[Rediff] Quelle est LA mesure que vous attendez pour sauver notre système de santé ? A quelques jours des annonces d'Emmanuel Macron sur la réforme de l'hôpital et du système de soins, Egora a demandé à six personnalités aux profils variés quelle était la mesure urgente à mettre en place à leurs yeux. Coopération accrue, ouverture d'esprit, réforme des financements... ces six commentateurs avisés livrent leurs attentes et leurs espoirs.
- "Libérer l’accès à l’information scientifique pour tous" : Dr Paul Frappé, Président du conseil scientifique du Congrès de la médecine générale
- "La fin du cloisonnement ville hôpital et des moyens dédiés" : Dr Patrick Bouet, Président du Conseil national de l'Ordre des médecins
- "Une plus grande ouverture d'esprit chez les professionnels" : Yanis Merad, président de l'Association des étudiants en médecine de France
- "Un financement collectif pour la prise en charge des soins non programmés" : Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes de la CSMF
- "Si les systèmes coopèrent, cela générera des économies" : Patrick Pelloux, Urgentiste, président de l'AMUF
- "Une T2A, bonifiée en fonction du service médical rendu" : Dr Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée
Dr Paul Frappé, Président du conseil scientifique du Congrès de la médecine générale "Quand je vois dans les publicités qu’une désinfection complète de la maison - jusqu’aux bactéries qui se cachent sous la grille de l’évier- est un comportement de santé, ça me pose question sur notre communication sur le risque. Quand j’entends que la castration chimique pourrait résoudre la pédophilie et le viol, ça m’interpelle sur les illusions que transmet notre communication sur la causalité. Quand j’entends les discours autour de la liste noire de médicaments dangereux, quand j’entends dire que tout le monde devrait prendre tel médicament préventif miracle, quand je perçois une certaine tendance vers la criminalisation des comportements de santé qui ne correspondent pas aux standards, cela m’interpelle sur le manichéisme de notre communication en santé, et quelque part, sur notre capacité à créer nous-mêmes les obstacles à nos prises en charge. Il est temps de s’autoriser le risque. Il est temps de pondérer efficacement nos communications sur les pathologies et les interventions. A quand par exemple de véritables étiquettes santé sur les boîtes de médicaments, comme les étiquettes nutritionnelles, indiquant d’un coup d’œil la force d’action, le niveau de risque et leur niveau de certitude ? Quand je vois le sentiment de délaissement des personnes qui n’obtiennent pas d’ambulance pour un accouchement à terme ou une épistaxis persistante alors qu’un proche peut les conduire, quand je vois le sentiment de dévalorisation des personnes qui sont orientées vers la maison médicale pour une pathologie urgente qui ne nécessite pas le plateau technique hospitalier -comme une douleur dentaire ou une cystite simple-, quand je vois la frustration des patients qui souhaiteraient avoir tous les examens complémentaires pour obtenir une réponse immédiate et qui s’entendent dire que l’on va adopter une démarche pas à pas, je crois qu’il y a un besoin de démystifier l’urgent, l’extraordinaire et le grave, et de revaloriser le quotidien, le banal et le lent. Quand j’entends en régulation centre 15 des patients qui appellent pour savoir si la pharmacie de garde fait telle marque de générique, je me dis qu’il est temps d’interdire la publicité de l’industrie en santé auprès de tous, médecins, journalistes et patients. Enfin, quand je rencontre des étudiants et des confrères qui ont toutes les peines du monde pour accéder à l’information scientifique native, qui fait pourtant le lit de notre métier, je me dis qu’il est temps de libérer l’accès à l’information scientifique pour tous, médecins et patients".
Dr Patrick Bouet, Président du Conseil national de l'Ordre des médecins "On va ouvrir l'hôpital. L'hôpital de demain que nous vous proposons, c'est un hôpital qui travaille en parfaite adéquation avec les acteurs de santé qui l'environnent. Ce n'est pas un hôpital qui dirige l'organisation du système de santé, mais qui travaille avec tous les acteurs pour répondre aux besoins en matière de soins. Voilà ce que j'attends. La fin du cloisonnement, l'annonce officielle de la coopération, l'annonce de moyens dédiés, l'annonce d'une capacité de mobilisation des professionnels, que les uns puissent aller chez les autres, qu'on retrouve un système de santé cohérent. Je n'attends pas qu'on me dise "50% de l'activité de l'hôpital ne sera plus en T2A". J'espère que ce n'est pas ça l'annonce. Ce n'est pas ça qui est attendu. Même si ça fait partie des choses importantes. Ce serait une fois de plus une réponse économique, comme depuis 1974. Et si ça avait marché, on le saurait déjà. On ne peut pas aborder les choses que dans cette vision économique. Il y a des contraintes économiques, mais il y a surtout une responsabilité régalienne de l'Etat. Comment assurer cette mission de bientraitance à l'ensemble de la population qui vit sur notre territoire ? Ça c'est une question de fond. Et c'est cette question- là qui demande des réponses urgentes. Nous ne sommes plus dans le temps de l'annonce, mais dans le temps de l'action. Mais d'une action cohérente, partagée avec une volonté affichée de redonner de l'équité dans l'accès aux soins sur le territoire."
