Agnès Buzyn : "Les pratiques avancées libéreront du temps médical"

21/12/2017 Par Dr Alain Trébucq
Politique de santé

"Augmenter l‘attractivité de la médecine générale est au cœur du plan de renforcement de l’accès territorial aux soins", martèle Agnès Buzyn dont la stratégie nationale de santé a été adoptée ce mercredi. Le virage ambulatoire, la modernisation des soins de ville, l’attractivité de la médecine générale, le travail en équipe et la formation des professionnels, notamment, sont au cœur des réformes voulues par Agnès Buzyn. Dans une interview au Concours médical, la ministe détaille ses ambitions.

  Le « fameux » virage ambulatoire est surtout évoqué pour l’hôpital, vous-même avez fixé des objectifs ambitieux pour les hospitalisations, qu’elles soient pour raison médicale ou chirurgicale. Mais le vrai virage ambulatoire, n’est-ce pas un système de santé recentré sur la médecine de proximité (médecine de ville) qui doit assurer la prise en charge ambulatoire des 16 millions de patients chroniques (dont 10 millions en ALD) ? Agnès Buzyn : Le virage ambulatoire est nécessairement une stratégie globale qui implique tous les secteurs de l’offre de soins. Là comme ailleurs, la politique des silos n’est plus de mise. Ainsi j’ai fixé lors de l’inauguration des entretiens de Bichat l’objectif de 70 % de chirurgie ambulatoire d’ici cinq ans et de développement de la médecine ambulatoire en milieu hospitalier. Atteindre cet objectif nécessite une réorganisation des modes de prises en charge et des rôles au sein des établissements de santé mais aussi une meilleure organisation des transitions et une meilleure structuration des soins de ville pour prendre en charge des patients qui seront moins longtemps hospitalisés. Pour prendre l’exemple de la chirurgie, l’objectif que j’ai fixé passe par le développement de la réadaptation rapide après chirurgie (RRAC) pour des interventions plus complexes que celles aujourd’hui pratiquées en ambulatoire, comme des colectomies ou des prothèses de hanche. Ceci nécessite une prise en charge des patients avant l’intervention en termes de reconditionnement physique, de nutrition, d’éducation ; l’émergence de référents au sein des équipes ; des adaptations des techniques chirurgicales et anesthésiques et aussi une prise en charge précoce et protocolée après la sortie par l’infirmière, le médecin traitant et le masseur-kinésithérapeute ainsi que des moyens de communication simples et sécurisés entre ces acteurs. L’exigence de pertinence pour assurer la soutenabilité de notre système de santé nécessite aussi une meilleure structuration des soins de ville (et pas seulement des médecins) pour assurer dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité le maintien à domicile des patients âgés ou polypathologiques. Le virage ambulatoire suppose donc bien une évolution de tout le système de santé.   A lire également : Médecins, Agnès Buzyn a un message pour vous [VIDEO]   N’avons-nous pas une surcapacité hospitalière ? D’éminents hospitaliers ont récemment évoqué un excédent de 100 000 lits, soit 25 % ! Une solution pourrait être de « transformer du MCO en SSR » en survalorisant le SSR par rapport au MCO, qu’en pensez-vous ?  Je profite de votre question pour saluer avant tout l’excellence de l’hôpital français. Et pour rappeler qu’en matière de « capacitaire », les établissements sont engagés résolument dans le virage ambulatoire  : que ce soit en chirurgie, en médecine et, comme vous le soulignez, en SSR. L’enjeu est avant tout de redéployer les capacités et de changer les pratiques. Concrètement, je pense que nous pourrons atteindre d’ici 2022 l’objectif de 7 patients sur 10 qui entrent le matin à l’hôpital et en sortent le soir après avoir été opérés. Mais il faut toutefois garder la disponibilité et la réactivité nécessaires pour faire face à des pics d’activité, notamment hivernaux. L’hôpital de demain est plus agile, adapté et coordonné aux besoins de la ville. Enfin, l’évolution du capacitaire hospitalier est aussi dépendant des organisations d’amont et d’aval. C’est aussi pour cela que j’ai souhaité que la modernisation des soins de ville soit une priorité de la stratégie nationale de santé qui sera lancée sous l’autorité du Premier ministre lors du prochain comité interministériel pour la santé.   