui se sont battus, tous nos chercheurs qui ont fait le maximum. (…) On est en train d'en tirer les conséquences (…). Sachant que c'est un énorme défi parce qu'on a un fort risque qu'on revienne à la normale après crise. Je pense que ce serait une catastrophe. » Je me souviens de la campagne présidentielle 2022. Vous disiez « regarder la réalité en face car malgré le Ségur, il y a aujourd’hui une crise de sens pour beaucoup de professionnels de santé ». Quand le passé n’éclaire pas l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. Monsieur le Président, presque 3 ans après le début de la pandémie, nous nous sentons trahis par la nation que nous avons servie. Servie sans en attendre quelque gloire, nous ne faisions que notre devoir. Nous avons soigné, soulagé, accompagné, rassuré, consolé, vacciné, nous nous sommes démenés. Le seul espoir que nous avions se résumait dans un « plus jamais ça », mais nous ne nous doutions pas que serait pire.  

"Cette unanimité de la représentation nationale à contraindre ceux dont ils louaient l’engagement, il y a quelques mois, est une blessure pour beaucoup de soignants"

Vous deviez, Monsieur le Président, redonner de l’espoir à tous les soignants. Vous deviez, Monsieur le Président, raviver la flamme de ceux qui se sont battus, qui ont tenu. Vous deviez, Monsieur le Président, donner envie à la jeunesse de s’engager dans ces métiers du soin, de l’accompagnement, du social, de la recherche, qui ont tant fait pour les Français. Je n’ai rien vu, Monsieur le Président, qui ait pu répondre à ces promesses. Nous avons conscience qu’il ne faudra pas quelques mois pour reconstruire ce qui a été défait méticuleusement pendant deux décennies. Il n’y a nul cap, nulle vision, nul horizon vers lequel se tourner dans ce que vous proposez. Au contraire, là où la santé, la science, auraient dû être les sujets des débats d’une campagne présidentielle au sortir de la crise, Il n’en a rien été. Pire : depuis quelques mois, celles et ceux qui ont été adulés sont maintenant visés par tous les groupes parlementaires. Voilà quelques exemples des projets visant désormais les soignants : allongement des études, contraintes à l’installation, frein à l’intérim, préavis avant une mobilité, publication de listes publique dénonçant celles et ceux qui ne s’installeraient pas, etc. Est-ce cela « La Nation toute entière derrière eux, reconnaissante » ? Cette unanimité de la représentation nationale à contraindre ceux dont ils louaient l’engagement, il y a quelques mois, est une blessure pour beaucoup de soignants.

Certains renonceront à leur carrière ; pire encore, cela va diminuer l’attrait que ces métiers pouvaient avoir. Que va penser la jeunesse qui voudrait s’engager, voyant ses études encore allongées ? En voyant qu’on risque de leur imposer une mobilité forcée ? En voyant les soignants épuisés, abandonner au bout de quelques années ? Pensez-vous que c’est cette image de l’avenir des métiers du soins qui va les inciter à venir rejoindre les rangs décimés des soignants ? Toutes ces décisions ne feront qu’accélérer l’effondrement de ce que vous nommiez une fierté. Il faut reconstruire le système de santé pour répondre aux besoins des Français, mais pas contre ceux qui les ont soignés. Après l'avoir fait pour les Français pendant les longs mois de pandémie, ce sont les soignants qu'il faut protéger aujourd'hui. Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être. Monsieur le Président, si vous avez de la mémoire, redonnez donc espoir à celles et ceux qui ont été la lueur dans le noir."

 
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