Dengue Zika, Chikungunya : se préparer à une augmentation des cas

07/04/2023 Par Marielle Ammouche
Infectiologie
Le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) souhaite améliorer la lutte contre ces arboviroses qui sont de plus en plus fréquentes en métropole et dans les territoires ultramarins. Il convient d’anticiper les risques d’épidémies notamment en vue des grandes manifestations internationales telles que la coupe du monde de rugby ou les Jeux olympique de 2024. La surveillance, la recherche et les moyens de lutte contre les moustiques tigres doivent, en particulier, être développés.

  Le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) a rendu, début avril, aux autorités un avis sur les risques sanitaires émergents parmi les Maladies à Transmission Vectorielles (MTV), au premier rang desquelles les scientifiques ont placé les virus de la dengue, de Zika et du Chikungunya. Ces arboviroses, transmises par les moustiques Aedes (albopictus et aegyptii), constituent déjà une menace endémique pour la santé publique dans les territoires ultra marins tropicaux. Cependant, en raison du changement climatique - mais pas seulement – il y a des cas importés en métropole par des voyageurs, ainsi que des cas autochtones. "Nous anticipons qu’avec le changement et le réchauffement climatique, ce risque pour la métropole va augmenter, affirme la Pre Brigitte Autran, immunologiste et présidente du Covars, ainsi que dans les territoires intertropicaux. Et nous insistons, ce ne sont pas uniquement les changements climatiques qui peuvent provoquer des épidémies de ces maladies, mais aussi des voyages, des transferts de population, des migrations qui sont l’occasion de transmission de ces maladies." "On n’est pas dans un scénario catastrophe" et "il y a peu de risque d’endémie en métropole du fait de l’existence d’une période hivernale". Mais, depuis quelques années, on constate une augmentation du risque. Il faut "prendre ce risque au sérieux et s’organiser pour le gérer et mieux le prévenir par des campagnes de prévention ou une meilleure organisation des acteurs". "Nous recommandons, en particulier, de faire entrer ces maladies dans le plan de préparation aux pandémies de l’Etat français", ajoute la Pre Autran.   Une menace endémique dans les territoires ultra-marins La dengue est particulièrement présente dans les territoires ultra-marins, ou la circulation y est endémo-épidémique. Plus de 90% de la population en Guadeloupe et en Martinique a déjà rencontré le virus, 70% en Guyane, 85% en polynésie française, rappelle ainsi le Pr Xavier de Lamballerie, virologue (Marseille, centre nationale de référence des arboviroses). La circulation à la Réunion est plus récente ; mais depuis 2019, elle est devenue aussi endémo-épidémique. Il existe des formes graves et des décès. Dans ces territoires aussi, "la circulation ne va pas s’arrêter, et peut s’amplifier dans le futur", présage le spécialiste. En métropole, il s’agit surtout de cas d’importation : 272 cas de dengue importés ont été dénombrés en 2022 et quelques dizaines de chikungunya. Mais on a aussi une augmentation des cas autochtones transmis par Aedes albopictus : 65 en 2022 (12 de zika), en Paca, Occitanie et Corse. Cela représente "un signal inquiétant et qui doit nous amener à nous préparer à un scénario de multiples foyers métropolitains, et à un renforcement possible de ces cas autochtones". Zika a circulé largement en polynésie française et dans le territoires français des Amériques, touchant 20 à 40% de la population avec parfois des formes graves (Guillain-Barré, troubles du dévelopement fœtal, …). L’immunité obtenue baisse avec le temps et fait craindre de nouvelles épidémies. Pour le Chikungunya, la situation est à peu près similaire à Zika. En métropole, on a observé, là aussi, des cas d’importation. Et il y aussi eu des cas de transmission par Aedes albopictus. En outre ces maladies sont loin d’être anodines, a insisté le Pr André Cabié (CHU de Martinique). Il existe des formes graves avec un risque de décès. Parmi les facteurs de risque, il y a en particulier la drépanocytose, fréquente aux Antilles et en Guyane, mais aussi les maladies chroniques (diabète, obésité, HTA). Et si ces territoires sont habitués aux épidémies, que la prise en charge est stéréotypée, et que les médecins sont bien formés, ces épidémies font courir le risque de saturation des services d’urgences et hospitaliers.   Peu de traitement en préventif ou en curatif On ne dispose pas de traitement antiviral spécifique. Le traitement reste symptomatique, insistant, en particulier, sur la réhydratation. Pour la dengue des antiviraux sont en cours de développement, à la fois en préventif et en curatif. Pour Zika et le chikungunya, aussi. Mais pour l’instant "on est plutôt démunis", considère le Pr Cabié. Il faut renforcer la formation continue et l’information sur ces pathologies, insiste-t-il. On dispose actuellement de 2 vaccins contre la dengue. La difficulté est qu’il y a 4 sérotypes de virus. Dengvaxia, un vaccin vivant atténué, a une efficacité de 60% pour prévenir les formes symptomatiques et de 80% contre les formes graves. Il est utilisable à partir de 9 ans et jusqu’à 45 ans, mais il faut faire la preuve qu’on a déjà eu la dengue avant pour l’utiliser. Donc il est peu prescrit en pratique. Qdenga, un autre vaccin vivant atténué a obtenu fin 2022 son autorisation de mise sur le maché (AMM). Il est autorisé à partir de 4 ans. On est en attente des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour son utilisation. "Aucun des deux n’est parfaits", affirme le spécialiste ; l’un étant plutôt actif sur 2 sérotypes, l’autre sur les 2 autres. Pour Chikungunya, et Zika, il y a des développements de vaccins en cours. Le Covars recommande donc d’actualiser la stratégie vaccinale actuelle et de développer les recherches sur ces vaccins.   Affiner la lutte contre les moustiques Comme le souligne le Pr Didier Fontenille, entomologiste, "le monde change, les virus et les moustiques aussi", et l’expansion du moustique tigre dans l’héxagone est "inéluctable". Depuis 2010, le nombre de départements métropolitains colonisés par cette espèce a été multiplié par 10. "Bientôt toute la France métropolitaine sera touchée, assure le spécialiste. Et Aedes aegypti qui est très bien établi dans les territoires ultra-marins, est devenu résistant aux insecticides. Donc voilà deux très mauvaises nouvelles". Les stratégies de lutte actuelles visent les larves qui vivent dans l’eau ; et la lutte contre les moustiques adultes lorsqu’il y a des cas, à l’aide des insecticides. Cependant, pour des raisons environnementales, de santé publique, et de résistance, "on s’achemine vers la fin des insecticides en France". Le Covars souhaite développer les recherches pour trouver des techniques alternatives (stérilité, pièges, répulsifs, ...). Il faut aussi renforcer le dialogue et le partage d’expériences entre les parties prenantes. Le Covars recommande de créer un Centre Technique Interprofessionnel (CTI) en France, qui a, à terme a l’ambition d’être élargi au niveau européen. Il faut aussi améliorer les systèmes de remontées d’information. En outre, en cas d’emballement des cas, il faudra mettre en place un plan Orsec, sur lequel travaillent les agences régionales de Santé (ARS), qu’il faudra tester en conditions réelles, en particulier en ayant en perspective les gros événements internationaux qui vont arriver en 2024, tels que la coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques.  

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