Le futur de la médecine de proximité et donc des soins de premier recours semble devoir reposer avant tout sur des équipes pluriprofessionnelles. Quel regard portez-vous sur ces équipes de soins primaires et quels moyens allez-vous leur consacrer ? ​ Le développement de l’exercice en équipe pluriprofessionnelle est une priorité du plan d’accès aux soins et de la stratégie nationale de santé en cours de consultation publique. Ceci passe par l‘atteinte d’objectifs déjà bien connus comme le doublement des MSP et centres de santé d’ici cinq ans. Mais pour moi l’objectif est aussi d’encourager le développement de tous les modes d’exercice coordonné, et donc aussi des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)* qui visent à associer l’ensemble des professionnels de santé pour répondre aux besoins des patients d’un territoire concernant leurs parcours de santé (dont le maintien à domicile), la continuité des soins, les activités de prévention, les relations entre l’hôpital et la ville… Pour cela, nous allons définir une stratégie globale mobilisant les institutions  de l’État, les collectivités territoriales et les professionnels, au niveau des territoires comme de leurs représentations nationales.  Cette stratégie comprendra nécessairement des mesures de soutien à l’ingénierie des projets et l’augmentation massive du nombre de ces structures bénéficiant de la rémunération d’équipe prévue par l’accord conclu entre les syndicats et la CNAMTS.   Il existe un engouement pour les métiers de la santé mais une fois formés les jeunes médecins semblent très réticents à s’engager dans certaines spécialités, notamment la médecine générale. Comment rendre leur attractivité à ces spécialités qui n’attirent plus les jeunes ?​ Je ne suis pas certaine qu’il faille présenter les choses ainsi… Depuis plusieurs années en effet, le taux de postes de médecine générale proposés aux étudiants entrant à l’internat – et effectivement choisis par eux – n’a cessé d’augmenter : il avoisine aujourd’hui 95 %, ce qui est très positif.  La création en 2017 des DES de gériatrie et de médecine d’urgence, spécialisations accessibles auparavant par le DES de médecine générale, n’a pas entraîné de baisse de ce taux, ce qui dénote une forme d’attractivité solide. Cela ne doit pas néanmoins nous interdire de poursuivre les réflexions engagées pour renforcer l’intérêt et l’attrait de l’exercice dans cette spécialité. Augmenter l‘attractivité de la médecine générale est au cœur du plan de renforcement de l’accès territorial aux soins. Cela passe par une pluralité de mesures, comme la possibilité de diversifier son activité professionnelle entre ville et hôpital, entre réponse aux soins non programmés et prise en charge des malades chroniques, entre soins et prévention…  et aussi par la possibilité d’organiser son projet professionnel de façon diversifiée dans le temps. Cela passe aussi par le renforcement de l’exercice en équipe pluriprofessionnelle, que ce soit au niveau d’une patientèle ou d’un territoire : ceci donne encore plus de sens à l’exercice de la médecine générale en permettant la coopération au quotidien avec d’autres médecins généralistes, des médecins d’autres spécialités, des infirmières, kinés etc. Ces équipes peuvent plus facilement se doter de moyens d’appui administratifs et d’outils informatiques performants, et cela permet à la fois un meilleur confort d’exercice, de réduire le stress et de gérer des projets innovants. Je veux vraiment insister sur cette notion d’équipe où les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer. Cela passe par une diversification des rémunérations, qui ne doivent plus être principalement fondées sur l’acte mais qui doivent faire une place aux forfaits sur un épisode ou sur un parcours de soins. Le nouveau cadre d’expérimentation que la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) met en place dès 2018 nous permettra d’avancer sur ce point.
