Médecin généraliste à Paris, le Dr Sauveur Boukris appelle à la révolte des patients. Son dernier ouvrage, Libérez le médecin qui est en vous (Ed. du Cherche Midi), leur montre comment résister aux "diktats médicaux". Car la médecine, de plus en plus normative, a oublié le malade pour ne plus se concentrer que sur la maladie. Extraits.
Lire l'interview du Dr Boukris : Face à un médecin tyran, refusez de payer : le mot d'ordre d'un MG Si les recommandations par définition ne sont pas des obligations, beaucoup de médecins suivent presque aveuglément ces règles de conduite dans de nombreux domaines (cardiologie, diabétologie, neurologie, etc.). La médecine, sous le coup de la tyrannie des statistiques et des données, impose et s’impose des cadres et des limites stricts. A priori, le mal dont vous êtes atteint est parfaitement décrit dans la littérature scientifique (diabète, hypertension, asthme, dépression, etc.). Toutes les données et l’ensemble des chiffres sont là. Prenons quelques exemples : selon la Haute Autorité de santé, dans sa synthèse de recommandations professionnelles, l’hypertension artérielle est définie de façon consensuelle par une tension artérielle dépassant 140 millimètres de mercure et/ou une pression diastolique supérieure à 90 millimètres de mercure mesurée au cabinet médical et confirmée au minimum par deux mesures par consultation au cours de trois consultations successives sur une période de trois à six mois. Statistiques collectives De même, la Haute Autorité de santé rappelle que le diabète de type 2 est défini par une glycémie supérieure à 1,26 gramme/litre après un jeûne de huit heures, vérifiée deux fois, ou la présence de symptômes de diabète (par exemple des douleurs dans les jambes, une baisse de l’acuité visuelle, des troubles de l’érection, un infarctus, etc.), associés à une glycémie supérieure ou égale à 2 grammes/litre deux heures après une charge orale de 75 grammes de glucose. L’explication de ce phénomène, en croissance exponentielle, est à chercher dans son origine : l’épidémiologie. Cette science de base de la santé publique a bouleversé la façon d’exercer la médecine. À quoi sert-elle ? Prévoir pour prévenir, et, par conséquent, agir. Il s’agit donc de déterminer les facteurs de risque au niveau individuel ainsi que les facteurs comportementaux, c’est-a‑dire les conduites.. dites à risque, sans chercher la cause. À la base, le but est simple : éradiquer les risques de santé publique pour vous conduire à une santé parfaite. C’est là que, vous aussi, vous tombez sous la coupe de ces normes. En effet, qui dit prévention dit conduite personnelle à modifier. Vous êtes ainsi apparemment promu acteur de votre propre santé, ce qui a priori est une bonne chose. Cependant, loin de vous faire confiance, la médecine se prévaut de statistiques collectives et les applique telles quelles à chaque patient. Des statistiques uniques pour des patients différents Les chiffres semblent si sérieux et si fiables qu’ils deviennent paroles d’évangile… Ainsi, le développement de ces normes, de ces recommandations, de ces barèmes et autres cadres stricts a enfermé le corps médical dans un mode de pensée rigide et rend tous les malades identiques, quel que soit leur âge, leur situation professionnelle, leur nationalité, leur profil génétique, leur cadre de vie. Vous êtes, d’après ces données, la copie conforme de votre voisin. Ah tiens ! Mais où est passée la réflexion ? Tout se passe comme si les professionnels de santé, envahis par les prophètes de la pensée unique, devaient agir par réflexe. Surenchère de malades potentiels En quelques années, les critères de définition du diabète, de l’hypertension artérielle et du cholestérol (trois maladies chroniques à l’origine d’importantes consommations médicales : médicaments et examens complémentaires), ainsi que l’indice de masse corporelle (IMC) ont été revus à la baisse. Dans les années 1960, la pression artérielle systolique (le premier chiffre de la tension artérielle) était considérée comme normale jusqu’à 160 millimètres de mercure. À la fin des années 1990, le seuil de 95 millimètres de mercure pour la pression artérielle diastolique (le second chiffre de la tension artérielle) était devenu consensuel. Dès 1999, les experts ont proposé de faire baisser le seuil à 140/90 millimètres de mercure, sur la base des données épidémiologiques. Conséquence mécanique: l’augmentation considérable du nombre de patients