
"Seules 2,5% des femmes ont pris un traitement hormonal" : comment Stéphanie Rist veut améliorer la prise en charge de la ménopause
"À l'exception des gynécologues médicaux et des médecins généralistes spécifiquement formés, très peu de professionnels sont convenablement informés aux différentes recommandations sur la prise en charge de la ménopause", relève un rapport conduit par Stéphanie Rist, et qui a été remis ce mercredi 9 avril au Gouvernement. En résulte que seules 2,5% de femmes se sont vu prescrire un traitement hormonal l'an dernier. Pour que cette "étape" clé de la vie ne soit plus un "parcours du combattant", aux conséquences délétères sur le quotidien et le travail, la députée formule 25 recommandations qu'Egora a passées au crible.

"Quand j'ai accepté cette mission, j'avais une vision très médicale [de la ménopause] en tant que rhumatologue, et une vision très personnelle en tant que femme de 52 ans, mais [je n'avais] pas conscience d'à quel point les femmes se sentaient marginalisées, invisibilisées", a déclaré Stéphanie Rist, ce mercredi midi, lors de la remise de son rapport sur le sujet au Gouvernement. Un document de plus de 500 pages qui "pose les bases pour ne plus demander aux femmes de 'faire avec'". "C'est un commencement, il va falloir une volonté politique, et une volonté de tous. Il ne tient qu'à nous de sortir de ce tabou", a poursuivi la députée Ensemble pour la République, en l'absence des ministres de la Santé Catherine Vautrin et Yannick Neuder, tous deux retenus par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale sur les soins palliatifs et la fin de vie.
Six mois après s'être vu confier cette mission, conformément à l'engagement pris par le Président de la République quelques mois plus tôt, la députée du Loiret a présenté à un parterre de journalistes, de professionnels de santé et d'acteurs du monde associatif, les grands axes de son rapport, et les 25 recommandations "pragmatiques, chiffrées, et applicables dans un horizon de deux ans" qui en découlent. Le premier axe s'attaque au "déficit d'information et d'écoute" de ces 17,2 millions de femmes concernées en France. "Aujourd'hui, la ménopause n'est pas une maladie ["pas plus qu'un enjeu purement gynécologique", stipule le rapport], mais 90% des femmes ont des symptômes. Des pathologies peuvent en découler [ostéoporose, risques cardiovasculaires, cognitifs...]. Beaucoup se sentent peu écoutées, leurs symptômes négligés par leur entourage ou même parfois par les professionnels de santé", a déploré Stéphanie Rist.
La députée a recueilli pas moins de 1300 paroles de femmes qui ont témoigné de leur vécu de la ménopause – médicalement définie comme "la fin de l'activité ovarienne et l'arrêt des cycles menstruels" – ou de l'image qu'elles en ont.
"50% des femmes trouvent le sujet anxieux et ne souhaitent pas en parler à leur conjoint", a indiqué Stéphanie Rist, alors qu'il s'agit d'une "étape" importante, touchant aussi bien leur vie professionnelle que conjugale. Et de préciser : si elles sont "souvent seules" face à un "océan d'informations parfois contradictoires", elles ont aussi, "pour la plupart des femmes rencontrées", "connu l'errance diagnostique pendant trop longtemps".
Par les recommandations proposées au Gouvernement, le rapport préconise d'offrir aux femmes des informations fiables sur les symptômes de la ménopause par la biais de sites internet publics (Assurance maladie…), d'engager dans la communication publique une "vision moins anxiogène" de la ménopause "en luttant contre les stéréotypes et en combattant l'idée que la ménopause est nécessairement une période de déclin ou de crise", mais aussi d'informer "dès le collège" sur les différentes phases de vie des femmes et des hommes, "en intégrant le vieillissement hormonal". "On a tout un changement culturel à faire dans notre société", a soutenu Stéphanie Rist.
