“Tout a débuté en juin 2015, quand j’ai commencé à faire de l’activité libérale dans le cadre de mon activité statutaire. Dès les premières semaines, mon chef de service, avec qui j’entretenais de bonnes relations, a commencé à ne plus me parler : Ni bonjour ni au revoir. Quand je lui posais une question, il ne se retournait même pas. Comme si je n’avais pas parlé. Un jour je lui ai demandé s’il avait un problème avec moi. Il m’a répondu ‘Non non, ça va’. Mais il a continué. Donc je me suis mise à lui envoyer des mails. Aucune réponse là encore. Au bout de plusieurs semaines de silence, j’ai alerté la direction en expliquant ce qu’il se passait. La direction m’a reçue. Lui aussi. Il y a alors eu une courte accalmie. Ça n'a duré que quelques jours, et c’est reparti. A côté de ça, mon chef de service demandait aux secrétaires de déplacer mes rendez-vous pour ne pas que j’ai de patients sur mon activité libérale. Il m’interdisait de faire certains actes, etc. Lors de l’unique réunion annuelle de service, il a commencé un monologue au cours duquel il critiquait l’activité libérale. Il disait que, depuis quelques mois, les chiffres d’activité de médecine nucléaire baissaient. Il essayait de dire que je créais une sorte de déficit pour l’hôpital. Sans jamais dire que c’était moi. C’était assez sournois.
Il fallait toujours que je me justifie. Je lui ai pourtant répété que l’activité libérale était un droit statutaire. Mais lui me répondait que j’avais surtout des devoirs. Pour lui, je ne méritais pas de faire du libéral parce que je n’avais pas de concurrence, étant donné qu’on est le seul service de médecine nucléaire du Tarn. Devant plus de 15 personnes, il a lâché qu’il avait des dossiers sur moi, que des patients n’étaient pas contents de moi, alors que je n’ai jamais eu aucun souci en dix ans. Quand je lui ai répondu que c’était faux et que je voulais voir ces fameux dossiers, il n’a fait que dire ‘J’en ai plein, j’en ai plein’ et me traiter de menteuse. “J’ai perdu énormément de poids” Dès les jours suivants, une première médiation a donc été organisée. Le président de CME nous a reçus. Ça a fini dans les hurlements. Il hurlait en disant que je m’attribuais des pouvoirs que je n’avais pas. Ce n’était que le début. Comme il ne répondait toujours pas à mes mails, je ne pouvais plus prendre mes congés ni m’inscrire à des formations. Il fallait sans cesse que...
je saisisse la direction pour savoir s’ils avaient été validés. Ce n'était jamais le cas. C’était l’horreur. J’ai perdu énormément de poids, je ne faisais que pleurer. J’en parlais constamment à mon mari, à mes parents. Comme je voyais que les choses ne s’arrangeaient pas, je me suis tournée vers le conseil de l’Ordre des médecins. J'ai appris que ma précédente consœur avait vécu la même chose avec lui. Elle aussi lorsqu’elle s’est mise à faire du libéral.J'ai fourni un courrier avec tous les éléments de ma situation, tout ce que je subissais, comme la fois où, en pleine consultation, il a pris le dossier devant la patiente et l’a jeté par terre en disant qu’on faisait de la médiocrité dans ce service. En janvier 2016, on a donc effectué une première médiation au conseil de l’Ordre. Il n’a pas voulu reconnaître ses torts. Le président avait proposé qu’on ait un audit externe et qu’on mette en place une charte de fonctionnement pour que les vacations soient par exemple prédéfinies, établies et ne puissent pas atterrir sur ma vacation. L’audit a relevé une organisation sournoise. En avril, on a signé une charte de fonctionnement. Elle mettait en place une répartition paritaire des congés, des formations... des choses assez précises. Mais l’arrivée d’un nouveau directeur à l’hôpital le mois d’après a été pour moi la descente aux enfers. Les précédents m’ont entendue et ont mis des choses en place. Avec ce nouveau directeur, tout ce que je disais était faux. Pour lui, mon chef de service ne relevait d’aucune sanction. En entretien, il m’avait même dit : ‘Libre à vous d’engager des procédures, mais, prévenez-nous suffisamment tôt car l’hôpital ne vous soutiendra pas’. J’étais sortie de là en pleurs. A ce moment-là, j'étais enceinte de ma deuxième fille. J’ai développé un retard de croissance intra-utérin. La direction ne m’a pas crue. Je suis partie en grossesse pathologique début septembre jusqu’en mars 2017. Quand je suis revenue, je n’avais plus de bureau. Mon chef de service l’avait donné aux secrétaires. Et les plannings avaient aussi été complètement modifiés, je me suis retrouvée lésée sur les vacations.