  Ce travail en équipe ne doit-il pas être préparé dès les études médicales ? Soulignant qu’on ne travaille bien ensemble que si l’on a été formé ensemble, le Pr JeanLuc Dubois-Randé proposait « un corpus commun dans la formation aux métiers de la santé, avec les étudiants sur le même banc et partageant la même cafétéria » .  Nos professionnels de santé sont aujourd’hui bien formés. Leurs maquettes de formation sont régulièrement actualisées pour s’adapter à l’évolution des techniques ou des modalités de prise en charge des patients. Mais il est vrai qu’il doit être possible – et même souhaitable, probablement – d’apporter un certain nombre d’inflexions pour rendre ces formations les plus adaptées possible aux futures modalités d’exercice des professionnels. C’est le cas en particulier du travail en équipe pluriprofessionnelle. Les différents stages réalisés doivent constituer des moments importants de cette initiative du travail en équipe. Mais c’est tout autant le cas pour les enseignements théoriques en ce qui concerne l’apprentissage en commun. Ce n’est évidemment pas possible pour toutes les filières et pour toutes les unités d’enseignement. Mais il est très important qu’à chaque fois que ces décloisonnements apparaissent possibles ils soient envisagés et mis en œuvre. À cet égard, le service sanitaire qui permettra d’intégrer la pratique de la prévention dans les parcours d’études concernera tous les étudiants en santé.   La dernière édition de l’atlas démographique du CNOM fait état d’une diminution de 25 % du nombre de généralistes sur la période 2007-2025. Comment faire face ? Par le développement des pratiques avancées permettant de « libérer du temps médical » ?  Il n’y aura à l’évidence pas de solution unique pour nous permettre de traverser cette période délicate. Depuis plusieurs années – et cette année encore – une attention particulière a été apportée au nombre de postes offerts en médecine générale à l’entrée de l’internat. Avec l’achèvement de la filiarisation – et la création des DES de gériatrie et de médecine d’urgence que j’ai évoqués – nous savons par ailleurs que les internes qui sortiront du 3e cycle en 2020 exerceront effectivement la médecine générale et ne se réorienteront pas vers d’autres spécialités. Diverses mesures présentées dans le cadre du plan d’accès aux soins que le Premier ministre a annoncé le 13 octobre visent enfin à utiliser au mieux le temps médical : celui-ci sera d’autant plus précieux que la situation sera tendue sur le plan démographique. Dans ce contexte, les pratiques avancées, notamment la pratique avancée infirmière, représentent une démarche porteuse d’un important potentiel, pour «  libérer du temps médical » comme vous le dites. Mais également pour améliorer la prise en charge des patients comme pour offrir de nouvelles perspectives d’évolution de carrière à certains infirmiers.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour favoriser le développement de la télémédecine, notamment les téléconsultations, la télésurveillance… ? Ne faudrait-il pas faire de ces nouveaux moyens des leviers pour développer la forfaitisation de la prise en charge de patients chroniques ? Comme vous avez pu le noter, le PLFSS pour 2018 comporte une avancée capitale pour lever le frein majeur au développement de la télémédecine, en intégrant son financement dans un cadre de droit commun pour la généraliser et en confiant aux partenaires conventionnels le soin de fixer les tarifs et les modalités de réalisation des actes. Les négociations concerneront dans un premier temps la téléconsultation et la télé-expertise et, dans un second temps, la télésurveillance dont il faut prendre en compte les spécificités. En effet, la télésurveillance suppose que plusieurs types d’acteurs se coordonnent autour du patient : que ce soit pour effectuer la télésurveillance médicale, pour fournir la solution technique, pour assurer l’accompagnement thérapeutique... La télésurveillance est plus complexe à définir et nécessite de fait un temps d’appropriation et de développement plus long par rapport à la téléconsultation et à la télé-expertise. Aussi, le cadre expérimental est-il maintenu à ce stade. La définition des modalités de financement – acte versus forfaitisation – appartiendra aux partenaires conventionnels. Pour mémoire, la télésurveillance bénéficie d’ores et déjà d’un financement forfaitaire. J’ajoute que grâce au plan territorial d’accès aux soins, des crédits permettront de financer l’équipement et l’accompagnement des patients dans le cadre des téléconsultations. Autre enjeu essentiel pour le développement optimal de la télémédecine : celui de la nécessaire adaptation des formations des professionnels de santé.   Les épreuves classantes nationales (ECN) sont fortement décriées. Quelles sont vos réflexions à leur sujet, par quoi les remplacer ? Je souhaiterais que nous puissions aborder cette question de manière sereine et responsable. Elle est complexe et essentielle dans la mesure où elle engage à la fois le processus de préparation des étudiants devant leur 2e cycle et celui de répartition par spécialité et par subdivision pour le suivi du 3e cycle. Nous nous trouvons face à un paradoxe : les ECNi ont été une réelle réussite. Malheureusement, les incidents inacceptables qui les ont émaillées ont profondément – et très légitimement – suscité la colère des étudiants. Ils réinterrogent également sur la pertinence de ce mode de sélection pour l’entrée dans le 3e cycle. La mission sur le 2e cycle confiée au président de la conférence des directeurs d’UFR et à un représentant de l’ANEMF fera des propositions sur le sujet. Je les examinerai avec attention, animée du souci de maintenir le meilleur équilibre entre la qualité de la formation reçue, les conditions d’apprentissage pour les étudiants et la préservation des modalités de régulation répondant aux besoins du système de santé.    Cet entretien a initialement été publié dans le numéro de décembre du Concours médical, appartenant au même groupe qu'Egora.

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