Yanis Merad, président de l'Association des étudiants en médecine de France "Il faut favoriser une ouverture d'esprit chez les professionnels de santé. Et cela passe par la formation : Il faut que les études de médecine s'ouvrent beaucoup plus largement sur les autres professions de santé. Parce que sans interprofessionnalité dans les études, on ne peut pas travailler ensemble en tant que soignants. A l'hôpital, on a souvent des conflits interprofessionnels, des relations parfois un peu compliquées entre médecins et infirmiers ou autres. L'ouverture, c'est aussi aller au-delà d'un système de santé très procédurier. C'est-à-dire se questionner sur ce que l'on fait. C'est là tout l'apport des sciences humaines et sociales dans la formation. Il faudrait également intégrer les patients eux-mêmes dans la formation des médecins pour qu'ils nous disent quels sont leurs attentes, afin qu'on soit en mesure de mieux y répondre et d'être évalués par eux."
Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes de la CSMF "Il faut trouver des solutions à la problématique de l'accès aux soins qui permettraient de freiner le recours de la population aux services d'urgence. Depuis 50 ans, le médecin généraliste était en première ligne pour tout faire, tout seul, et ce temps- là est terminé. D'abord les besoins de santé ont augmenté et se sont compliqués et il y a un problème démographique, ce qui signifie que l'on doit travailler collectivement, dans un cadre de travail d'équipe de soins primaires mais aussi de deuxième recours. Cela signifie que sur le plan du financement, on doit valoriser les organisations collectives de soins ambulatoires qui vont se mettre en place sur les territoires au-delà de ce qui existe déjà, c’est-à-dire les maisons de santé pluridisciplinaires engagées dans l'ACI (Accord cadre interprofessionnel). Ce financement ne concernerait pas que les médecins sur le territoire, mais aussi d'autres professionnels de santé, ceux qui mettent en place des organisations pouvant prendre en charge les soins non programmés. Je pense bien entendu aux CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé), qui se mettent en place sur le territoire en ambulatoire, c'est un changement radical. Or, aujourd'hui, les financements provenant du FIR (Fond d'intervention régional), sont consacrés à la coordination, et ils ne permettent pas de rémunérer l'infirmière qui va aider à prendre en charge les urgences. Il se profile, d'ici trois ou cinq ans, une convention pour les CPTS comme on a un peu une pour les Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). Or, vu les enjeux et les besoins de la population, cinq ans, c'est trop tard".
Patrick Pelloux, Urgentiste, président de l'AMUF "La mesure principale, c'est la coopération entre les systèmes. Il faut que le système de ville travaille avec le système hospitalier, qu'il y ait une meilleure coopération entre les administrations – en ce qui nous concerne, pour les urgences, avec les sapeurs- pompiers, la médecine de ville et les centres de santé. Pour moi, la coopération entre les systèmes, c'est prioritaire car cela représente la modernité politique. Je suis convaincu que si les systèmes coopèrent, cela générera des économies. Je prends pour exemple le nombre d'examens complémentaires, les consultations abusives aux urgences ou des gens sur consomment le recours direct avec des spécialistes. Certains patients ont des parcours de soins absolument labyrinthiques. Il faut simplifier tout cela. Autre coopération fondamentale, celle entre les établissements hébergeant des personnes âgées et les urgences. La coopération, c'est la mesure principale, le préalable".
Dr Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée "Notre objectif est simple et ambitieux, a expliqué le Dr Lamine Gharbi, le président de la FHP, lors d'une conférence de presse, "garantir l'égal accès aux soins pertinents et de qualité prouvée". Une annonce qui a été formulée dans un contexte nouveau "où tous les partenaires ont laissé derrière eux les luttes catégorielles et sectorielles privé/public pour travailler tous ensemble", croit-il savoir, en écho au credo de la ministre de la Santé. L''hospitalisation privée ne veut pas que l'on sacrifie la T2A, dont Agnès Buzyn veut réduire le volume à 50 % des actes, contre 75 % aujourd'hui pour l'hôpital public. Pour l'hospitalisation privée, ce mode de paiement à l'acte représente 98 % de son financement. "Non, la T2A n'est pas responsable de tous les maux. Etre payé en fonction de son travail, c'est du bon sens et cela évite le pilotage à l'aveugle" souligne le patron des cliniques privées. Sa proposition : maintenir la tarification à l'activité, mais y ajouter un critère de qualité, qui n'existe pas aujourd'hui, car "aucun process ne mesure la qualité médicale dans le parcours du patient". Actuellement, la dotation complémentaire liée au respect des process, dont peut bénéficier l'hospitalisation privée se monte à 0,4 % de l'enveloppe de 15 milliards d'euros. La FHP voudrait qu'elle atteigne 4 %, soit 600 millions, sous forme de bonus, en sus de la tarification. "Nous sommes en sous exécution de l'ONDAM, puisque nous transférons une part importante de la chirurgie en ambulatoire. Nous proposons de convertir cet excédent en un bonus à la pertinence des actes. Nous voulons une séparation des enveloppes entre la ville, l'hospitalisation privée et associative" avance Lamine Gharbi. "Nous proposons une tarification en fonction du service médical rendu et non du coût de production, sur une base de qualité prouvée par la Haute autorité de santé". Le président de la FHP a regretté qu'aujourd'hui, "il faut qu'il y ait un mort pour qu'une maternité ferme", alors que certains établissements classés E (sur une échelle de A à E), continuent de recevoir des patients. Cet article a inialement été publié le 6 juin 2018
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