“Grosse altercation verbale” Le 28 juillet, à la veille de mon départ en vacances, il y a eu une grosse altercation verbale au sujet d’un patient que je suivais depuis des mois, qu’il ne connaissait absolument pas. Souvent il me prenait les dossiers des mains. Il fallait que je m’écrase. Ce matin-là, j’ai eu un regain de force, j’ai refusé de le lui donner. Alors il s’est enfermé avec moi dans une pièce...
Il a claqué la porte, et s’est mis à hurler. J’étais complètement tétanisée. J’ai fait une déclaration d’accident de travail le soir même, une déclaration de violence au travail, prévenu le CHSCT. Et je suis allée déposer plainte pour harcèlement moral. Ça faisait longtemps que j’essayais de demander de l’aide, j’avais contacté les syndicats, des associations, pour savoir comment m’en sortir mais on m’avait dit que c’était difficile à prouver. Donc j’avais gardé tous les écrits. Quand j’ai déposé plainte, j’étais tellement mal. J’ai passé mes trois semaines de vacances à ne faire que pleurer, à prendre des anxiolytiques. Je n’ai pas voulu me mettre en arrêt maladie parce que le retour de ma grossesse avait tellement été compliqué, que je me suis dit que si je repartais à nouveau, ce serait encore pire en revenant. J’ai donc essayé de postuler ailleurs. Je m'étais entretenue par téléphone puis lors de congrès avec la cheffe de service d’un hôpital proche de chez mes parents. Ça se passait bien. Le vice-président de CME m’avait dit que mon CV les intéressait et m’avait demandé d’envoyer la lettre officielle. Une semaine après que j’ai envoyé cette lettre, il y avait une réunion régionale de médecine nucléaire où étaient présents cette cheffe de service et le mien, extrêmement ‘réseauté’. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais trois jours après, elle m’a envoyé un courrier hyper froid en me disant qu’elle n’avait pas de poste. C’est là que je me suis dit que j’étais clouée ici…
“J’ai commencé à voir une psy” J’ai euplusieurs fois des idées suicidaires, j’avais même envisagé le scénario dans mon bureau. J’ai tenu grâce à mes enfants. Quand il y a un tel acharnement, que la direction ne vous croit pas et que vous ne pouvez même pas partir, vous ne voyez pas d’issue. Les deux seules solutions que je voyais à l’époque étaient d’engager toutes les procédures possibles ou de me suicider. Je ne savais pas ce que j’étais capable de faire, jusqu’où j’étais capable d’aller. J’ai commencé à voir une psychologue, et je continue aujourd’hui d’être suivie. Ça m'a permis de comprendre que ce n’était pas moi le problème. Dans le dossier pénal, il disait que...