Le rapport préconise également de déployer des ressources documentaires dans les cabinets médicaux et les pharmacies, et de s'appuyer sur "des influenceurs certifiés" pour parler de ce sujet. Il propose, en outre, au Planning familial – présent ce mercredi à la remise du rapport – d'élargir ses compétences à l'âge de la ménopause, comme ce qu'a initié le Planning familial de Côte d'Or et qu'"il faut accompagner".
La mi-vie des femmes est quasi absente des plans de santé publique
Le deuxième axe de ce rapport est consacré à l'accompagnement et à la prise en charge sanitaire de la ménopause, aujourd'hui "lacunaire". "La mi-vie des femmes est quasi absente des plans de santé publique", observe ainsi Stéphanie Rist. Il y a, en outre, des "inégalités" et "des difficultés" dans le parcours de soins des femmes qui s'apparente bien souvent à un "parcours du combattant". "Le fait que cette phase de la vie des femmes soit associée à des représentations négatives dans la société, contrairement à la naissance d'un enfant, explique peut-être le retard pris en France dans la prise en charge médicale des femmes qui en ont besoin pendant la ménopause", avance le rapport. Le document soulève que 27,4% des femmes qui ont témoigné "expriment un mécontentement à l'égard du professionnel de santé qui les a prises en charge pour leur ménopause" : "par manque d'écoute, d'information, de repérage des symptômes ou de capacité à apporter une réponse médicale."
Seules 2,5% des femmes (de 45 ans et plus) ont ainsi pris un traitement hormonal de la ménopause (THM) en 2024, "très loin des 6% qu'on nous annonce habituellement"*, ajoute Stéphanie Rist. Et ce, alors même que "20 à 25% des femmes souffrent de troubles sévères qui affectent leur qualité de vie". Ce THM "reste un sujet très controversé parmi les femmes, mal informées entre les avis divergents des professionnels de santé", analyse la mission. Les patientes sont encore "trop souvent orientées vers des thérapeutiques très onéreuses et ne faisant l'objet d’aucune étude scientifique favorable". "Beaucoup de témoignages nous rapportent que les opinions souvent dominent les preuves scientifiques", a regretté Stéphanie Rist. "Il faut dépasser le débat 'pro' ou 'anti' hormones en établissant des recommandations claires et en s'appuyant sur l’ensemble des thérapeutiques reconnues comme efficaces", insiste ainsi le rapport parlementaire. Elles feront l'objet de recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) "d'ici mi-2026", a précisé à l'AFP son président, le Pr Lionel Collet.
Sur la base de ces recommandations (qui ne devront pas porter que sur les traitements hormonaux mais également aborder les compléments alimentaires et dispositifs médicaux), il conviendra de renforcer l'information, la formation initiale et continue des professionnels de santé, et notamment des médecins traitants – "qui [sont] au centre de la prise en charge quels que soient les sujets de santé", précise Stéphanie Rist –, sur la ménopause. La mission préconise par exemple d'intégrer la ménopause aux prochaines orientations de DPC et de renforcer les capacités du DU ménopause de l’université Paris-Cité. A ce jour, "à l'exception des gynécologues médicaux et de médecins généralistes spécifiquement formés, très peu de professionnels sont convenablement informés aux différentes recommandations sur la prise en charge – médicamenteuse ou non – de la ménopause", notent les parlementaires.
Autoriser les sages-femmes à prescrire le traitement hormonal
Le rapport observe, par ailleurs, de "fortes inégalités territoriales et sociales" de prise en charge de la ménopause. "Ainsi constate-t-on que la prescription du THM est bien plus forte dans les départements les plus riches", et dans les départements les mieux dotés en gynécologues. En moyenne, les femmes qui ont acheté un THM en 2024 avaient 53,5 ans au moment de la primo-délivrance ; plus de la moitié des traitements étaient initiés par les gynécologues (57% des primo-délivrances) suivis par les généralistes (34% des primo-délivrances). Si l'on tient compte également des renouvellements, les généralistes représentaient près de 68% des prescripteurs en 2024. Toutefois, "face à la démographie médicale des gynécologues médicaux et aux inégalités territoriales d'accès à un médecin de manière générale", "le bon sens amène à s'appuyer également sur les sages-femmes, dont la répartition sur le territoire est plus favorable", soutient le rapport.
