Devenu député, l'unique médecin déplaque : le maire en appelle à Buzyn

20/12/2017 Par Aveline Marques

Depuis l'élection du Dr Marc Delatte en juin dernier, il n'y a plus de médecin généraliste à Cuffies (Aisne). Les maires du coin se démènent pour attirer l'attention de la ministre de la Santé sur la dégradation de l'offre médicale dans le Soissonnais. Dans une lettre-pétition, ils demandent à pouvoir bénéficier des aides à l'installation et sollicitent l'intervention d'Agnès Buzyn en faveur d'un médecin tunisien qui souhaite reprendre le cabinet vacant, sans avoir à passer par la case hôpital.

  A Cuffies, le 18 juin 2017 est marqué d'une pierre blanche. C'est le jour où l'un des 1 800 habitants de la commune, le Dr Marc Delatte, a été élu député LREM. Et le jour où cette petite ville limitrophe de Soissons a perdu son dernier généraliste. Le médecin candidat avait pourtant tout prévu : s'il était élu, il continuerait à exercer une demi-journée par semaine… "à la condition sine qua non" que son remplaçant, passé associé, prenne le relais. Mais "deux jours avant, il s'est rétracté pour aller s'installer en Corse. En plein mois de juillet, il était très difficile de se retourner", se désole le nouveau député, qui a dû se résoudre à fermer son cabinet, après 25 ans de bons et loyaux services. "C'est la pression mise par le président sur les députés venus de la société civile", commente le maire de Cuffies, Jean-Pierre Corneille.  

1200 à 1300 patients orphelins

  "60 coups de fil" plus tard, le cabinet de Marc Delatte reste désespérément vide. "J'ai fait en sorte de trouver un médecin traitant à mes patients les plus fragiles, mais je n'ai pas pu le faire pour l'ensemble de ma patientèle", déplore le député. La grande majorité de ses 1200 à 1300 patients se sont donc retrouvés orphelins, deux ans après avoir perdu une première généraliste, partie à la retraite sans être remplacée. Dans le Soissonais, sur les 40 généralistes en exercice, trois auront raccroché au 1er janvier et 11 autres envisagent de s'arrêter à l'horizon 2018-2019. Effrayés par cette sombre perspective, les maires de Cuffies et des 15 villages voisins sans médecin, rassemblant 6 000 habitants, ont décidé de s'en remettre à la "haute bienveillance" de la ministre de la Santé. Dans une lettre-pétition envoyée la semaine dernière à Agnès Buzyn, ils déplorent la désertification médicale de l'Aisne (le nombre de généralistes en activité régulière y a chuté de 18.1% entre 2007 et 2014, soit "la 2ème plus forte baisse dans notre pays") et réclament "des mesures incitatives suffisamment énergiques pour réduire le déséquilibre de la densité médicale entre les régions", rejoignant "en ce sens le récent rapport de la Cour des comptes".  

"La contrainte à la non installation ailleurs"

 

Pour le maire de Cuffies, il ne s'agit pas de prôner la contrainte à l'installation, mais "l'incitation à l'installation… ou la contrainte à la non installation ailleurs". "Pour 20 nouveaux médecins installés dans l'Aisne en 2016, il y en a 160 dans les Alpes-Maritimes, expose Jean-Pierre Corneille. Je comprends que la Méditerranée attire plus que le Soissonais, on n'a pas la mer et le soleil… mais du point de vue de la patientèle, je ne suis pas sûr qu'il y ait besoin d'autant de médecins. Dans le Soissonais, on est rendu à 1500 patients par médecin." Située dans un secteur péri-urbain, séparée de Soissons par la rivière, Cuffies n'est pas une ville morte, insiste son maire : avec ses antennes de l'IUT d'Amiens et de Staps, elle accueille chaque jour 700 étudiants. Si les jeunes médecins diplômés boudent la commune, c'est parce qu'elle n'est pas éligible aux aides à l'installation, juge l'édile. Les maires du coin, appuyés par Marc Delatte, espèrent donc que Cuffies fera partie des "territoires vie-santé" qui se partageront 200 millions d'euros d'aides conventionnelles sur 5 ans. "On attend la publication du zonage, précise le député. J'ai écrit une lettre à la ministre pour nous porter candidat." En attendant, un médecin tunisien s'est porté volontaire pour s'installer à Cuffies. Agé de 56 ans, généraliste dans "les quartiers huppés" de Tunis, médecin référent du lycée français, expert devant les tribunaux, il souhaite se rapprocher de son fils, étudiant à Paris-Dauphine. "Nous sommes en contact quasi quotidien avec lui", rapporte le maire, Jean-Pierre Corneille, emballé par cette candidature "spontanée" d'un médecin "francophile", qui n'a même pas demandé à bénéficier d'un avantage financier. Problème : diplômé d'un pays hors Union européenne, le Dr Agha doit en passer par la procédure d'autorisation individuelle d'exercice du Centre national de gestion. S'il comprend la nécessité de vérifier ses compétences et de se former sur le plan administratif, le généraliste tunisien ne conçoit pas d'exercer 3 ans à l'hôpital, payé comme un interne alors qu'il a 25 ans de métier et gagne actuellement "très bien sa vie", avant de pouvoir enfin s'installer et faire venir en France son épouse, médecin du sport. Les maires de Cuffies et alentours comptent donc sur la ministre pour obtenir une dérogation.  

Une "agitation médiatique délétère"

 

Une requête qui embarrasse Marc Delatte. "On ne peut pas créer une jurisprudence pour Cuffies", lance le nouveau député. Bien qu'il se soit empressé de signer la pétition pour manifester son soutien à la population, le parlementaire prend ses distances avec les élus locaux, déplorant une "agitation médiatique" qu'il juge "délétère". Tout comme la coercition à l'installation. "Il y a 4 ans, quand j'étais conseiller municipal dans l'opposition, j'avais signalé lors d'un conseil qu'on allait manquer de médecins dans notre territoire. Je me suis entendu répondre que ce n'était ni dans la compétence de la mairie, ni dans celle de l'intercommunalité", se souvient-il, amer, regrettant que l'on "stigmatise" aujourd'hui le médecin devenu député. "Je suis toujours dans un esprit de service", souligne-t-il. En ordre de marche derrière le gouvernement, Marc Delatte approuve toutes les mesures du plan Buzyn : doubler le nombre de maisons de santé, mettre en place des consultations avancées, favoriser fiscalement l'exercice des médecins retraités, développer les stages en ambulatoire et la télémédecine… Le député milite également pour que l'hôpital de Soissons puisse accueillir des internes de la faculté de médecine la plus proche, mais située dans la région voisine, Reims. Car quand l'hôpital de Saint-Quentin reçoit 40 à 50 internes de la fac d'Amiens, ils se sont que 7 ou 8 à s'aventurer jusqu'à Soissons. Une "barrière administrative" qui n'encourage pas les futures installations. "Je me battrai", conclut le médecin député.

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