j'étais ‘folle’ et que je m’habillais ‘comme une TEPU’, surtout tout ce que je faisais était ‘médiocre’. Heureusement, j’ai eu aussi beaucoup de soutien de la part d’autres médecins de l’hôpital qui avaient vent de l’histoire qu’il y avait eu avec la précédente médecin et qui m’ont soutenue et ont même témoigné pour certains. Ça a été un soulagement quand ma plainte a été retenue. J’avais enfin une reconnaissance, la sensation d’être entendue. Je n’étais pas la fille médiocre qu’il décrivait. Suite à ça, j’ai fait une demande de protection fonctionnelle que l’hôpital m'a refusée. En 2018, j’ai donc saisi le tribunal administratif et en juin 2019, il a donné l’injection à l’hôpital d’Albi de m’accorder la protection fonctionnelle. L’hôpital n’a jamais exécuté ce jugement. Il m'a proposé, en août 2020, 5.000 euros au titre de mes honoraires d'avocat et des séances de psychothérapie alors que selon les textes, il devrait également prendre des mesures de prévention pour me protéger des agissements perpétrés au quotidien par mon harceleur. J’ai fait une demande d’ouverture de procédure en exécution et la présidente de la Cour d’Appel de Bordeaux a ouvert l’ordonnance de procédure en exécution en mars 2020. Je suis en attente de l’audience qui ne devrait pas tarder. J’ai également déposé plainte au pénal contre l’hôpital et le directeur cet été. [Mise à jour] L'hôpital a réglé la semaine dernière les frais de procédure pénale et ordinale quelques jours après que j'ai reçu un mail du DG de l'ARS m'informant qu'il avait saisi le DG de l'hôpital.
Le conseil de l’Ordre du Tarn a également porté plainte contre mon chef de service, au vu de la récidive, et le poursuit devant la chambre nationale disciplinaire. On attend l’audience courant 2021. “C’est de la survie” Le 26 novembre, mon chef de service a été condamné au pénal à dix mois de prison avec sursis. Mais comme il a décidé de faire appel, l’hôpital n’a rien fait*. Donc à nouveau, j’ai renvoyé des lettres au CNG, à la DGOS, au ministère, à l’ARS... J’avais mis tellement d’espoir dans cette condamnation, je pensais qu’on l’éloignerait de moi, que quand j’ai vu que personne ne faisait rien, j’étais en plein désespoir. La médecin du travail m’a reçue deux fois la semaine dernière. Et pour la première fois j’ai pleuré devant un patient. Je ne savais plus à quelle porte taper. Finalement, j’ai contacté la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité et à la directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité qui m'ont répondu immédiatement. Le même jour je recevais également un retour du DG de l’ARS. Le fait d’avoir eu des retours et de ne plus voir mon chef de service, qui s’est mis en arrêt depuis, m'a enlevé cette pression, cette peur, l’angoisse de venir travailler. Donc je tiens, c’est de la survie. Au point où j’en suis, je ne lâcherai pas. Je veux qu’on m’accorde la protection, qu’il soit suspendu ou muté.” *Selon le jugement correctionnel, qu'Egora a pu consulter, le tribunal note que “le positionnement de la direction du centre hospitalier d’Albi a gravement participé à la dégradation de cette situation et a majoré sensiblement les préjudices causés à la victime en ne prenant jamais en compte la juste mesure des difficultés rencontrées par la victime et en n’apportant que des réponses parcellaires ou en refusant une protection fonctionnelle à la plaignante qui était pourtant parfaitement légitime. De tels manquements, gravement coupables, de la direction de l’hôpital n’ont pu que majorer de manière significative le conflit existant entre les deux praticiens.”
Contactée par Egora, la direction de l’hôpital d’Albi a souhaité répondre en ces termes : “Le Centre Hospitalier prend acte de la condamnation par le tribunal correctionnel d’Albi de l’un de ses médecins, à l’occasion d’une procédure pour laquelle il n’a jamais été envisagé la mise en cause de la responsabilité pénale de l’établissement. Dans la poursuite des actions déjà réalisées pour s’assurer du bon fonctionnement du service dont il souligne la très grande qualité des activités, et du respect des conditions d’exercice de ses praticiens, l’établissement envisagera toutes les mesures utiles à l’occasion du prononcé d’une éventuelle condamnation définitive. Le CH ALBI a toujours montré la plus grande vigilance à la préservation de la santé au travail de son personnel, les enquêtes administratives et l’audit extérieur réalisés jusqu’alors sur le service concerné n’ayant révélé aucun dysfonctionnement ou manquement sur ce point.”
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