Généraliste en Suisse, j'ai testé les assistants médicaux et j'en suis ravie

13/02/2019 Par Abigaïl Sittrygsdóttir
Billet de blog

Après avoir exercé en France pendant plusieurs années, la jeune généraliste Fluorette a fait le choix de l'expatriation en s'installant en Suisse. Elle y a découvert un mode d'exercice différent et épanouissant aux côtés d'assistantes médicales. Alors que les négociations sont en cours entre l'Assurance maladie et les médecins sur les assistants médicaux, le jeune femme prend part au débat en rendant compte de son experience dans un billet de son blog Au pays des vaches mauves.

On lit beaucoup de choses ces temps sur les assistants médicaux en France, vantés par les politiques comme la solution miracle et extraordinaire à la pénurie de médecins généralistes (Pénurie savamment créée par nos mêmes politiques il y a de cela maintenant déjà 30 ans, sur le principe que si on avait moins de médecins, on consulterait moins et donc ça couterait moins cher. Aujourd’hui on se retrouve avec une population qui consulte plus, pour des raisons diverses et variées, et une démographie médicale qui ne peut pas satisfaire la demande).

Depuis que je travaille ici, je travaille avec des assistantes. Leur formation est à cheval entre celle d’une secrétaire et celle d’une infirmière. C’est très agréable de travailler comme cela. Elles assurent le secrétariat téléphonique. Elles préparent les ordonnances de dépannage ou les arrêts de travail quand il faut prolonger de 2 jours parce qu’on a été un peu optimistes sur la durée de la grippe. Elles accueillent les patients, créent les dossiers, font le point sur la situation assurantielle de ceux-ci, jugent du degré d’urgence et en fonction, les installent en salle d’attente ou en salle de soins. Elles font les INR ou les HbA1c juste avant la consultation. Si le patient vient pour un pansement, elles enlèvent, nettoient, préparent. Elles font les prises de sang et les bandelettes urinaires, les techniques dans le mini-laboratoire. Elles font les électrocardiogrammes. Elles appellent les spécialistes et les radiologues pour trouver des rendez-vous aux patients et organisent les rendez-vous pour les résultats. Elles font le suivi des factures, elles appellent les assureurs pour régler les litiges, elles courent après les patients qui nous ont pourtant promis moultes fois de nous donner les références de leur cas accident mais qui ont encore oublié. Et puis, elles font le café et elles apportent des petits gâteaux. (alors en fait non, on a une machine qui fait tout et que je nettoie, et tout le monde apporte des gâteaux, c’est surprenant que nous ne soyons pas tous obèses) Travailler avec elles est un bonheur car je peux voir un patient, le regarder marcher de la salle d’attente à mon cabinet, discuter avec lui, regarder comme il se déshabille, l’examiner, l’écouter pleurer, me questionner sur une éventuelle pneumonie, ou embolie, l’installer en salle de soins, leur laisser faire un bilan, consulter pendant ce temps un autre patient dans mon bureau, voire deux, et revoir le premier après. Pendant ce temps, elles font le bilan, une radio, un ECG, un soin, un aérosol et elles le surveillent. Je peux prévoir des consultations longues pour l’hypnose. Si j’ai besoin de prendre du temps pour quelqu’un, je le prends. Si la période est épidémique et qu’il faut faire de l’abattage, c’est possible aussi. Travailler avec elles est un bonheur tout court, comparé à la solitude de mon cabinet précédent et à la peur certains soirs face à l’agressivité des patients. Mon temps est optimisé : je perds bien moins de temps qu’avant. Cette façon de gérer permet d’adapter immédiatement une conduite à tenir, de programmer facilement la suite, d’éviter des passages aux urgences. Je fais encore pas mal de paperasses parce que c’est un pays d’assureurs et qu’il faut toujours raconter ce qui est arrivé au patient, justifier certaines prises en charge, mais ces paperasses sont payées, et quand il y a un litige sur le paiement, ce sont les assistantes qui gèrent. Je fais plus de médecine et je la fais mieux. Cet assistanat est rendu possible par la tarification des actes. Mes consultations sont chères. Tout acte est facturé. Tout matériel aussi. Il n’y a pas -50% sur le deuxième geste comme parfois en France. Je gagne suffisamment pour les payer et pour payer la personne qui s’occupe de déclarer leurs salaires car c’est assez compliqué. Aucun médecin ne travaille sans assistante. La qualité a un coût. Mais ce n’est pas du tout ce qui est prévu en France de ce que j’en lis. Le vrai problème, c’est qu’en France, comme d’habitude, le budget ne sera pas là et c’est un effet d’annonce. Il n’y aura pas de revalorisation des actes. Il y aura quelques postes accordés, annoncés en grandes pompes, payés sur un budget qui ne sera pas réaccordé l’année suivante, et ceux qui auront cru dans le projet se retrouveront le bec dans l’eau. Le projet est présenté comme productiviste et rentable : passer de 3 à 6 consultations par heure par médecin. Or je ne vois pas comment car l’assistant ne sera pas formé comme le sont nos assistantes (formation en 3 ans, avec des stages) et il n’aura pas les moyens que nous avons. Je ne vois pas comment il pourrait faire autre chose que du secrétariat. L’assistant promis n’en est pas un. Sa promesse est le résultat d’une vision productiviste d’une profession qui ne l’est pas. L’assurance maladie prouve une nouvelle fois qu’elle ne connait pas le métier de médecin généraliste, voire qu’elle le dénigre et le réduit à pas grand-chose. Ce n’est pas nouveau, c’est triste pour tout le monde : médecins comme patients.

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