considérés comme hypertendus et donc prenant des antihypertenseurs. Ces « nouveaux malades » ont alors été étiquetés comme des personnes à risque. Jusqu’en mai 2003, la tension artérielle normale était de 120 à 139/80 à 90. À partir de 2004, ces valeurs ont été considérées comme « préhypertensives ». Ces chiffres sont censés rectifier la prise en charge, c’est-a‑dire une surveillance accrue et des contrôles médicaux répétés qui risquent de faire monter votre tension artérielle ! Le cas du diabète De même, dans la définition du diabète, jusqu’en l’an 2000, le seuil de glycémie était de 1,4 gramme/litre. Mais depuis 2000, entre 1,1 et 1,26 gramme/litre, vous êtes au stade du « prédiabète », et à partir de 1,26 gramme/litre, vous êtes considéré comme diabétique. La limite n’a pas été choisie au hasard. L’analyse des différentes enquêtes scientifiques montre que, au-delà de 1,26 gramme/litre, les complications vasculaires et neurologiques de la maladie sont nettement plus fréquentes. Cependant, cette nouvelle définition du diabète n’est pas sans conséquence : en effet, ce changement de critères s’accompagne d’une augmentation du nombre de diabétiques d’environ 20 %. Si l’on pratiquait un dépistage systématique du diabète chez toutes les personnes âgées entre 45 et 65 ans, l’augmentation serait de 60 %. Le cas de l’IMC Considérons à présent l’IMC. Il s’agit d’une mesure du poids par rapport à la taille pour déterminer si une personne est en surpoids ou obèse. Il correspond au poids divisé par le carré de la taille. Selon l’OMS il y a un surpoids lorsque l’IMC est égal ou supérieur à 25 et obésité si l’IMC est supérieur ou égal à 30. L’échelle est la même quel que soit le sexe ou l’âge de la personne. Mais cette donnée est approximative car ce calcul ne fait pas la différence entre la graisse et le muscle. De plus, elle n’a pas la même validité chez un sportif et chez un non-sportif. À partir de ces normes chiffrées, on comptabilise le nombre d’obèses dans le monde, plus de 600 millions, et de personnes en surpoids, près de 2 milliards en surpoids. Le cas du cholestérol Enfin dans le cas du cholestérol aussi, les seuils de normalité ont été baissés. Jusqu’en juin 2003, la valeur des triglycérides était considérée comme normale en dessous de 2,3 millimoles/litre, mais, à partir de juillet 2003, ce seuil a été abaissé à 1,7 millimole/litre. De même, un traitement était instauré lorsque le mauvais cholestérol (le cholestérol LDL) était supérieur à 3 millimoles/litre. À partir de juillet 2013, le seuil a été abaissé à 2,6 millimoles/litre. Chaque baisse du seuil fait croître le nombre de malades potentiels à prendre en charge. Ne subissez plus les diktats médicaux À qui profitent ces normes ? En principe et en théorie à vous, le patient, qui, du point de vue statistique, devenez moins exposé aux risques, par exemple de complications cardio-vasculaires. Je dis bien « en principe», car les médecins connaissent tous des exemples qui contredisent cette idée. Comme la plupart de mes collègues, j’ai connu des patients on contrôlait régulièrement la tension artérielle et la glycémie, qui suivaient assidûment leur traitement et qui pourtant ont subi un accident vasculaire. Que s’est-il passé ? Était-ce l’effet du stress ? D’un effort démesuré ? Nous ne le saurons jamais. On ne peut qu’émettre des hypothèses et analyser le phénomène a posteriori. Ces normes profitent aussi aux professionnels de santé en termes de contrôle de leurs malades, car ce type de pathologie suppose que vous suiviez un traitement à vie. Devenir diabétique, avoir du cholestérol, être hypertendu, cela signifie être sous contrôle médical jusqu’à la fin de ses jours et passer régulièrement des visites médicales pendant des décennies. Un autre des grands gagnants de ces nouvelles normes, ce sont les laboratoires pharmaceutiques, qui ont convaincu les médecins que lower is better : plus c’est bas, mieux c’est. Ils se sont engouffrés dans cette brèche pour abaisser les seuils et proposer toujours plus de médicaments, dont certains entraînent des effets indésirables. Or les firmes pharmaceutiques sont des multinationales dont l’objectif numéro un est de vendre toujours plus et donc d’accroître le nombre des consommateurs (c’est-a‑dire des malades). Les nouvelles normes revues à la baisse entraînent automatiquement une forte augmentation du nombre de médicaments absorbés.
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