C'est pourquoi la mission se dit favorable à ce que les sages-femmes puissent prescrire le THM "pour les cas non complexes", et "sous condition de formation spécifique". "Cette prescription devrait intervenir après réalisation d'un bilan, et en réorientant vers un médecin lorsque des facteurs de risques sont repérés", précise-t-on. Elle suggère également d'étudier la possibilité pour les kinésithérapeutes de prescrire des traitements locaux non hormonaux, ainsi que la faisabilité d'un remboursement d'une consultation unique chez le diététicien au moment de la ménopause. Des évolutions qui serviront l'objectif que le rapport défend de proposer "à chaque femme", et à partir de 45 ans, "un parcours individualisé de la ménopause (le PIM)", qui soit "pluridisciplinaire".
La mission parlementaire appelle, en outre, à se saisir de l'opportunité de la création de "Mon bilan prévention" à 45 ans pour l'enrichir des enjeux liés à la ménopause. Les parlementaires proposent également d'organiser des Assises de la ménopause afin de réunir l'ensemble des parties prenantes (professionnels, femmes, entreprises…) autour d'une Stratégie nationale de la ménopause. Celles-ci pourraient avoir lieu dès l'automne prochain.
Autre mesure défendue par les parlementaires ayant travaillé sur ce document : la création d'une consultation longue qui permettrait de réaliser un "bilan médical à 360° au moment de la ménopause", en complément du premier repérage réalisé dans le cadre du Bilan prévention. Annoncée par le Président de la République en mai 2024, elle doit désormais être discutée à l'occasion de la négociation du prochain avenant à la convention médicale entre les médecins libéraux et l'Assurance maladie, insiste la mission, fixant le calendrier à l'été 2026. Cette consultation longue devra être réalisée par un généraliste, un gynécologue ou une sage-femme formé à la ménopause. Grâce à ce temps dédié, la patiente "pourra anticiper ses risques cardiovasculaires et de fracture liée à l'ostéoporose par exemple", a indiqué Stéphanie Rist. Il conviendra également de lui exposer "les bénéfices et les risques du THM, en toute transparence en lui délivrant une information exhaustive et à jour, afin de lui permettre de réaliser un choix éclairé".
Enfin, dans ce deuxième axe dédié à la prise en charge sanitaire, le rapport appelle à promouvoir la recherche fondamentale, translationnelle et innovante sur la ménopause, par le biais de bourses de recherche mais aussi grâce à l'intégration des femmes dans les études cliniques par exemple.
Parce que même au-delà de 45 ans, "les femmes doivent avoir une vraie place dans notre société", Stéphanie Rist a consacré le troisième axe de son rapport à la prise en compte de la ménopause au travail. "Les employeurs, extrêmement peu mobilisés aujourd'hui, doivent pouvoir s'engager pour améliorer l’environnement de travail des femmes à la ménopause", soutient le rapport, qui préconise d'abord de chiffrer le coût économique de la ménopause en France pour opérer une prise de conscience. Il apparaît également indispensable d'intégrer la ménopause dans le plan de santé au travail numéro 5, en cours d'élaboration", mais aussi d'intégrer cet enjeu dans la visite médicale de mi-carrière à 45 ans. Cela nécessite "que les médecins du travail aussi soient formés pour proposer des adaptations".
"Il n'existe pas d'égalité entre les hommes et les femmes, s'il n'existe pas d'égalité en santé", a conclu Stéphanie Rist, émue face à une pluie de remerciements.
La sélection de la rédaction